Publié le 26 Aug 2019 - 22:43
LE MONDE RURAL VIDE DE SES BRAS VALIDES

Le casse-tête de la migration interne et externe

 

Problématique complexe et difficile à résoudre de façon définitive, la migration externe a déjà emporté beaucoup de jeunes Sénégalais. Qui, pour rallier le vieux continent, voient leurs rêves se briser en pleine mer, dans l’océan Atlantique. Un atelier exclusivement dédié aux acteurs territoriaux a été ouvert, en fin de semaine, à Thiès, afin d’adopter des stratégies, méthodes, mécanismes et démarches pouvant aider à fixer les jeunes dans leurs terroirs et leur éviter, en même temps, la dangereuse traversée méditerranéenne.    

 

Le Sénégal, pays d’accueil, de transit, de destination et de culture, est aussi un pays de départ pour l’Occident. Voilà des décennies que les images choquantes de naufrages défilent. Mais les jeunes Sénégalais continuent d’embarquer dans des pirogues de fortune, à partir de Kayar, mais aussi de Mboro, dans la région Thiès. Naguère, ils partaient de Thiaroye (Dakar), de Kafountine et d’Elinkine, dans les départements de Bignona et d’Oussouye. Toutes les semaines, de jeunes Africains - parmi lesquels des Sénégalais - meurent dans l’Atlantique, en voulant tenter de regagner l’Occident, à la recherche d’un statut économique meilleur.

Les chiffres sur cette tragédie sont évocateurs. En janvier 2019, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a révélé que plus de 2 260 migrants ont trouvé la mort, en tentant de traverser la Méditerranée. En 2017, 3 119 migrants africains ont également péri en pleine mer, selon, cette fois, le site coupsfrancs.com. L’autre chiffre révélé par l’Organisation internationale pour les migrations (Oim) est encore beaucoup plus alarmant. Il fait état de 10 383 Africains morts en Méditerranée, en moins de trois ans, plus éventuellement les disparus qui ne sont pas enregistrés.

En dépit de toutes ces morts survenues en Méditerranée, les jeunes Africains en général et Sénégalais en particulier continuent de nourrir l’ambition de rejoindre l’Europe via les pirogues, quel que soit le prix à payer. Chaque jour ou chaque nuit, ils quittent le Sahel, affrontent le Sahara, se glissent dans les villes espagnoles de Ceuta et Melilla, dernières villes d’Afrique (Maroc), après leur rude combat avec la Méditerranée.

Pour sauver ces milliers de jeunes Sénégalais, il y a nécessité d’agir efficacement.

‘’L’océan Atlantique est devenu un mouroir’’

A l’initiative de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Fao) et de la Direction générale de l’appui aux Sénégalais de l’extérieur (Dgase), un atelier s’est tenu à Thiès, en fin de semaine, pour partager sur cette problématique large et complexe. Cette occasion a été saisie pour renforcer les capacités des acteurs territoriaux, par la mise en place de services spécifiques de prise en charge des questions de migration, avec le lancement du cadre régional de gouvernance de la migration. D’après le maire de la commune de Ngaye Mékhé, la migration, qu’elle soit externe ou interne, peut affaiblir les productions agricoles.

A son avis, l’heure a sonné de dérouler des mécanismes et stratégies visant à mettre fin au vieux phénomène de la migration irrégulière.

La question de la migration est très complexe.

‘’La migration qui concerne le milieu rural peut accroître la productivité et continuer à assurer la sécurité alimentaire. Mais, celle externe et irrégulière peut rendre plus faible les productions. Il y a des jeunes qui ne sont pas qualifiés et qui vont à l’aventure. Ces derniers constituent un bon pan du dividende démographique. Ils devraient rester en milieu rural et se mettre dans des métiers. Le métier le plus durable, le plus noble, le plus rentable, reste l’agriculture. Et quand on parle de l’agriculture, on devrait parler de l’agro-écologique et de l’agriculture, avec les semences agricoles et tout le processus, à savoir la chaîne de valeur dont l’élevage, etc.’’, suggère le Dr Maguette Wade. Ancien fonctionnaire de la Banque africaine de développement (Bad), l’édile de la commune de Ngaye Mékhé appelle l’État du Sénégal à promouvoir une politique de ‘’développement rural’’ favorable à tous les jeunes, dans leurs zones d’accueil et non à une ‘’politique migratoire pour la migration’’.

‘’Nous, en tant qu’élus du monde rural, nous appelons l’État à une politique de développement rural qui intègre la question migratoire’’, lance-t-il.

Pour essayer d’endiguer ce fléau, le vice-président de l’Agence régionale de développement (Ard) de Thiès estime que la question de la migration nécessite une approche concertée et élargie à toutes les parties prenantes. ‘’Cela devrait se faire de façon concertée. Les élus locaux ou acteurs territoriaux doivent être des parties prenantes de taille. Parce que la réponse à la question migratoire, dans le milieu rural, appartiendra aux populations rurales. L’océan Atlantique est devenu un mouroir. Il y a des bateaux qui sont coulés par les pays qui devraient être des pays d’accueil. Et cela constitue une question importante qu’on ne peut pas occulter. Il y a la mer qui tue et ceux qui refusent de les accueillir. Voilà une question essentielle à laquelle notre gouvernement devrait répondre. D’où toute l’importance dans la gouvernance de la migration’’, regrette et recommande le Dr Maguette Wade.

Le préfet du département de Mbour est d’avis que le fléau de la migration irrégulière ou clandestine a fini de créer son lot de conséquences et de désarrois dans la Petite Côte. C’est pourquoi, suggère-t-il de mettre en place un dispositif efficace et efficient pouvant permettre de fixer les jeunes dans ce pays. ‘’S’ils sont déterminés à partir, personne n’y peut rien. Mais il faut qu’ils le fassent dans la légalité absolue, pour éviter de tenter une traversée incertaine et périlleuse. Nous devons les sensibiliser, afin qu’ils partent sur des bases légales et très claires’’, poursuit Saёr Ndao.

Son supérieur de Thiès pense qu’il faut désormais essayer de cerner le phénomène de la migration irrégulière, avec ‘’beaucoup de sérieux et de volonté’’. ‘’La migration est un phénomène complexe. Face à la gravité dudit phénomène, il appartient à tous les acteurs territoriaux et élus locaux de le cerner avec rigueur et sérieux. Il nous faut des concertations sérieuses. Les migrants sont des bras valides qui quittent les collectivités territoriales pour l’Europe ou divers horizons, entrainant des conséquences multiples au niveau des zones de départ’’, analyse l’adjoint au gouverneur de la région de Thiès, Omar Ndiaye.

De son côté, El Hadj Faye, conseiller technique à la Direction de l’appui aux Sénégalais de l’extérieur, estime que la migration est un ‘’phénomène crucial. Dans ce sens, il faut des dialogues aux plans national et régional afin de mieux prendre en charge les questions liées à migration irrégulière qui, selon lui, a pris des proportions inquiétantes.

Idrissa Dièye, sociologue : ‘’Les jeunes ne se sentent pas comme des citoyens à part entière’’

L’enseignant-chercheur dans les universités, le sociologue Abdoulaye Dièye, a également pris part à l’atelier de mise à niveau des acteurs territoriaux sur la question de la migration. Tout comme les autres, lui aussi est dans la recherche de solutions pour freiner la crise migratoire qui a brisé les espoirs de plusieurs jeunes Sénégalais. Au chapitre des solutions, il demande à tous de se mobiliser autour de cette question essentielle de la migration. ‘’Actuellement, ce sont des forces vives de la nation, des espoirs qui s’estompent. Une jeunesse en larmes qui emprunte des embarcations de fortune, pour aller à l’Occident, espérant y trouver et y découvrir des lendemains meilleurs. Ce qui est totalement utopique. Les jeunes ne se sentent pas comme des citoyens à part entière. Ils se sentent comme des citoyens à part. C’est un élément de frustration. Je pense qu’il doit y avoir une dynamique de synergies, c’est-à-dire, une dynamique de développer des entreprises à la base’’.

Pour tenter d’endiguer ce fléau, le Pr. Dièye souligne l’importance de la mobilisation de toutes les forces vives de la nation. Car, dit-il, il faut œuvrer à développer le Sénégal pour le compte des jeunes. ‘’L’heure est à la mobilisation de toutes les forces vives de la nation autour de l’essentiel, c’est-à-dire développer ensemble ce Sénégal qui ne manque pas de potentialités, ni de capacités. La diaspora est la 15e région du Sénégal. Elle n’est pas sans capacités et elle n’est pas sans potentialités. Aujourd’hui, nous devons retenir les jeunes, discuter avec l’Occident, miser sur l’entreprenariat, surtout  l’entreprenariat agricole. L’entreprenariat peut absorber le taux  de chômage. Le Sénégal doit s’appuyer sur l’entreprenariat agricole, pour retenir les jeunes dans leurs terroirs’’, soutient l’agent au Service régional de la planification, de la statistique et de la démographie de Thiès.

Pour arriver à élaborer de tels projets, l’enseignant-chercheur dans les universités indique qu’il faut ‘’redynamiser la diplomatie sénégalaise, non pas une diplomatie politique, mais plutôt une diplomatie de développement qui puisse aller vers les bailleurs’’.

L’appel poignant de Tiken Jah

Au plan africain, le combat se mène avec méthode pour stopper la saignée des migrants vers l’Europe. Artiste engagé, Tiken Jah Fakoly se démène comme il le peut. Dans son nouvel album intitulé ‘’Le monde a chaud’’ et qui parait bientôt, l’Ivoirien chante pour dissuader les jeunes qui ont le rêve de tourner le dos à l’Afrique pour rejoindre l’Occident.

Dans cet album, il veut montrer aux jeunes Africains que c’est l’Afrique l’Eldorado et non l’Europe. Pour Tiken Jah, il est hors de question, pour la jeunesse africaine, de quitter leur terre bénie. ‘’Je leur demande de ne pas quitter ce paradis africain pour rejoindre cette terre inconnue qu’est l’Europe. C’est une terre pleine d’incertitudes. L’avenir de tout jeune Africain, c’est ici en Afrique. Tout peut se construire dans ce continent’’, disait-il, jeudi dernier, dans l’émission ‘’Couleurs tropicales’’, sur les ondes de Rfi.

Même s’il reconnait que les politiques d’emploi des jeunes sont élaborées avec un certain laxisme en Afrique, Tiken Jah Fakoly demande aux jeunes d’être confiants et de se dire qu’un jour ou l’autre, tout finira par marcher et ils finiront par avoir un avenir meilleur dans leurs propres pays. ‘’Ils meurent dans les océans, mais ne renoncent jamais à partir, parce qu’il n’y a pas d’aides, de politiques solides en matière d’emploi des jeunes. Il n’y a pas de financements et de soutiens en leur faveur. Par contre, il faut qu’ils continuent de croire en eux. C’est ce qui leur permettra de rester dans leurs terroirs’’, dit l’artiste ivoirien qui, pour ses tubes engagés, a plusieurs fois été persona non grata dans certains pays africains. 

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SITUATION DE LA MIGRATION INTERNE

Tous vers Dakar

Dans cette migration interne, Dakar reste la terre d’accueil et la destination privilégiée des Sénégalais des profondeurs. Le document de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) sur le profil migratoire du Sénégal de 2017, produit en 2018 par des experts en migration du Sénégal et de l’Organisation internationale pour les migrations (Oim) révèle qu’au Sénégal, les mouvements de déplacement à l’intérieur du pays se multiplient.

Ainsi, le profil migratoire du Sénégal, qui concerne l’année 2013 et consulté par ‘’EnQuête’’, indique que les migrants internes ‘’sont essentiellement polarisés par la région de Dakar, avec 43,2 % des effectifs. Ce qui correspond, estime le document, à près de 820 000 migrants, soit le quart de la population dakaroise.

Des déplacements internes vers Dakar qui ne sont pas sans conséquences. Ils occasionnent non seulement un déséquilibre ‘’démographique considérable entre les régions de l’intérieur et la capitale’’, et posent également le ‘’problème fondamental de l’inégale répartition de la population sur le territoire national, avec une superficie de 0,3 % seulement de celle du pays, la région de Dakar concentre près du quart de la population sénégalaise de l’ordre de 23,2 %’’, selon les données du Rgphae de 2013. Cependant, on peut en déduire qu’à cette époque, la tendance des jeunes filles à migrer est plus importante par rapport aux jeunes garçons dans les tranches d’âge comprises entre 15 et 29 ans. ‘’Le pourcentage de migrantes internes parmi les femmes est de 9,6 % contre 8,2 % chez les hommes dans la tranche d’âge 15-19 ans. Ce ratio est de 11,6 % contre 10,1 % dans la tranche d’âge 20-24 ans et de 12 % contre 11,3 % dans la tranche d’âge 25-29 ans’’, découvre-t-on dans les données disponibles.

GAUSTIN DIATTA (THIES)

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