Macky Sall envoie ses “collaborateurs’’ en première ligne

Le choix des candidats pour la coalition Benno Bokk Yaakaar répond à une volonté du chef de l’Etat de renforcer son socle politique dans le pays. De ce fait, l’option d’investir les ministres pour les Locales obéit à une logique d’ancrage de la mouvance présidentielle dans les terroirs où un ministre pourra rapidement se constituer une clientèle capable de faire basculer une région dans l’escarcelle du régime.
C’est un fait du prince ! Même si aucun candidat n’a été confirmé par l’instance dirigeante de la coalition Benno Bokk Yaakaar, à savoir la Conférence des leaders de BBY, les lourdes tendances en ce qui concerne les investitures au sein de Benno indiquent une forte présence des ministres de la République. Le casting pour les candidats de BBY à la prochaine élection répond à un désir de Macky Sall d’asseoir un peu plus la légitimité de ses ‘’collaborateurs’’. Ainsi, tous les ministres sont chargés de descendre à la base, comme Abdoulaye Diouf Sarr (mairie de Dakar), Mansour Faye (Saint-Louis), Dame Diop (Diourbel), Abdoulaye Baldé (Kolda), Cheikh Oumar Hann (Ndioum), Oumar Guèye (Sangalkam), Alioune Ndoye (Dakar-Plateau) sont appelés à défendre l’action du gouvernement à la base.
Selon certains observateurs, ces choix visent à consolider l’action gouvernementale, à travers le recueil du ressentiment des populations locales. Cet exercice, toutefois, peut s’avérer périlleux.
En effet, ces ministres en quête de ‘’légitimité locale’’, s’ils venaient à perdre leur pari, verront leur position fragilisée au sein du gouvernement. On se rappelle que la défaite du Premier ministre Aminata Touré, lors des Locales de juin 2014, avait précipité sa chute, quelques mois plus tard. Elle avait été remplacée par Boun Abdallah Dionne, le 4 juillet 2014, à la tête du gouvernement.
De ce fait, le remaniement qui suivra les élections locales prendra en compte cette donnée. Les maires qui n’auront pas réussi le passage des Locales verront leur portefeuille menacé. D’autant que le leader de Benno a choisi la manière forte pour faire passer en force ses choix, en faisant fi des contestations de la base et de certaines préoccupations de ses alliés. Des localités comme Golf-Sud et Kaffrine, sous le contrôle des socialistes, pourraient basculer dans l’escarcelle de l’APR.
En effet, dans la commune de Golf-Sud, Lat Diop, qui dit avoir les faveurs du pensionnaire du palais, devrait être le candidat de Benno. ‘’Personnellement, je t’appelle Monsieur le Maire Lat Diop, parce qu’ici à Golf-Sud, tu es mon candidat’’, a déclaré Aliou Sall, Maire de Guédiawaye, lors d’un grand rassemblement, à l’occasion de la remise d’une ambulance par Lat Diop à la polyclinique de Golf-Sud, samedi dernier. Naturellement, ce choix est contesté par les partisans du ministre de la Jeunesse Néné Fatoumata Tall et la mairesse sortante Aida Sow Diawara (PS). Les partisans de cette dernière indiquent que si le chef de l’Etat ne valide pas la candidature d’Aïda Sow Diawara, ils vont créer leur propre liste.
Egalement, la mairie de Kaffrine, aux mains d’Abdoulaye Willane, suscite la convoitise des ‘’apéristes’’ qui dénoncent son incompétence et appellent à son remplacement par le ministre du Logement, de l’Urbanisme et de l’Hygiène publique Abdoulaye Sow.
A l’avenue Léopold Sédar Senghor, les tractations vont bon train pour figurer sur les petits papiers du prince.
La quête d’un processus de ‘’légitimation’’ des ministres à travers les urnes
Ce scrutin revêt un caractère primordial pour Macky Sall qui, après une année de “gouvernement de la majorité élargie’’, avec l’arrimage de nouvelles formations alliées l’Union des centristes du Sénégal (UCS) d’Abdoulaye Baldé, Rewmi d’Idrissa Seck, Osez l’avenir d’Aissata Tall Sall et le Parti des libéraux et démocrates/And Suqali (PLD/AS) d’Oumar Sarr, ambitionne d'élargir son socle électoral. Cette quête a poussé le chef de l’Etat à se séparer de ses fidèles ‘’lieutenants’’, notamment Amadou Ba et Aly Ngouille Ndiaye, afin de s’assurer le soutien de certaines personnalités politiques et le contrôle politique à Dagana, Podor, Thiès et Ziguinchor.
Le pari de Macky Sall est d’ancrer massivement la mouvance présidentielle, à travers la prise de pouvoir dans les mairies par l’entremise de ministres. Ces derniers qui pourront y bâtir une forte clientèle sur le plan local susceptible de porter une dynamique de la coalition, lors des Législatives de 2022.
Les Locales, nouveau juge de paix du prochain remaniement ministériel
Pour sa part, Bacary Domingo Mané, journaliste, indique que cette volonté de Macky Sall d’imposer ses ministres, lors des investitures, va au-delà du simple processus de légitimation de ce gouvernement à la majorité élargie. ‘’Macky Sall a besoin d’avoir à ses côtés des ministres qui ont une base politique. En effet, le chef de l’Etat a besoin de renforcer son socle politique. Ces élections sont au cœur des enjeux pour la Présidentielle de 2024. Donc, si la coalition remporte le maximum de localités, les ministres qui seront élus pourront appeler Macky Sall à se représenter pour un troisième mandat en 2024’’, affirme-t-il.
D’après l’expert en communication politique, ce scrutin est aussi très important et va déterminer la prochaine configuration gouvernementale. Déjà, les ministres qui ne figurent pas sur les listes des investitures risquent de faire les frais d’un prochain remaniement ministériel. ‘’Un ministre qui ne gagne pas sa localité, il est évident qu’au prochain remaniement, risque de ne pas figurer sur la liste des ministrables. Cette élection est un moyen pour Macky Sall de consolider sa base qui s’est effritée, depuis la Présidentielle de 2019. Pour cela, il utilise la symbolique du ministre pour s’assurer le soutien des populations locales. Au Sénégal, quand on nomme un ministre, ce n'est pas un ministre de la République, mais le représentant d’une localité, le fils d’un terroir et les gens vont s’identifier à lui. Ainsi, ils vont soutenir plus facilement le ministre. Ce qui, de fait, sera bénéfique pour Macky Sall qui peut, ainsi, attirer les populations dans l’escarcelle de la mouvance présidentielle’’, déclare-t-il.
Makhfouz NGOM