Publié le 19 Feb 2024 - 15:50
MARCHE AUTORISÉE CONTRE LE REPORT DE LA PRÉSIDENTIELLE

Une mobilisation exceptionnelle, sans incident

 

La marche initiée par Aar Sunu Élection a été une totale réussite, sans aucun incident. Autorisée, elle a vu la partition d’un nombre exceptionnel de Sénégalais. Ces derniers ont manifesté leur refus d’un report de l’élection présidentielle.

 

Le visage de Gaëlle Babacar Mbaye rayonne d'espoir et de bonheur, en voyant une foule immense répondre à son appel à manifester contre le report de l’élection présidentielle, ce samedi. Visage délicatement maquillé, tout de noir vêtue (t-shirt noir assorti d'un super jean noir et des chaussures blanches), elle porte des lunettes noires, pour, peut-être, se protéger du chaud soleil (27°). Au milieu des manifestants scindés en groupes, cette membre fondatrice d’Aar Sunu Élection marche à pas mesurés, scandant avec les autres "Terminus 2 avril (2024)", pendant qu’une partie de ses tresses se jettent sur son épaule, l'autre sur sa poitrine.

Heureuse de la mobilisation, Gaëlle déclare : ‘’Cela témoigne de la volonté qu'ont les Sénégalais aujourd'hui de pouvoir faire entendre leurs voix sur toutes ces questions liées à la République, la chose publique et qui les interpellent. Et cela montre tout simplement que les Sénégalais ont un grand intérêt pour les questions de démocratie. Aujourd'hui, nous devons consolider ces acquis démocratiques.’’

Très nombreux, les manifestants ont pris le top départ au niveau de l'échangeur Sipres sis sur la VDN pour rallier l’intersection Jummah Ji, au niveau des deux voies de Liberté 6. La plupart d’entre eux arboraient des t-shirts blancs, d'autres noirs sur lesquels était inscrit ‘’Aar Sunu Élection’’. Beaucoup sont venus avec des pancartes sur lesquels on pouvait lire : #Port2Départ’’, ‘’Respect du calendrier électoral’’, #Termunus2avril2024’’, entre autres. Parmi eux, il y avait des personnes à mobilité réduite et des vieillards. Ils ont marché sous le regard torve des forces de défense et de sécurité qui ont encadré la manifestation.

Mobilisation exceptionnelle sans aucun incident

Après l’invalidation, par le Conseil constitutionnel, du décret abrogeant la convocation du corps électoral ainsi que la loi portant révision de l’article 31 prolongeant le mandat présidentiel, c’est une nouvelle victoire pour la société civile, la démocratie et pour Aar Sunu Élection qui a réussi une mobilisation exceptionnelle sans aucun incident (zéro destruction de bien, zéro mort, zéro arrestation, etc.).

LaDiack La Linguère fait partie de ces milliers de Sénégalais qui ont marché pour la démocratie et le respect du calendrier électoral. Avec sa grande taille, elle se fait remarquer. ‘’Les Sénégalais se mettent debout, quand ils sentent que la nation est en jeu. Nous devons tous nous mobiliser face à une telle situation. Il y a des choses qu’on ne peut accepter en tant que citoyen. Je trouve que c’est une action ponctuelle’’, déclare-t-elle, chapeau sur la tête. Pour elle, le dénominateur commun reste le Sénégal et que toute action qui pourrait permettre au Sénégal d’aller mieux doit se faire.

Maimouna Guèye dite ‘’Mme Diop’’ réside aux HLM Gibraltar 1, dans la commune de Médina. Elle est venue participer à la marche accompagnée de ses amis. Dans son un jean bleu large, une casquette verte et un drapeau sénégalais autour du cou, elle entend combattre l’injustice. ‘’L’injustice que je constate dans ce pays a motivé ma participation à cette marche’’. Injustice ? ‘’Ce que le président a fait. C’est-à-dire, les combines qui ont été faites pour tenter de reporter l’élection. Je trouve anormal qu’on touche à la Constitution’’, dit-elle.

Elle est surtout motivée par l’envie de montrer au président de la République qu’il doit prendre les diligences pour que l’élection se tienne dans les meilleurs délais. ‘’Espérons que le président tâchera d’organiser l'élection avant l’expiration de son mandat’’, termine-t-elle.

Vent debout pour la tenue de la Présidentielle

Mamadou Thiam est le secrétaire général communal de la section de Dieuppeul-Derklé du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur). Pour lui, participer à cette marche est une obligation, un devoir. "Actuellement, le combat le plus légitime est de remettre notre Constitution à flot et de permettre aux Sénégalais de se mettre sur les rails du développement", indique-t-il.

Par rapport à la reculade de Macky Sall qui, maintenant, entend pacifier l’espace politique, M. Thiam soutient que c’est opportun pour le président. ‘’Je pense que c’est surtout parce que nous l’y avons obligé. Parce qu’il s’est engagé dans une voie sans issue. Il n’a plus d’autres solutions. Alors, il ne peut pas à lui tout seul prendre le Sénégal en otage. Il a été un chantre de la lutte pour la démocratie. Alors, il ne peut pas aujourd'hui renier tout ça et fouler aux pieds la Constitution. C’est normal qu’on le coince, qu’on se batte, qu’on ait cet engagement-là. C’est tout à fait normal qu’il ait cette reculade. Mais ce n’est pas encore suffisant’’, déclare le politique.

Vêtu d’un maillot de l’équipe nationale, barbe toute blanche, musclé, Bamba Déthialaw Dieng est un citoyen sénégalais qui veut que l’on dise exactement que l’élection doit se tenir avant la fin du mandat de Macky Sall au lieu de jouer sur les termes. ‘’L’essentiel, ce n’est pas de nous parler de plus brefs délais. Ce qu’il faut retenir, c’est que le 14e considérant de la décision de l’Assemblée nationale dit clairement que la tenue des élections doit se faire avant la fin du mandat du président’’, martèle-t-il.

Libération des détenus politiques et dialogue : les attentes des manifestants

Militant de l’ex-Pastef/Grand-Yoff, Mamadou Khaly Ndiaye, la vingtaine dépassée, déplore, lui, le fait que les manifestations soient régulièrement réprimées. ‘’Il faut que les marches soient autorisées. Sinon, cela pousse les gens à la révolte’’. Tenant une pancarte où il est inscrit ‘’Non au report. Non au dialogue’’, il déclare : ‘’Le contrat que nous avons avec le président va bientôt prendre fin. Un président, il a son mandat, quand c’est fini, c’est fini.’’

Au sujet de l’appel au dialogue, il note : ‘’Je pense qu’il n’y a plus lieu de dialoguer. On est en démocratie, on est lié par des textes.’’

Coordonnateur du Frapp/France dégage, Mame Ousmane Wade et ses camarades ont l’habitude d’aller dans les rues pour exprimer leur opinion. Il est contre toute idée de report de l’élection. ‘’On ne sait pas si l’élection aura lieu le 25 février ou pas, mais il faut qu’elle se tienne au plus tard le 3 ou 10 mars. La jeunesse sénégalaise est debout pour exiger de l’État de garantir une élection libre, inclusive et transparente’’, prévient-il.

La libération des détenus ne suffit pas à dissiper son amertume. ‘’Nous saluons la libération des détenus. Cependant, nous restons insatisfaits, car ceux qui ont été relâchés ont affirmé avoir été incarcérés sans raison valable. Certains ont passé huit mois derrière les barreaux, tandis que d'autres ont été détenus pendant une année. Un grand nombre d'entre eux était des soutiens de famille’’, souligne cet anti-impérialiste et panafricaniste.

‘’Même pour ceux qu’on accuse d'être des ‘Forces spéciales’, on n’a pas de preuves tangibles. C’était une volonté politique d’écraser un parti politique ou des jeunes motivés à lutter contre un pouvoir qui bafoue les règles’’, ajoute Mame Ousmane Wade.  

Estimant que les récents actes posés par le président Sall allant dans le sens de la pacification sont venus un peu tard, il note que ce qui s’était passé en 2019 ne devait pas se répéter.

En effet, cela s'est poursuivi jusqu’en 2024 avec son lot de morts, lors des manifestations réprimées. ‘’Tout cela pouvait être évité’’, regrette le jeune homme.

À ce moment de la marche, la foule arrive à hauteur du Camp pénal de Liberté 6. Les manifestants, unanimes, se mettent à scander : ‘’Libérez Diomaye Faye’’, ‘’Libérez Ousmane Sonko’’, ‘’Libérez les (autres) détenus politiques’’, ‘’Sonko notre espoir’’.  

Au sujet du dialogue, Ousmane Wade dit s’y opposer. ‘’Je dis non à un dialogue, d’autant plus que les dialogues n’ont jamais abouti à de réelles solutions. Il faut dialoguer avec des gens qui, à la fin, appliquent les termes à la lettre, pas avec ceux qui, à la fin d’un dialogue, font ce qu'ils veulent’’, indique le camarade de Guy Marius Sagna.

Chérif Chamsidine Sané : ‘’Qu’est-ce que les dialogues de Macky Sall ont donné si ce n’est pas de la ruse politique ?’’

Membre de l’ex-Pastef aux Parcelles-Assainies, Chérif Chamsidine Sané dit ‘’Doyen’’ est venu avec Moustapha Manga, chef de protocole du maire des Parcelles, et le coordonnateur adjoint de l’ex-Pastef/Parcelles-Assainies, Idrissa Diédhiou. ‘’Nous sommes là pour supporter la dynamique : non au report. Il faut organiser cette élection, parce que c’est comme ça que Macky est devenu président de la République. Et personne, de 1960 à nos jours, n’a touché à la Constitution quant à l’organisation d’une élection présidentielle. Donc, la loi fondamentale doit être respectée par le président de la République. Le temps appartient à Dieu et non aux hommes. Tout ce qu’il avait planifié, il devait se dire qu’un jour il quittera son poste de président’’, déclare le responsable politique.

‘’Le Conseil constitutionnel lui a donné une porte de sortie. Avec tout ce qui est arrivé, le Sénégal est resté foncièrement démocratique. Ce n’est pas à Macky Sall de donner une mauvaise image à l’histoire du Sénégal’’, poursuit-il.

Par rapport à la série de libérations des prisonniers dits ‘’détenus politiques", son avis ne diffère pas de celui de Mame Ousmane Wade. "Tout un chacun comprend maintenant qu'il s'agit de détenus politiques. Avant, on les qualifiait de terroristes et de bien d'autres choses. Nous réalisons désormais qu'en réalité, ce sont des détenus politiques. Cela ternit l'image de Pastef. Aujourd'hui, même l'Occident reconnaît qu'ils sont des individus très dignes qui militent au sein d'un parti sérieux’’, indique Chérif Chamsidine Sané.

Interpellé sur le dialogue, il invite à ne pas répondre à l’appel, même s’il souligne qu’il n’est pas le responsable qui doit décider de cela. ‘’Qu’est-ce que les dialogues de Macky Sall ont donné, si ce n’est pas de la ruse politique ?’’, se demande-t-il.

En tout état de cause, il pense qu’il faut d’abord libérer Diomaye Faye et Sonko pour voir la suite qu’il faut donner à cet appel au dialogue.

BABACAR SY SEYE

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