Publié le 12 Mar 2021 - 01:50
POLITIQUE

Quand Sonko ressuscite l’opposition

 

Ressuscitée par l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko, l’opposition sénégalaise a rarement été aussi bien positionnée dans ses rapports avec le régime du président Sall. Saura-t-elle capitaliser ces acquis ? Les acteurs se prononcent.

 

La bipolarisation de l’espace politique se précise de plus en plus. D’une part, Macky Sall et ses alliés. D’autre part, il y a l’opposition dont le leader naturel est, selon nombre d’observateurs, Ousmane Sonko. C’est aussi la conviction du professeur agrégé de droit, Jean-Louis Corréa. Loin de juger le discours du président de Pastef les Patriotes suite à sa libération, il déclare : ‘’Sonko est dans son rôle naturel, c’est-à-dire celui de leader de l’opposition qu’il incarne depuis quelque temps…’’

Pour lui, le face-à-face est beaucoup plus clair entre les deux acteurs politiques majeurs du moment, depuis ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Adji Sarr-Sonko.

Au Pastef et ses alliés, l’urgence n’est pas de discuter du poste de leader de l’opposition. Mais on constate et assume une réalité politique indéniable. Le président du mouvement Avenir Senegaal Bi nu Begg, Dr Cheikh Tidiane Dièye, précise : ‘’… Le candidat sorti deuxième (de la dernière présidentielle) a rejoint le premier avec armes et bagages. Le troisième prend donc naturellement la place de l’opposant principal, même si je crois que ce débat n’a pas vraiment d’intérêt dans le contexte actuel.’’ L’urgence, pour l’opposition, s’empresse-t-il de préciser, est tout autre. Elle doit être, selon lui, ‘’de consolider son entente et comprendre vite qu’elle ne tire cette nouvelle force que de l’engagement d’une vaillante jeunesse à restaurer l’état de droit et lutter contre les injustices’’.

Et d’ajouter : ‘’L’opposition doit agir avec intelligence, mobiliser les citoyens et leur indiquer des orientations claires, des projets politiques sérieux avant de pouvoir s’offrir en véritable alternative. Les jeunes sont devenus exigeants et tous devraient le savoir.’’ 

Embouchant la même trompette, le député libéral Mor Kane estime que la priorité de l’opposition n’est pas de parler de la tête de l’opposition. D’après lui, il n’y a pas de baromètre pour dire que tel ou tel autre est le leader de cette opposition. ‘’En ce qui nous concerne (PDS), nous n’aspirons à être le leader de quoi que ce soit. En tout cas, tout le monde sait que les dernières élections ne sont pas un baromètre pertinent pour déterminer qui est le chef de l’opposition. Nous-mêmes avions voté pour différents candidats. Certains avaient choisi Idrissa Seck, d’autres Sonko. Moi-même, mon épouse avait voté pour Sonko, parce que simplement, le PDS était absent. Mais ce n’est vraiment pas le plus important pour nous. Là, nous insistons sur la nécessité, pour l’opposition, de faire face à Macky Sall’’.

Libération des détenus politiques

Parmi les priorités de l’heure, relève le député libéral, il y a la libération des détenus politiques, la prise en charge des blessés, entre autres. Il peste : ‘’L’opposition va continuer la lutte. Pour l’heure, ce qui nous intéresse, c’est la libération des détenus politiques, la prise en charge des blessés, le dédommagement des familles… Il faut aussi permettre à Khalifa Sall et à Karim Wade de retrouver leurs droits civiques et politiques. Après tout ça, il faudra mettre en place les conditions d’une élection transparente et les Sénégalais pourront librement choisir.’’

Dans ce combat, Ousmane Sonko semble être un élément incontournable. C’est la conviction du Pr. Corréa. Pour lui, l’opposant radical est plus qu’un simple leader de cette opposition. Il parvient à s’ériger en véritable modèle pour une bonne partie de la jeunesse sénégalaise. Professeur Corréa : ‘’On peut effectivement affirmer que, du point de vue des idées, Ousmane Sonko réussit vraiment à influencer, à fédérer. C’est un véritable leader d’opinion et c’est pourquoi les jeunes, à la recherche d’un héros, voient en lui un modèle. C’est pourquoi il est leur leader, le héraut d’une bonne partie de cette jeunesse. Car il fait rêver les jeunes Sénégalais. Ce qui est une bonne chose pour la jeunesse africaine.’’

Une chose est sûre : cette situation a fini de redonner des ailes à l’opposition qui était en errance. Et c’est tant mieux pour la démocratie, explique le Dr Cheikh Tidiane Dièye, non sans imputer la victoire à la jeunesse et au peuple sénégalais. Il déclare : ‘’Il est évident que l’opposition a réussi, dans cette lutte qu’elle a menée avec succès, en donnant de la forme à la lutte d’une jeunesse qui l’aurait de toute façon menée, avec ou sans elle, à se repositionner dans l’espace démocratique. C’est une très bonne chose pour la démocratie. Le pouvoir devait en tirer toutes les conséquences. Car il n’a plus les moyens d’imposer son rythme au jeu démocratique.’’

Ainsi, il y aura certainement un après 8 mars. Pour le président d’Avenir Senegaal Binu Begg, ce qui vient de se passer au Sénégal est un tournant décisif. Un tournant qui doit mettre le citoyen au cœur des préoccupations des acteurs politiques. Dr Dièye : ‘’Ces événements marquent une nouvelle trajectoire qui ramène le citoyen, qu’il soit d’un parti politique ou pas, au cœur du débat. Il faut reconnaître que les Sénégalais, surtout la jeunesse, avaient accumulé une somme de frustrations et de privations dans leur rapport avec le régime.’’

Par ailleurs, pour jouer le rôle qui est désormais le sien au sein de l’espace politique, Sonko gagnerait sans doute à revoir le discours. ‘’Il faut être en capacité d’avoir le discours politique qu’il faut, pour continuer à donner à cette jeunesse qui croit en lui, l’opportunité de rêver. Parce qu’une jeunesse doit rêver. Malheureusement, souvent, les jeunesses africaines ne rêvent pas. Maintenant, il faut que les slogans ne soient pas violents. Si c’est le cas, le risque est de passer d’une violence discursive à une violence dans les faits. Et les formes de violence discursive qu’on a notées, c’est ‘France dégage, ‘Auchan dégage’…’’. Cette violence dans le discours, regrette-t-il, s’est traduite en une violence dans les faits. Mais cela ne concerne pas que le leader de Pastef. C’est valable pour tous les leaders politiques.

‘’La responsabilité première de tous les acteurs, c’est de voir comment policer le discours politique. On peut défendre nos positions sans verser dans une certaine forme de violence symbolique qui pourrait se traduire dans les faits’’, soutient le professeur Jean-Louis Corréa. Avant d’ajouter : ‘’Je pense qu’au sortir de cette crise, il faudra se pencher sur le discours politique. Est-ce qu’ils n’ont pas été les germes d’une certaine violence ? Les acteurs ont une responsabilité dans ce domaine. Je suis donc très heureux de constater que les deux camps ont appelé à la retenue. Le plus important, c’est le Sénégal, c’est l’Etat. Aucun d’entre nous n’a intérêt à l’affaiblissement de l’Etat et de ses symboles, quelles que soient les imperfections.’’

Ainsi, après avoir contraint le président Macky Sall à reculer dans le dossier l’opposant à Ousmane Sonko, l’heure est à la lecture de la situation dans le camp de l’opposition. Pour le député libéral Mor Kane, le premier enseignement à tirer, c’est de s’unir pour ne pas périr. ‘’Unis, dit-il, nous sommes forts. Il faut travailler à avoir une liste commune dans toutes les localités où c’est possible, aux prochaines élections locales. Il faut faire la même chose pour les Législatives. Macky Sall va tout faire pour casser cette dynamique de l’opposition. Il l’avait dit à Kaffrine. Il ne faut pas lui donner cette opportunité’’.

Selon le député de la diaspora, l’opposition doit, pour ce faire, apprendre des expériences électorales précédentes. ‘’Dans chaque département, on devait choisir comme tête de liste la personne la mieux placée. Si on l’avait fait, on aurait gagné ces élections. Et on lui aurait imposé la cohabitation’’.

Pour le docteur Cheikh Tidiane Dièye, ceci n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais lui aussi est d’avis que si l’opposition parvient à s’unir, Macky Sall n’aurait aucune chance.  ‘’Pour les élections, on verra plus tard. Nous n’en sommes pas encore là. Mais il est évident que le contexte politique actuel comme les réalités vers lesquelles on pourrait tendre, me fonde à dire qu’avec une unité forte de l’opposition, le président Macky Sall et sa coalition n’auront aucune chance aux prochaines élections. Je crois pouvoir dire que l’opposition est consciente de cet état de fait et travaille déjà dans ce sens’’.

MOR AMAR

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