Publié le 19 Sep 2019 - 06:11
MOUSSA DIA (ENTREPRENEUR EN CHARGE DU PROJET D’INSTALLATION DE BIO-DIGESTEURS)

‘’Il y a une très forte demande, mais le seul souci, c’est…’’

 

 

Le marché d’installation de bio-digesteurs au Sénégal est très prometteur, selon le directeur général de l’entreprise Bsb (Building Successful Businesses) en charge de l’installation de bio-digesteurs à travers le pays, dans le cadre du Programme national de biogaz. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, l’entrepreneur revient sur les grandes lignes du projet, les défis auxquels ils font face et le climat des affaires au Sénégal.

 

Vous avez mis en place un projet d’installation de bio-digesteurs. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit ?

Il s’agit d’installation de bio-digesteurs domestiques au Sénégal et particulièrement dans les régions Nord et Centre. En effet, en 2019, l’entreprise Bsb a été agréée comme exploitant de bio-digesteurs, dans le cadre du Programme national de biogaz. Le bio-digesteur permet de transformer en anaérobie les résidus d’animaux tels que les bouses de vache sèches en biogaz et bio-engrais (amendement organique). Le biogaz est le combustible de cuisson qui permet de remplacer le bois de chauffe. Ce qui permet de préserver les forêts, et le bio-engrais va servir à fertiliser le sol. Le rôle qui nous a été confié est d’installer les bio-digesteurs au niveau de cibles rurales et péri-urbaines, à travers un mécanisme de crédit qui permet un remboursement en nature avec l’engrais organique produit.

Quelle est la capacité de production d’un bio-digesteur ?

Un bio-digesteur domestique produit entre 2,5 et 6 m³ de biogaz par jour. Il faut noter que la plupart des ménages cuisinent les 3 repas de la journée avec cette capacité. Ils produisent entre 50 et 100 tonnes d’engrais organique par année.

Cela équivaut à combien de francs Cfa par an, à peu près ?

Nous avons, pour cette année, l’ambition de mettre en place 1 000 bio-digesteurs. Ceux-ci vont produire en moyenne 60 000 tonnes d’engrais par an pour les ménages. Même s’ils vendent la moitié de leur production, l’autre partie pourra servir à payer le crédit et à fertiliser leurs terres. La vente de la moitié permettra de générer un revenu auprès des producteurs à hauteur de 90 000 F Cfa de cash en moyenne par mois. Cela ne prend pas en compte le coût du biogaz utilisé dans les cuisines dont les ménages disposent gratuitement.

Est-ce que l’engrais organique peut remplacer celui importé ou chimique ?

Il ne faut pas comparer les choses ainsi. Nous faisons la promotion de l’engrais organique avec le soutien de l’Etat à travers le Programme national de biogaz. Nous capitalisons beaucoup sur les études techniques qu’ils ont faites. Aujourd’hui, vu que les sols sénégalais sont très pauvres, même s’il faut utiliser l’engrais minéralisé, nous avons toujours besoin d’engrais bio pour les enrichir, les fertiliser. Déjà, en termes de capacité de production, ce n’est pas que l’un remplace l’autre.

Comment se passe le financement des bio-digesteurs ?

Jusqu’à présent, nous étions en train d’utiliser nos fonds propres. Mais l’Etat est en train de nous suivre à travers le Programme national du biogaz et le Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip). Ils viennent de mettre en place un fonds de garantie auprès des banques, pour nous permettre de continuer à financer le paysan avec zéro franc d’apport.

Donc, pour le crédit, il n’y a pas d’apport. Le ménage ne sort pas un seul franc. Nous faisons tout le financement. Et, à la fin, ils nous remboursent en engrais. Le mécanisme est en train de se mettre en place et nous espérons que d’ici quelques semaines, nous pourrons utiliser ces fonds-là pour augmenter notre capacité à investir dans ce domaine.

Donc, en tant qu’entrepreneur, vous n’avez pas de souci d’accès au financement de vos projets ?

Il y a au moins notre propre financement qui a été mis dans le projet et qui nous permet d’atteindre nos objectifs cette année. Après le succès, il y a aura peut-être d’autres financements qui vont venir. Ce sont les débuts qui sont difficiles. Notre approche n’est pas forcément d’avoir juste des subventions. Si nous avons besoin de financement, le Fongip nous fait une garantie au niveau des banques et nous allons rembourser. Le modèle qui est là nous permet donc de nous développer. Nous avons des clients pour vendre notre produit. Donc, nous avons plus besoin de soutien structurel pour régler les problèmes structurels au niveau des zones rurales, des villages.

Pouvez-vous nous parler de la répartition de la production ? Concrètement, comment elle se fait ?

Quand le ménage produit une valeur de 150 000 F par mois, qui est la moyenne par ménage, un peu moins du tiers va sur le crédit. On leur étale cela sur deux ans. L’autre tiers, on le lui achète. Ce qui lui permet d’avoir du cash pour gérer certains nombres de ses problèmes. Le 3e tiers, le ménage peut l’utiliser pour fertiliser ses terres, mais s’il n’a pas de terres, on peut lui acheter cette partie.

Au-delà de l’installation de bio-digesteur, est-ce que les ménages auront la possibilité d’avoir accès à une électrification ?

Oui, effectivement. Mais, avec ce programme, la quantité produite ne peut pas éclairer toute la maison et faire la cuisson. C’est pourquoi nous avons eu une autre approche qui est celle du mix énergétique. Aujourd’hui, nous finançons tout le ménage, non seulement le bio-digesteur et tout ce qui va avec, le matériel, la cuisine etc., mais aussi, dans les crédits, nous mettons un kit solaire qui leur permet d’avoir quelques lampes et prises électriques. 

Donc, on peut dire que ce projet peut contribuer à l’autonomisation des femmes…

Nous nous sommes rendu compte que la plupart des travaux domestiques sont faits par les femmes. Maintenant, le travail, c’est surtout de mettre dans le bio-digesteur la bouse de vache. C’est le travail quotidien qu’il faudrait faire. Déjà, avec les cuisines modernes que nous mettons à leur disposition, elles n’auront plus besoin de couper le bois de chauffe. Elles ont des cuisines très propres. Il n’y a pas la fumée qui les épuise et qui fatigue aussi leurs enfants qu’elles ont sur le dos. Et les femmes sont déjà enthousiastes à propos de ce projet, ne serait-ce que par rapport à la cuisine. Il y a cette économie circulaire où elles se font de l’argent. Les ménages paient leur crédit tout en ayant du cash sur eux. Et, souvent, les travaux maraichers sont faits par les femmes. Et dans ce cadre, elles ont de l’engrais qu’elles peuvent utiliser pour la fertilisation des sols afin d’avoir un meilleur produit. Mais la réflexion continue. Nous sommes en train de voir comment encadrer tous ces revenus-là. Parce qu’ils auront de nouveaux besoins et il faudrait qu’il y ait peut-être des systèmes de financement pour d’autres besoins.

Quels sont les régions où vous avez installé vos premières unités ?

Nous sommes en train de travailler dans les régions Nord et Centre. Nous avons une antenne à Richard Toll, à Linguère, à Tivaouane et la dernière à Kaolack. Mais, dans un futur proche, nous allons descendre vers le Sud. Là, il y avait la problématique de l’hivernage. C’est pourquoi on n’avait pas mis les antennes du Sud et de la zone Est. Après l’hivernage, le processus sera déclenché.

Est-ce que vous envisagez d’autres initiatives qui pourront contribuer au développement de l’agriculture et de l’économie sénégalaises, notamment à partir du monde rural ?

Notre programme touche au moins 6 à 7 départements ministériels, que ce soit le ministère de l’Elevage, celui de l’Agriculture, de l’Environnement, de la Famille, de la Santé et, bien sûr, le ministère du Pétrole et des Energies. De plus en plus, nous tendons à vivre dans un monde plus vert, plus bio. Et là, c’est une occasion d’inculquer ces notions à la base des écosystèmes de développement qu’est le village, la zone rurale, le ménage.

Mais pensez-vous que le marché est prometteur pour de telles initiatives ?

Il y a une très forte demande, mais le seul souci, c’est que les produits n’étaient pas disponibles. Nous avons déjà signé des contrats avec quelques industriels. Nous avons beaucoup capitalisé sur ce que le Programme national sur le biogaz fait. Ils ont quand même beaucoup avancé sur le volet technique et sur l’approche.

Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés, dans le cadre de la mise en œuvre de votre projet ?

Nous avons quand même beaucoup de difficultés sur le terrain. Il ne suffit juste de mettre en place un programme. Chaque zone a ses propres réalités. Pour qu’un ménage puisse participer à notre programme, il faudrait qu’il ait des vaches. Et à force d’être sur le terrain, on se rend compte qu’il y a beaucoup de petits problèmes qui ne touchent pas forcément le ministère de tutelle, à savoir celui du Pétrole et des Energies. Par exemple, nous avons été dans un village, à Dagana ; nous avions déjà fait nos enquêtes, établi une liste d’environ 150 ménages qui voulaient adhérer au programme. Nous avions le financement qu’il fallait, mais le problème, c’est que les populations ne peuvent pas stabuler les animaux, à cause des moustiques. Nous avons une solution pour ça. Mais elle est coûteuse. Sur certains problèmes, on aurait aimé avoir des réponses de certains ministères.

Mais est-ce que sur ce problème précis, vous avez eu à contacter le ministère de l’Elevage ?

Non, pas encore. D’ailleurs, c’est le plaidoyer que nous faisons. Nous allons faire les démarches nécessaires pour les ministères concernés.

Et comment vous voyez le climat des affaires au Sénégal ?

L’environnement des affaires est assez dur. Nous avons compris que nous avons de petits marchés dans nos pays. Donc, notre stratégie est d’aller chercher des marchés ailleurs. Plus le marché est grand, moins on ressent la difficulté dans certains pays. Il y a des challenges de la part du gouvernement et d’autres du côté de l’entrepreneur.

Donc, il ne s’agit surtout pas d’incriminer l’Etat ou pas. Si on fait une analyse réaliste de la chose, véritablement, les problèmes viennent de partout, notamment de notre manière de faire des affaires. Je ne parle plus de l’encadrement du gouvernement, mais pour le volet sociétal, personnel, il y a aussi beaucoup de choses à faire.

MARIAMA DIEME

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