Moustapha Diop et Salimata Diop dans l’étau de la reddition des comptes

Dans le sillage des réformes promises par le nouveau pouvoir et sous la pression d’une opinion publique en quête de transparence, l’Assemblée nationale a levé l’immunité parlementaire de deux anciens ministres devenus députés. Moustapha Diop et Salimata Diop sont désormais exposés à des poursuites judiciaires pour leur gestion des fonds Covid-19. Retour sur deux affaires emblématiques d’un tournant dans la gouvernance publique.
L’onde de choc est politique, mais surtout symbolique. Vendredi 2 mai 2025, l’Assemblée nationale a acté à une large majorité la levée de l’immunité parlementaire de deux députés de l’ancien régime : Moustapha Diop, ancien ministre du Développement industriel et des PME, et Salimata Diop, ex-ministre de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants. Tous deux sont visés par des enquêtes judiciaires liées à la gestion des fonds d’urgence Covid-19, dans le cadre d’un vaste programme de reddition des comptes engagé par l’État.
Moustapha Diop : les masques de la discorde
Le dossier de Moustapha Diop, examiné par la Commission ad hoc de l’Assemblée nationale, s’appuie sur une enquête de la Division des investigations criminelles et un audit de la Cour des comptes. Il fait état de violations graves des règles de comptabilité publique : paiements en espèces de marchés de masques, contournement des procédures réglementaires et disparition inexpliquée de plus de deux millions de masques.
L’ancien ministre est accusé d’avoir désigné illégalement un gestionnaire de crédits, qui aurait distribué d’importantes sommes en espèces, sur ordre verbal, à des fournisseurs triés sur le volet. Parmi eux, la société Comaset et une entrepreneure nommée Mariata Basse auraient perçu respectivement 100 et 20 millions F CFA, en dehors des canaux habituels. L’absence de traçabilité et le gap comptable de 2,3 millions de masques renforcent les soupçons de détournement de fonds publics.
Lors de son audition, le maire de Louga a nié toute malversation, invoquant une ‘’erreur de gestion’’ et déplorant l’absence, dans le dossier, des procès-verbaux d’enquête qu’il juge cruciaux pour sa défense. Il a souligné qu’aucun fournisseur ne s’était plaint de son défaut de paiement.
Selon lui, les faits en cause relèveraient d’une faute de gestion, et non d’un délit pénal.
Mais la commission, estimant les présomptions graves et concordantes, a voté à 9 voix contre 2 pour recommander la levée de son immunité. Hier, en plénière, rebelote !
Salimata Diop : les fantômes de la solidarité
Le cas de Salimata Diop est tout aussi préoccupant. L’ex-ministre est soupçonnée de complicité de détournement de plus de 57 millions F CFA. Le rapport de la Cour des comptes révèle que des pièces justificatives falsifiées, des primes indues et des décharges signées à l’insu des bénéficiaires ont servi à justifier des dépenses douteuses dans le cadre de l’aide aux femmes vulnérables durant la pandémie.
Le Dage de son ministère a admis avoir distribué des sommes sur ordre oral ou écrit de la ministre, dont 22 millions F CFA à des agents, alors que les fonds étaient destinés au retrait des enfants de la rue. Pire, certains climatiseurs achetés sur fonds publics auraient été livrés à son domicile.
Face à la commission ad hoc, Salimata Diop a plaidé l’irresponsabilité administrative, affirmant que seule la Direction administrative et financière avait autorité sur les décaissements. Selon elle, il n’existe aucune preuve écrite de sa complicité. Sa défense a dénoncé des accusations ‘’reposant sur des déclarations orales non corroborées’’.
Malgré cela, la levée de son immunité a été votée à 10 voix contre 1.
Une étape-clé vers la redevabilité
Pour beaucoup d’observateurs, ces décisions marquent une rupture nette avec la culture d’impunité longtemps dénoncée par les citoyens et les organisations de la société civile. Depuis plusieurs mois, la pression ne cesse de croître pour que les auteurs présumés de détournements pendant la pandémie répondent de leurs actes devant la justice.
Le gouvernement a promis une tolérance zéro envers la corruption, et cette double levée d’immunité s’inscrit dans une stratégie plus large de relecture des rapports de la Cour des comptes, désormais transmis au parquet sans filtre politique.
"Il ne s’agit pas d’une vendetta, mais d’un principe de justice", a commenté un membre de la commission des lois, qui rappelle que la levée de l’immunité ne vaut pas culpabilité, mais permet simplement aux magistrats de poursuivre leur travail en toute indépendance.
Un précédent aux répercussions politiques
Pour les deux anciens ministres, l’enjeu est double : sauver leur honneur politique et défendre leur liberté. S’ils venaient à être inculpés, voire placés en détention provisoire, cela porterait un coup dur à l’image d’un pan entier de l’ancien pouvoir. Déjà affaiblis par la perte de l’Exécutif, plusieurs députés de l’ex-majorité redoutent un effet domino judiciaire.
Dans l’opposition, certains crient à l’instrumentalisation de la justice, dénonçant un ciblage politique. Mais au sein de la majorité présidentielle, l’heure est à la fermeté. "Il n’y a pas deux justices. Il y a des faits et une exigence de vérité", insiste un député proche du pouvoir.
Le dossier est désormais entre les mains du parquet. Les juges d’instruction auront à décider de l’opportunité de mettre en examen les deux députés pour détournement ou complicité, conformément aux articles 152 et 140 du Code pénal.
Pour la démocratie sénégalaise, il s’agit d’un moment de vérité. La volonté de transparence affichée par les nouvelles autorités sera jugée à l’aune de la rigueur de la procédure, du respect des droits de la défense et de l’égalité de traitement devant la loi.
Face aux accusations, la contre-attaque politique
Si l’Assemblée nationale a voté la levée de leur immunité parlementaire à une large majorité, les deux députés mis en cause n’ont pas baissé les bras. En séance plénière comme en commission, Ndèye Saly Diop et Moustapha Diop ont tenu à livrer leur version des faits, rejetant catégoriquement les accusations de détournement de deniers publics et dénonçant, l’un comme l’autre, une opération ciblée.
Ndèye Saly Diop : ‘’Ma vie est un livre ouvert.’’
Citée dans le rapport de la Cour des comptes, la députée Ndèye Saly Diop, ex-ministre de la Femme, a saisi l’opportunité de la séance plénière d’hier pour se défendre avec fermeté, appelant ses collègues à ne pas se laisser abuser par ce qu’elle qualifie de ‘’manœuvres grossières’’.
‘’Je n’ai été ni complice, ni témoin, ni témoin passif d’un quelconque enrichissement illicite. Ma vie est un livre ouvert…’’, a-t-elle déclaré, le regard droit, devant une salle partagée entre murmures d’approbation et crispations silencieuses.
Selon elle, les montants incriminés ont été mal interprétés. ‘’On parle de 57 620 000 F CFA. Mais après rectification et élimination des doublons, il s’agit en réalité de 44 813 700 F CFA’’. Elle rappelle que son ministère avait mis en œuvre un programme d’urgence pour les enfants en situation de rue, mené dans l’urgence de la pandémie, mais conforme aux directives présidentielles.
‘’Nous avons sorti 5 089 enfants de la rue. Ils ont été nourris, protégés, réinsérés dans leur famille. Il n’y a pas eu d’enrichissement personnel. Ce fut un acte humanitaire, pas un schéma de détournement’’, a-t-elle insisté, évoquant son dévouement total à la mission qui lui avait été confiée. Avant de conclure : ‘’Que la lumière soit faite. Que les pièces soient examinées, les bénéficiaires entendus. Je pense que la vérité triomphera.’’
Malgré sa plaidoirie, le vote a été sans appel. Sur 165 députés, 132 ont voté, dont 118 pour la levée de l’immunité parlementaire et 14 contre.
Moustapha Diop : ‘’Je ne serai pas l’agneau du sacrifice.’’
L’ancien ministre du Développement industriel, lui, a adopté un ton beaucoup plus offensif. Déjà visé par une précédente procédure de levée d’immunité en lien avec une autre affaire, Moustapha Diop s’est dit ciblé délibérément et victime d’un traitement inéquitable.
Face à ses collègues, il reconnaît avoir validé des paiements en espèces pour l’achat de masques durant la pandémie, mais conteste toute intention frauduleuse. ‘’Tout le monde a été payé. Ce qu’on me reproche, c’est d’avoir utilisé du liquide au lieu d’un virement. Ce n’est pas un crime. C’est une faute administrative, pas un délit pénal’’.
Revenant sur le montant de 2,5 milliards F CFA que son ministère avait reçus, il dénonce l’acharnement sélectif dont il ferait l’objet : ‘’On me parle d’une affaire qui ne représente même pas 0,1 % du budget national. Pendant ce temps, certains ministres ont géré jusqu’à 500 milliards, mais ils ne sont ni convoqués ni inquiétés. Où sont-ils ? Pourquoi suis-je, avec trois autres, seul au banc des accusés ?’’
Dans un moment de tension palpable, il a lancé : ‘’Retirez mon immunité, si vous le voulez, comme la dernière fois. Ça m’est égal. Mais je refuse d’être l’agneau du sacrifice d’un système que je n’ai pas inventé.’’
Malgré cette dernière diatribe, sur les 124 votants, dont 16 délégations de vote, 116 députés se sont prononcés en faveur de la levée de l’immunité, contre 8.
Une défense politique sur fond de justice imminente
Les prises de parole des deux anciens ministres montrent combien l’affaire dépasse le strict cadre judiciaire. L’argument politique est central dans leur défense : dénonciation d’un ciblage sélectif, mise en doute de la sincérité de la procédure, rappel de leur bilan durant la pandémie. Pour eux, la levée de l’immunité parlementaire ne serait qu’un prétexte politique sous couvert de moralisation.
Mais dans les couloirs de l’Assemblée comme dans les rangs de la majorité, la ligne semble claire : laisser la justice trancher. Plusieurs députés ont rappelé que le Parlement ne statue pas sur la culpabilité, mais doit permettre à la justice de faire son travail sans entraves.
En attendant, Ndèye Saly Diop et Moustapha Diop, désormais justiciables ordinaires, devront répondre devant les juges d’instruction, dans des procédures qui s’annoncent longues et scrutées par l’opinion publique.
Encadré : Les chiffres du fonds Covid-19 en cause
- 2,5 milliards F CFA affectés au ministère de l’Industrie pour l’achat de masques
- 150 millions F CFA alloués au ministère de la Femme pour les appuis sociaux
- 57 millions F CFA au cœur du soupçon de complicité de détournement dans le dossier Salimata Diop
- 2,3 millions de masques introuvables dans le dossier Moustapha Diop
AMADOU CAMARA GUEYE