Publié le 10 Nov 2020 - 08:14
POLITIQUE ECONOMIQUE ET SOCIALE

L’Afrique invitée définir sa propre voie face 

 

La définition d’une voie africaine en matière de politique économique et sociale est urgente. Et la deuxième tâche, pour le continent, est de définir les alternatives et de commencer à construire un nouveau monde. C’est ce qu’a soutenu samedi, l’ingénieur-économiste, membre du Conseil international du Forum social mondial, Gustave Massiah, lors de l’Assemblée générale du Comité de l’Initiative pour l’annulation de la dette africaine (IADA).

 

Face aux effets de la Covid-19 sur leurs économies, les pays africains doivent tracer leur propre chemin pour leur développement économique et social, selon l’ingénieur-économiste français Gustave Massiah, membre du Conseil international du Forum social mondial.

‘’La définition d’une voie africaine en matière de politique économique et sociale est urgente. La deuxième tâche de définir les alternatives et de commencer à construire un nouveau monde. La bataille pour l’hégémonie culturelle est commencée. L’élaboration d’une démarche stratégique africaine par rapport à la situation est indispensable. Elle implique de répondre à l’urgence, en faisant face aux effets immédiats de la nouvelle situation. Elle implique aussi d’ouvrir de nouvelles perspectives pour l’Afrique, à partir des leçons que l’on peut en tirer’’, soutient-il lors de son intervention par vidéoconférence, ce week-end, à l’occasion de l’Assemblée générale du Comité de l’Initiative pour l’annulation de la dette africaine (IADA).

D’après Gustave Massiah, la crise sanitaire a aussi démontré ‘’l’inéquation’’ du système international. Il pense que la réponse a été globale ‘’sans grande concertation’’. ‘’Les Nations Unies ont démontré leur paralysie et leur inéquation, la montée en puissance de l’Asie, mais pas celle de l’Afrique. L’heure de l’Afrique approche. La subordination de l’Afrique au néolibéralisme, aux intérêts des autres grandes puissances n’est pas fatale. Ce qui reste à conclure, c’est une vision africaine de l’émancipation et une vision africaine. C’est le rôle de la nouvelle génération. Les mouvements sociaux africains peuvent mettre en avant certaines des perspectives de l’agenda 2063 de l’Union africaine précisées en 2018’’, poursuit-il.

Il s’agit notamment du passeport africain avec la suppression de l’obligation de visa pour les populations africaines, l’Union africaine de la diaspora, l’intégration régionale, la libre circulation des personnes et le renforcement des avantages de la migration.

Le représentant du Conseil international du Forum social mondial, à cette occasion, estime qu’il est nécessaire de soutenir les actions pour faciliter les échanges à l’intérieur du continent africain, tout en rejetant la notion de libre-échange mise en avant pour la création de la Zone de libre-échange continental africain (Zlecaf). Mais ceci en définissant un modèle de développement africain qui articule le droit de vivre et de travailler au pays et de nouvelles localisations, avec le droit à la libre circulation, à la libre installation pour les personnes et le strict contrôle pour les capitaux.

‘’La condition sociale, écologique et démographique n’est pas envisageable, tant que la décolonisation n’est pas acheminée. Le mouvement historique de décolonisation n’est pas achevé. La première phase de décolonisation a été celle de l’indépendance des Etats. On peut la considérer comme réussie, mais elle a des limites. La deuxième phase, celle de la libéralisation des peuples, commence. Elle comprend l’invention de nouvelles formes de démocratie qui implique le rejet du colonialiste de tous les pays et toutes les institutions. C’est un pari de civilisation et l’Afrique y aura un rôle éminent. L’annulation de la dette publique africaine est une étape de la deuxième phase de la décolonisation’’, défend l’altermondialiste.

Moustapha Niasse : ‘’Le fardeau de la dette est devenu insoutenable…’’

Pour sa part, le président de l’Assemblée nationale du Sénégal affirme que l’annulation de la dette est une question de ‘’justice légitime, de droits humains et surtout de volonté de marcher avec l’histoire vers l’avant’’. ‘’Le fardeau de la dette est devenu insoutenable pour toutes les économies du monde, y compris celles des pays les plus développés, à fortiori les pays sous-développés ou en développement, fragilisés, parfois piétinés et souvent oubliés. (…) Le moratoire qui a été accepté dans le principe par les bailleurs de fonds par nos prêteurs, c’est bien, mais ce n’est pas assez. Vous avez dit : nous voulons l’annulation définitive et complète de la dette africaine. Voilà, l’objectif qu’il faut atteindre’’, renchérit Moustapha Niasse.

Car, note-t-il, avant l’indépendance, ‘’il n’y avait pas d’endettement’’. Il y avait le Fonds d’investissement pour le développement économique et social (Fides). ‘’Quand nous prenions l’indépendance en 1960, le Sénégal n’était pas endetté : la Côte d’Ivoire aussi ne l’était pas. La dette est venue par la suite et s’est accumulée. Rien que le service de la dette coûte beaucoup à nos finances et à nos économies (NDLR : 14 % du produit intérieur brut des pays africains)’’, regrette-t-il.

Président cette assemblée générale, le parlementaire a rappelé que les 54 parlements africains ont pris l’initiative le 7 octobre dernier, sous l’égide du Sénégal et du Nigeria, de créer une ‘’osmose organisée, structurée’’ à partir d’un groupe de 7 pays pour prendre en charge aussi cette initiative. ‘’Au départ, nous étions 7 : à savoir le Sénégal, le Ghana, le Kenya, le Rwanda, l’Afrique du Sud, l’Ethiopie et le Nigeria. Mais nous sommes 14 Parlements. Donc, je vous dis, j’affirme et je réaffirme que votre comité a le soutien des 54 Parlements africains. Nous avons déjà tenu trois rencontres par vidéo-conférence et dans 15 jours, nous en tiendrons une autre’’, annonce-t-il.

La portée de l’IADA, si elle rencontre l’agrément des bailleurs, va, selon la présidente du Haut conseil des collectivités territoriales (HCCT) ‘’marquer une rupture’’ dans les tendances économiques du continent africain, à travers un ‘’décollage’’ vers l’émergence fortement ralentie par la pandémie de Covid-19. ‘’(…) L’annulation de la dette africaine entre dans le cadre des solidarités qui devront se développer dans la gestion des crises post-Covid-19. Car cette pandémie va, à coup sûr, accentuer les fractures sociales et économiques. En ce sens, les conséquences de cette pandémie constituent un défi social qui interpelle toute l’humanité, plus particulièrement les pays africains dont la seule résilience na va pas suffire’’, dit Aminata Mbengue Ndiaye.

La présidente du HCCT relève que l’endettement a comme conséquence le manque d’investissement dans les projets sociaux, économiques et les infrastructures porteurs de la croissance. Ainsi, elle précise que la presque totalité des pays au sud du Sahara sont confrontés à des difficultés structurelles et conjoncturelles ‘’assez importantes’’. ‘’Ils sont sous l’emprise de la pauvreté et de la malnutrition, l’analphabétisme et de l’inaccessibilité aux services sociaux de base. C’est ainsi que le continent africain a connu beaucoup d’instabilité politique. Et bien avant le facteur aggravant de la pandémie de Covid-19, l’endettement endémique plombait déjà le développement du continent africain. Si bien qu’il devenu urgent de changer de paradigme dans le traitement de cette question chronique qui peut hypothéquer l’avenir des pays africains’’, souligne-t-elle.

La crainte de nouveaux plans d’ajustement

D’ailleurs, le président de l’IADA, Mody Guiro, a soutenu qu’ils ont décidé de s’engager pour cette cause, ‘’non pour des raisons idéologiques’’, mais parce qu’ils ont conscience que la situation de catastrophe, qui est faite par la Covid-19, risque de conduire les pays africains vers de ‘’nouveaux plans d’ajustement’’ comme dans les années 1980. ‘’Et cela ne laissera personne indemne. Tous les secteurs auxquels nous appartenons seront impactés avec des conséquences désastreuses pour les populations du monde rural comme urbain. Parce que nous avons conscience que l’annulation de la dette peut épargner les centaines de milliards de dollars aux pays africains. Nous nous engageons dans ce combat et appelons tous les Sénégalais, Africains, à une mobilisation massive pour amener nos partenaires bilatéraux comme multilatéraux à annuler la dette publique africaine’’, plaide-t-il.

D’après M. Guiro, les ressources ainsi épargnées peuvent effectivement servir à relever les défis, à investir massivement dans les besoins de développement de leurs pays, pour plus d’emplois pour les jeunes, plus de moyens et de personnels de santé et l’éducation. Et aussi à répondre aux besoins sociaux de base : accès universel à l’eau, l’électricité et Internet et à satisfaire les demandes des populations.

Le vice-président de l’IADA reconnait, lui, que le chemin est ‘’long’’. Cependant, il reste optimiste. ‘’Nous nous rappelons l’effacement de la dette qui a duré des années, mais qui a fait du bien. Au-delà de l’effacement de la dette, il y a eu les rapports entre l’Afrique et l’Occident qui ont changé. Nous devons être pragmatiques, organisés. L’annulation de la dette a encore beaucoup plus de sens aujourd’hui, avec la pandémie. Nous avons encore d’autres défis économiques à relever et si nous continuons à payer cette dette, à ce rythme, on ne peut pas s’en sortir’’, indique Youssou Ndour.

Il préconise alors l’élargissement de cette initiative pour arriver à leurs fins. ‘’Notre combat est noble et utile pour la population. Il y a aujourd’hui quelque chose de profond au niveau mondial, sur le plan économique ; et les départs massifs notés ces derniers jours pour l’émigration irrégulière le prouvent. Cela doit nous pousser à prendre des décisions et à encourager ce genre d’initiatives’’, conclut-il.

L’histoire africaine retracée par Moustapha Niasse

Lors de son allocution ce week-end, à l’occasion de l’Assemblée générale du Comité pour l’IADA, le président de l’Assemblée nationale a montré sa casquette ‘’historien’’. Moustapha Niasse a révélé la face cachée de l’histoire du continent africain.

‘’En 1236 après Jésus-Christ, l’empereur Soundiata Keïta a élaborée la première Charte africaine des Droits de l’homme. En 1215, en Angleterre, avait été élaboré la Magna Carta, la Grande carte, mais elle n’était pas complète. Et c’est celle de l’Afrique, en 1236, après JC, qui est venue mettre en avant la femme africaine et la femme en général : mère, grand-mère, fille et sœur. Et suite l’enfant, puisqu’il est le prolongement de la femme et aussi les personnes du troisième âge. C’est cette charte de Kurukan Fuga, de 1236, qu’on appelle aussi la Charte du Mandé qui, aujourd’hui encore, continue d’inspirer l’action des hommes d’Etat et hommes publiques africains. On ne l’a pas toujours enseignée dans les leçons d’histoire, parce que peut-être qu’il fallait garder cela pour faire croire que l’Afrique n’avait pas d’histoire’’, narre-t-il. 

Le président de l’Assemblée nationale sénégalais a ajouté qu’en 1317, l’empereur Bakary III a démissionné de ses fonctions d’empereur pour laisser à Kankan Moussa le trône et, à bord de 2 000 navires construits en acacia, comme le faisaient les Egyptiens, il a traversé l’Atlantique. Sur ces 2 000 pirogues, 25 sont arrivées sur les côtes de la Colombie. ‘’Ce qui fait que les Noirs de Colombie n’ont jamais été transportés par les bateaux des négriers pour aller cultiver la canne à sucre ou le coton. C’est la première traversée de l’Atlantique par des êtres humains. Et c’est 175 ans avant Christophe Colombe que Bakary III l’a fait. Et c’est ce que le président Macky Sall est en train de faire, en lançant cet appel pour effacer la dette africaine. Si nous continuons avec la même ardeur, au même rythme, avec les mêmes ambitions, ce but sera atteint. C’est une question de justice légitime, de droits humains et surtout de volonté de marcher avec l’histoire vers l’avant’’, compare-t-il.

MARIAMA DIEME

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