Publié le 11 Dec 2019 - 20:38
NOUVELLE GOUVERNANCE DU CHEF DE L’ETAT

La politique du sabre

 

Le président Macky Sall ne badine plus avec les fautes commises par certains responsables de l’Administration, qu’ils soient politiques ou fonctionnaires. Il n’hésite plus à couper des têtes et n’y met plus des formes. Cette gestion ‘’fast-track’’ est diversement appréciée. Mais tout le monde s’accorde sur la nécessité de sanctionner.

 

Le leader de l’Alliance pour la République (Apr) a ‘’le sabre’’ facile, depuis qu’il a rempilé à la tête de l’Etat. Ainsi, il n’est plus prudent d’aller à l’encontre des mesures gouvernementales ou de manquer de vigilance dans les tâches qui sont confiés aux fonctionnaires. L’exemple le plus récent est l’ex-patron du Commissariat central de Dakar. Mamadou Ndour a été perdu par la manifestation devant les grilles du Palais. Avant le prédécesseur du Commissaire El Hadji Cheikh Dramé, d’autres ont été victimes du courroux du Président Macky Sall. Les représentants de l’Etat du Sénégal devant le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies à Genève, en octobre dernier, ont eu un retour mouvementé à Dakar.

Samba Ndiaye Seck et Moustapha Ka, tous deux fonctionnaires dans le département de la Justice ont eu la maladresse d’évoquer, devant l’instance ‘’onusienne’’, une possible réhabilitation de Karim Wade. ‘’Le Sénégal ne refuse pas d’indemniser, mais pourvu que l’intéressé puisse venir se présenter, afin que les juges compétents puissent déterminer l’ampleur du préjudice. On est prêts. Si l’intéressé saisit les juridictions compétentes en vue de sa réparation, il n’y a aucun obstacle à ce que cette réparation soit allouée par l’État du Sénégal’’, avait soutenu le directeur des Droits humains au ministère de la Justice, Moustapha Ka. Une position en déphasage avec celle de l’Etat et rejetée en bloc par le ministère des Affaires étrangères. Qui exclut toutes possibilités de réhabilitation de Wade fils. Ensuite, le sabre est tombé.

Cette journée du lundi du 24 octobre n’a pas été uniquement fatidique pour ces deux membres de la Justice. Sory Kaba a également été débarqué de son poste. Ce, 24 heures après son passage à la Rfm où il s’est prononcé sur le troisième mandat, entre autres questions. Moustapha Diakhaté a également été remercié, avec le décret 2019-1800 du 28 octobre 2019 qui a mis fin à ses fonctions de ministre Conseiller. Lui, également, a fait les frais de ses innombrables sorties allant à l’encontre des intérêts du parti. "La manière dont Macky Sall veut mettre un terme à cette polémique (3e mandat) est contreproductive. S’il veut limoger toute personne qui en parle ou si des gens de l’Apr insultent ceux qui expriment leur point de vue, cela pose problème’’, a-t-il notamment déclaré.

El Hadj Hamidou Kassé a perdu son poste de ministre chargé de la communication de la Présidence, suite à une sortie sur la Tv5.  Le prédécesseur de Seydou Gueye s’exprimait sur la société d'Aliou Sall, le frère du président Macky Sall. Le maire de Guédiawaye, disait-il, ‘’avait reçu un paiement secret de 250 000 dollars de Frank Timis, conformément aux révélations de la BBC, affirmant que le paiement était destiné à des services de conseil agricole’’. Depuis, le poste de Chargé des Questions “Cultures et Arts” lui a été confié.

Aujourd’hui, tout le monde attend la suite qui sera donnée aux tiraillements, par presse interposée, entre responsables de son parti. Yakham Mbaye est monté au créneau pour recadrer Moustapha Cissé Lo et Youssou Touré qui ont tenu des propos ‘’offensants’’ à l’encontre du parti. Le président du parlement de la Cedeao s’est violemment attaqué au gouvernement, en dénonçant une mafia qui, selon lui, entoure la distribution des semences et engrais. L’enseignant a lui dénoncé la non-assistance de son leader politique, alors qu’il serait gravement malade et a besoin d’un transfert à l’étranger pour des soins. Le sabre de Macky Sall va-t-il de nouveau s’abattre ? Les politologues n’en sont pas convaincus. Ils font une différence entre fonctionnaires et camarades de parti.

 ‘’Une faute lourde se paie tout de suite, cash’’

Pour l’analyste politique Moussa Diaw, certains hommes politiques, de par leurs engagements de la première heure, se croient intouchables.  C’est ce qui explique, d’après son analyse, cette forme de défiance à l’égard du président de la République. Il pense d’ailleurs que le chef de l’Etat devrait être intransigeant, au risque de faire face à une cacophonie.  ‘’On observe, au sein de la majorité, une certaine indiscipline avec des attaques, des invectives, une guerre rangée entre des membres. Cette situation peut transparaitre, auprès de l’opinion publique, comme étant un manque d’organisation au sein de l’Apr. Les concernés ne se plient pas aux règles du jeu et ne respectent pas le chef de leur parti, à savoir le président de la République. La difficulté, c’est être président de la République et chef de parti’’, souligne le professeur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis.

Pour son collègue Ibou Sané, les situations diffèrent. Les sanctions relevant du domaine administratif ne sont pas similaires à ceux politiques. A ses yeux, il est impensable d’exclure ou de sanctionner ces agitateurs, car, dit-il, un parti cherche à additionner des membres et non les soustraire.

Toutefois, le Pr. Sané estime que l’idéal serait de démissionner d’un parti, quand on n’est pas d’accord avec sa ligne et non proférer des insultes publiquement. Pour les cas de Moustapha Diakhaté et Hamidou Kassé qui ont été démis, il pense qu’il s’agit d’un avertissement. ‘’Ils sont des exemples pour que les autres comprennent qu’il y a une ligne dans le parti. Cependant, il existe toujours des rebelles, des récalcitrants qui pensent qu’ils peuvent injurier, faire tout ce qu’ils veulent sans être inquiétés. Le plus souvent, on ne se sépare pas d’eux, ils restent toujours dans le parti, mais perdent seulement leur fonction politique ou administrative’’, explique l’analyste politique.

Toutefois, nos interlocuteurs trouvent normales les sanctions infligées à certains responsables qui ont failli aux missions à eux confiées.  Le Pr. Sané donne, à cet effet, l’exemple de l’ex-commissaire central Mamadou Ndour.  ‘’Si des manifestants vont jusqu’à s’agripper aux grilles du palais, c’est parce que, quelque part, il y a défaillance du système et le premier responsable de ce système est celui qui paie les frais. En matière d’Etat, il n’y a pas de pardon, une faute lourde se paie tout de suite, cash’’, fait savoir l’analyste politique.  

Dans le même sillage, Moussa Diaw pense qu’il y a, peut-être, quelquefois, une disproportion entre la faute et la sanction qui a été appliquée. L’enseignant chercheur à l’Ugb pense néanmoins que ces sanctions sont inévitables. Elles s’expliquent par le fait que certains fonctionnaires ou responsables n’ont pas agi de façon conforme aux exigences de la logique gouvernementale’’, fait-il savoir. Avant de poursuivre : ‘’Aussi bien au niveau des fonctionnaires que des hommes politiques, il y a des règles du jeu à respecter et si certains ont failli à leurs responsabilités, il est normal que les sanctions tombent.’’   

PR. LUC SARR (CONSEILLER POLITIQUE DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE)

‘’L’Administration est fondée sur des sanctions positives ou négatives’’

Sanctions contre des fonctionnaires

‘’L’Administration est fondée sur des sanctions positives ou négatives. La presse fait souvent des déductions sur des mesures prises par le président Sall. Pour les hauts fonctionnaires de l’Onu, ce que j’ai vu à travers les réponses qui ont été données, ne correspond nullement à la position officielle du Sénégal qui est connue de tous, depuis trois ans. Et c’est fondé sur le respect de l’autorité de la chose jugée, le principe de la souveraineté judiciaire. Et nous avons dit, de manière très claire, que la Crei est une cible qui est faussement attaquée, car elle appartient à notre système judiciaire.  Entre le texte qui a été lu et les réponses apportées, il y a une différence. Ce sont des réponses qui ont été en contradiction avec le texte de base de la position du Sénégal. Et si un fonctionnaire déroge à la mission qui lui a été dévolue, il est clair que l’autorité supérieure prenne ses responsabilités.  

Pour Sory Kaba, il a été interrogé sur un ensemble de questions et vous ne prenez que la seule question portant sur le 3e mandat pour dire qu’il a été sanctionné à cause de cela. Et jusqu’à preuve du contraire, Moustapha Diakhaté est un membre de l’Alliance pour la République. Il dit que Macky Sall n’a pas droit à un 3e mandat, alors que d’autres soutiennent le contraire. Le président a dit que quiconque veut aborder la question du 3e mandat pour en faire une préoccupation politicienne ne m’engage pas et il n’est pas dans ma ligne. Et, dans ce cas-là, il y a deux positions, il est soit obligé de se soumettre ou de laisser tomber.’’

Guerre entre responsables de parti

‘’Entre Yakham Mbaye et Moustapha Cissé Lo, c’est une situation qui ne nous plait pas. Elle est très triste et très regrettable. Elle dessert le parti et ne figure pas dans notre tradition. Ce niveau d’animosité dans le langage et la prise de position radicale ne se trouve en aucun cas lié à la trajectoire de notre parti. Je crois que c’est une position politique interne et le parti devrait se prononcer sur cette question-là. Je suis d’accord que le parti gère en toute sérénité et en toute responsabilité ce type de situation, pour ne pas créer les crises internes. Je suis d’accord que ce n’est pas bien pour nous, ni pour le pays. Ces images et sorties intempestives ne nous rendent pas service, il faut mettre fin à cela.’’

Applicabilité des sanctions à ces deux situations

‘’Un Etat moderne a deux directions : une administrative et l’autre politique. La première a ses règles, ses principes consignés le plus souvent à travers un texte de loi. Le parti est spécifique à ses propres normes qui sont différentes de la généralité des lois qui organisent la société politique. La dimension administrative de la sanction obéit à des règles. Au niveau du parti, c’est le parti qui est lui-même doté de mécanismes de fonctionnement et des règles établies pour servir de base à l’action collective.

Moi, je crois que c’est totalement différent. Dans les partis, il y a des structures, des commissions ad hoc chargées le plus souvent des arrangements et missions de bons offices pour régler les différends internes. Il a des mécanismes de suspension, exclusion qui appartiennent à chacun des partis. Or, la loi générale qui organise l’Administration est valable pour tout le monde.’’

HABIBATOU TRAORE

 

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