Publié le 13 Jun 2023 - 11:03

Mame Less Camara, la nation retient ton nom

 

A ceux qui ont eu l’honneur de l’avoir connu et de l’avoir aimé, Mame Less CAMARA apparaît aujourd’hui, dans cette lumière que seules offrent de longues années d’amitié partagée, de connivences intellectuelles fortes, d’amour souvent complice, comme l’homme par excellence de la liberté de l’esprit, de l’autonomie du jugement, de la sincérité intellectuelle et morale.

Embrasser le métier de journaliste, c’était sa manière à lui d’adhérer tout simplement aux exigences pressantes, impérieuses, de la vie de l’esprit, la manière de l’honorer et de nous inviter à le suivre sur cette voie d’un infatigable combat pour faire advenir un rayonnement.

Au lieu d’affirmer des valeurs d’humanité, d’amour de la vérité, d’engagement de façon purement déclaratoire, Less est venu dans les médias pour y expérimenter les défis de la pensée, confronter les valeurs de l’esprit aux aspérités du réel. Sa manière d’exercer son métier de journaliste était une manière d’aller au charbon, en œuvrant sur le terrain concret par une réflexion au plus près de l’expérience. Il s’est agi pour lui, par une pratique de l’intervention, de s’incorporer dans la réalité d’un combat pour mettre en pratique des valeurs, combat qui prend sens par cela qu’on travaille à des analyses adaptées à chaque situation singulière au lieu de les affirmer péremptoirement.   

Un journaliste debout

L’œuvre monumentale de ce journaliste debout  ne laisse pas en effet d’étonner, et par sa qualité et par sa diversité. Si, lui-même préféra, dans sa réflexion, sous sa plume, entrelacer constamment la pensée et l’actualité, fécondant l’une par l’autre, y puisant peut-être la persévérance et l’énergie nécessaires, n’est-ce pas la confiance dans la pensée comme seule capable de délivrer la cohésion spirituelle à une communauté plus ou moins précaire d’intérêts, que cet esprit libre, pour lequel le penser par soi-même était une règle de vie souhaitait, au fond, nous léguer ?

Demeurent l’œuvre considérable de ce grand journaliste, la gratitude de ses anciens étudiants, devenus ses collègues, et l’étonnement admiratif général devant un parcours aussi brillant que divers et original.

Agilité mentale, générosité et justesse du propos verbal signent « La classe d’un style de pensée » qui singularise le maître qu’il fut et la place qu’il occupa.

Journaliste exigeant, peu soucieux de respecter les modes d’où qu’elles viennent, goûtant peu les compromissions politiques, déjouant avec une lucidité sans pareille les jeux de pouvoir, vite ridicules et illusoires, refusant les abandons de la pensée critique comme les peurs ambiantes, il invitait, sans relâche, à avancer. Jusqu’au bout, on l’a entendu exhorter à

« continuer le combat » de la pensée, de l’étude et de la vie. Il inspirait le respect par la droiture de son regard, par sa prestance, par la souriante fermeté de sa voix, et vertu tout intérieure, par l’exacte adéquation de son être avec les libres choix qui conduisaient sa vie. À quoi se joignait l’impression laissée, presque indéfinissable d’un homme qui, d’emblée, vous accordait sa confiance, à charge pour vous de vous en montrer digne. Outre l’honnêteté intellectuelle la plus scrupuleuse, il avait la sagacité d’un observateur averti des réalités politiques et humaines. Sans cependant une certaine ironie désenchantée sur le monde… comme il ne va pas.

Le parti pris de l’intelligence

Ce qui l’irritait et qui devait orienter toute son écriture, c’était la force d’inertie de la bêtise.

Une voie est tracée, qu’il suivra finalement sans trop dévier jusqu’au bout. Ces interventions révèlent un observateur brillant et caustique, qui pointe les symptômes de notre système, et propose des antidotes, 

Toujours combatif, d’une vraie érudition, sa guerre était celle de l’intelligence. Dès lors, l’écriture de presse devient chez lui, geste de vérité qui heurte, qui dérange, amène à franchir les barrières pour lutter et anéantir la bêtise, et faire barrage au tout venant du sens commun panurgique qui serpente, s'immisce, et se love à l'intérieur de nous-même. Il mise sur l'intelligence du lecteur, dont il accroît la propre capacité à comprendre, le met aux aguets, l’incite à passer l’actualité au tamis de la rationalité et à se forger une armature morale. Un tel lecteur se sent plus intelligent après une lecture à travers laquelle quelque chose s'entr’ouvre de la vérité et incite à poursuivre mouvement de l'intelligence. 

Il faudra relire ses papiers, consacrés aux questions brulantes de l’heure. Jamais lénifiants, hypocrites ou téléguidés, ces articles forcent l’admiration par la pertinence de leur analyse, leur érudition et leur intelligence.

Détenteur d’un savoir secret sur les doubles-fonds de l’actualité, il mettait à nu les turpitudes de l’époque et les manœuvres des puissances occultes. Avec sa plume en guise de baïonnette, ce persifleur de génie, hétérodoxe, réfractaire et insoumis, animé par un amour intransigeant de la liberté, s’adonnait avec alacrité à l’art de dévoiler le dessous des cartes. Pas un frémissement du milieu socio-politique que ce décrypteur de ces vérités cachées au commun, n’observât à la loupe. Toujours en éveil, rien n’échappait à sa vigilance. 

Maître de morale et de vertu, mais jamais prêchi prêcheur, il a su, allant au bout de ses intuitions, déjouer les forces de l’aliénation et exposer en pleine lumière intrigues et stratagèmes.

Une tapisserie d’éclairs

Inégalé la plume à la main, multipliant les aperçus insolites jaillis de son immense culture, choisissant ses sujets avec un tact exquis, il savait conjuguer sa connaissance historique, ses convictions intellectuelles, sa sensibilité culturelle, son art de la provocation, son humour ravageur et sa rigueur journalistique pour mettre en perspective les informations, les expliquer, les rendre intelligibles, significatives au lecteur. Le tout en s’appliquant rigoureusement à garder une totale, une absolue indépendance. 

Jamais compromis, jamais sali, et se livrant à la défense de la liberté sous toutes ses formes, il livre ses éclairs, remet les pendules à l'heure et donne sans cesse l'antidote pour se soigner de l'époque. Grâce soit rendue à cette intelligence affûtée, qui, sans invectives, sans non plus dorer la pilule, cisèle ces réflexions qui jaillissent en traits d'esprit, sentences mordantes, aphorismes, fulgurances, paradoxes brillants, sarcasmes décapants, raccourcis caustiques. Une tapisserie d'éclairs.

De rencontrer cette conjugaison de rigueur et de liberté, de décontraction et de fermeté, et cet esprit de résistance puisé dans l'amour des lettres, on se savait toujours tourné et tiré vers le haut, sommer de donner le meilleur de soi-même ; son regard attentif, sa voix souveraine et juste, étaient à la fois une annonce et une garantie de justice, l’assurance que tout ressentiment serait non seulement écarté, mais dénoncé. Sous ce regard, on pouvait se sentir apprécié, mais jamais exposé, encore moins jalousé. Less a insufflé dans chaque promotion des journalistes l’appétence à la curiosité, le plaisir d’apprendre, adossé à la rigueur scientifique de la recherche. Au fil de sa carrière, il a su transmettre de façon vivante et léguer aux étudiants  l’esprit de combat ferme et raisonné avec lequel il a toujours défendu ses idées et ses principes. Il a ainsi donné à tous le goût et la méthode, le sens de ce qui peut se dire et de ce qui doit s’écrire, l’impératif d’élaguer, d’éclaircir, de trancher.

Il voyait clair et faisant basculer les choses du côté de la bonne humeur. 

La touche Less

La touche Less, c’est cet alliage rare d’une finesse d’esprit, d’une souplesse d’analyse, d’une fidélité rigoureuse en amitié, d’un courage de vie et de pensée, sans démission et d’une lucidité sans faille par laquelle sa réflexion se coulait en éditorial, s'animait dans l'échange, se faisait vie, vie en commun, vie commune. La communication médiatique a été pour lui le moteur d'affirmation pour élaborer la confiance de chacun en sa propre capacité de compréhension et de rendre commun aux autres le territoire gagné, une manière de tisser de l'appartenance et du social. Ecrire pour agir, pour ramener et maintenir la raison dans l'espace public, pour briser les ressorts de la passivité, pour enfin trouver, former et fortifier en nous d’ ardents et d’ irrépressibles désirs émancipateurs. Ecrire pour projeter de l'éclat qui passe et le porter à la lumière publique.

Comme formateur et patron de presse, sans cesse attaché à ranimer  la flamme et le courage de l’initiative si celle-ci venait parfois à manquer, il ne cessait de s’assurer, que tous ses élèves et ses collaborateurs aient en vue le sommet qu’ils peuvent et doivent atteindre. Mais ce geste de hauteur  pouvait susciter plus d’admiration que de respect, si l’admiration est bien cette passion intellectuelle qui sait reconnaître une grandeur. Quelle est donc la grandeur qu’exprimaient tout autant la personnalité de Mame Less Camara que ses engagements ; lui qui mettait sans cesse à distance les illusions accompagnant la majeure partie des grandeurs d’établissement qu’il rangeait au comptoir du dérisoire, du fugace et du factice ? On peut être grand par la force interne et la constance des qualités jusqu’à l’excellence, on peut l’être aussi par la fermeté de l’affirmation d’une valeur qui sera mise en œuvre.

Il possédait au plus haut point ces qualités de sens moral, de fermeté et de courage.

Mais sa grandeur propre était autre. Elle a été d’instituer, et en cela d’incarner, une institution : celle de  la presse et de son enseignement, pour le meilleur et … sans le pire. 

C’est donc par ses qualités humaines autant que par sa culture que Mame Less CAMARA portait en lui, spontanément, la grandeur de notre presse et plus encore, l’a hissée au-dessus d’elle-même. Le beau nom de Mame Less CAMARA claque désormais comme un étendard.

Au ciel des journalistes, Less n’a pas fini de nous faire signe.

MAMADOU BA, enseignant à la Faculté de Lettres, Ucad

 Condisciple de Mame Less Camar au Lycée Van VO

 

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