Publié le 29 Jun 2022 - 00:37
PROCÈS MANIFESTANTS DU 17 JUIN

Déthié Fall condamné à six mois assortis du sursis et les autres prévenus relaxés 

 

Le procès des députés Déthié Fall, Mame Diarra Fam et des 84 autres manifestants s’est tenu hier, à la barre du tribunal des flagrants délits de Dakar. Arrêtés lors de la manifestation interdite du 17 juin, ils il sont poursuivis pour participation à une manifestation non-autorisée, de provocation à un attroupement, violences et voie de faits contre les personnes et de trouble à l'ordre public. 

 

Après dix jours de détention provisoire, les députés Déthié Fall, Mame Diarra Fam et les 84 personnes arrêtées lors de la manifestation interdite du 17 juin dernier, ont fait face, hier, aux juges du tribunal de grande instance de Dakar. L’audience spéciale s’est tenue à la salle 4 du tribunal des flagrants délits. Les débats ont commencé dans une ambiance houleuse. Les échanges entre avocats et membres du tribunal sont ouverts par le juge. Celui-ci, dès qu’il a évoqué l’affaire, a tenu à répondre à un leader de Yewwi Askan Wi qui soutenait que le procès a été renvoyé le mercredi dernier pour enlever aux députés leur éligibilité. ‘’Le renvoi a été prononcé pour éviter de prolonger la détention des prévenus et de porter atteinte aux droits des autres prévenus qui doivent être jugés ce lundi. En ce moment même, une audience de flagrant délit est en train de se tenir dans une autre salle, avec plus d’une cinquantaine de personnes’’, explique le juge. Ce, avant que les conseils de la défense ne lui signifient que ce renvoi n’avait pas sa raison d’être.

Sur ces entrefaites s’installe un nouvel incident d’audience qui, cette fois-ci, oppose le procureur de la République à l’avocat Ibrahima Diawara. Le maître des poursuites, qui déplore la manière dont lui parlait la robe noire peste : ‘’Votre façon éhontée d’interpeler les gens est indigne.’’ Ces mots dits, le président du tribunal a fait revenir le calme dans la salle avant que l’avocat ne donne sa réplique.

Mais le calme a été de courte durée, car ayant constaté l’absence des prévenus dans le box des accusés, il a suspendu l’audience, le temps que les gardes pénitentiaires les convoient dans la salle. Un brouhaha s’installe dans la salle. Ce bruit atteint son paroxysme quand les 84 prévenus débarquent dans la salle avec,  à leur tête, les députés Déthié Fall et Mame Diarra Fam. Toute l’assistance s’est levée pour les accueillir avec des salutations ponctuées par des cris d’enthousiasme. Le président rappelle à l’ordre le public. ‘’Nous sommes dans une audience pénale. Il faut avoir de la retenue et respecter le tribunal’’, tonne le magistrat avant de déclarer ouverts les débats.

Les prévenus, à l’unanimité, font du système de la dénégation leur arme de défense 

Les prévenus sont poursuivis pour participation à une manifestation non autorisée, de provocation à un attroupement, violences et voie de fait contre les personnes et de trouble à l'ordre public. Afin que l'instruction d'audience se passe vite, le juge avait scindé le groupe des 84 prévenus en lots. Faisant partie du premier groupe à être jugé, le parlementaire Déthié Fall a non seulement contesté les faits, mais il a vigoureusement révélé au tribunal avoir été enlevé puis détenu au commissariat. Ainsi, il a commencé par dire : ‘’Bien évidemment, je rejette tous ces faits. Et je n'en reconnais aucun’’,  a-t-il répondu. Sur la manifestation non autorisée, le mandataire de la coalition Yewwi Askan Wi informe avoir introduit une demande d’autorisation auprès du préfet de Dakar. Mais, reconnaît-il, sa requête a été rejetée par l’autorité administrative. Toutefois, il renseigne qu’un recours a été introduit au niveau de la Cour suprême.

‘’La notification de l'interdiction de la manifestation nous est parvenue à 15 h et moi, j'ai été enlevé à mon siège à 16 h. J’ai dit au gendarme qui m'a enlevé qu'il fallait qu'ils viennent en nombre. Comment peut-on maintenir une manifestation dans son siège, alors qu'elle a été tenue à la place de l'Obélisque ? J'ai été enlevé par la gendarmerie. Et lorsque j'ai demandé, on m'a servi comme réponse que c'était un ordre qui venait d'en haut. Monsieur le Procureur, nous sommes au Sénégal et le droit de manifester et de faire une déclaration est inscrit dans cette Constitution.

Et c'est cette déclaration que j'ai faite devant le préfet. Donc, je ne suis pas là pour justifier le fait d'avoir introduit une demande de manifestation qui est inscrite dans la Constitution, mais pour répondre sur une manifestation qui n'a pas eu lieu. C'est une manifestation qui ne s'est pas tenue. Qu'est-ce qui m'est reproché ? C'est d'avoir fait une déclaration. Je n'ai pas participé à une manifestation, parce qu'elle n'a pas eu lieu’’, s’est défendu le coordonnateur national de Yewwi Askan Wi qui a précisé n'avoir pas mis à la barre son  écharpe de député du fait qu'il n'a pas été considéré comme tel, parce que, dit-il, il connait très bien ses droits puisqu’étant un intellectuel de haut niveau. Et selon lui, si on avait respecté ses droits, il ne serait pas à la barre aujourd'hui. 

Déthié Fall atteste n’avoir participé à aucune manifestation, tandis que Mame Diarra Fam déplore la manière dont elle a été arrêtée 

Entendue, Mame Diarra Fam conteste tous les chefs d’infraction retenus contre elle. La députée de la diaspora déplore la manière dont elle a été jetée dans le fourgon de la gendarmerie. ‘’Je n’ai participé à aucune manifestation. J’ai été arrêtée à la Sicap Baobab, alors que j'étais chez Barthélemy Dias. Le jour des faits, quand j'ai appelé chez Barthélemy Dias, on m'a informé qu'il n'y avait pas d'incident avec des gendarmes ni de manifestation. J'étais avec mes enfants pour leur faire visiter ce qui a été fait de bons et de mauvais dans ce pays. Mais comme ma fille Fatima est un fan de Barthélemy Dias, nous sommes allés là-bas et j'ai brandi ma carte de député aux gendarmes qui étaient chez lui. Au moment où je criais le nom de Barthélemy Dias parce que l’ayant aperçu  en haut, un gendarme m'a poussée jusqu'à me mettre dans la fourgonnette avec un commentaire de l'adjudant que je n'apprécie pas’’, a-t-elle soutenu.

La députée, dépitée à cause de la manière dont elle a été traitée par les gendarmes, poursuit : ‘’Ils ont laissé mes enfants seuls, alors qu'ils ne connaissaient personne là-bas. C'est la plus grande qui détenait mon portable et qui avait avisé leur tante à propos de mon arrestation.’’ Tout en affirmant que se rendre chez Barth n’est pas un délit, Mame Diarra Fam martèle : ‘’Si je sors demain, la première chose que je vais faire, c'est aller chez Barthélemy Dias, parce la loi me le permet. Quand j'ai été à la gendarmerie, j'ai été bien traitée et je sais que mon arrestation n'est pas de leur faute. J'ai constaté que mon arrestation venait d'en haut, parce que je dérange.’’

Parmi les prévenus, certains sont des manifestants, d’autres des gardes du corps de Barth,  de Sonko… 

 Pour ce qui est des quatre agents de protection rapprochée de Barthélemy Dias, à savoir Abdoul Mbathie Ndiaye, Abdoulaye Guèye, Djiby Niass et Bassirou Diop, ils ont tous réfuté les accusations qui pèsent sur eux. Ils ont, devant le prétoire, déclaré qu'ils étaient au domicile de l'actuel maire de Dakar pour juste veiller à la sécurité du quartier et dissuader des jeunes qui semaient le trouble en jetant des projectiles. ‘’Depuis que j'ai quitté l'armée, je travaille comme garde du corps. Je suis le garde du corps de Barthélemy Dias que j'ai connu depuis que j’ai quitté l'armée, en 1993’’, a laissé entendre Bassirou Diop.

Par ailleurs, pour ce qui est des gardes du corps du leader du Pastef, Ousmane Sonko, deux ont été jugés. Il s'agit de Daouda Sèye, El Hadji Alioune Sène, Mouhamed Lamine Sylla, Modou Diaw, Libasse Manga, Souleymane Kane, Pape Oumar Diop, Djibril Coly et Moustapha Diedhiou. D'après leurs déclarations à la barre, ils ont été pour la plupart arrêtés entre 7 h et 8 h, alors qu'ils étaient sur les lieux pour travailler. D'autres ont dit avoir été interpellés à leur arrivée dans la demeure de Sonko. Si certains ont déclaré qu'ils étaient en tenue de travail, d'autres ont révélé qu'ils avaient leur carte professionnelle par-devers eux. ‘’On m'a interpellé, alors que je m'apprêtais à entrer chez Ousmane Sonko pour travailler. J'étais en tenue civile et j'avais ma carte professionnelle. C'est vers 9 h, alors qu'il n'y avait personne, qu’on nous a interpellés. On ne nous a même pas laissé accéder à la maison’’, a soutenu l'un des gardes du corps de Sonko, Daouda Sèye. 

Un ancien journaliste de ‘’Dakar Times’’ dans le lot des manifestants jugés hier

Parmi les 84 manifestants qui ont comparu à la barre hier, certains soutiennent qu’ils étaient uniquement de passage à Dakar pour des raisons commerciales. D’autres sont des étudiants et même un journaliste a été jugé hier à la barre, en l’occurrence  Aliou Ngom. Ce dernier était établi au Maroc et  est de retour au Sénégal depuis un mois. ‘’Après avoir fermé les locaux de mon cabinet de communication, un de mes associés et moi avons pris un taxi. Comme presque toutes les voies qui mènent à la cité Keur Gorgui étaient barrées, j’ai proposé au chauffeur de taxi de faire un détour. C’est en cours de route que j’ai été arrêté’’, a-t-il relaté tout en reconnaissant n’avoir pas sa carte de presse sur lui, au moment des faits.

De dénégation en dénégation, les prévenus relataient leurs mésaventures de cette journée du 17 juin. Un maçon, parmi eux, s’est plaint des sévices que lui ont fait subir les forces de l’ordre, alors qu’il venait de quitter son chantier.

Le parquet requiert des peines de prison allant de un an à six mois d’emprisonnement ferme contre les comparants

Après sept tours d’horloge, les débats d’audience ont été clôturés. La parole a été donnée au substitut du procureur de la République pour ses réquisitions.

Selon le maître des poursuites, c’est un procès qui est inédit à tout point de vue. ‘’D’abord, par la nature des infractions. Ce sont des infractions commises contre la chose publique. Il ne peut y avoir ni de compromis ni de tergiversations (…) La justice doit fixer des limites et  les faire accepter. Nous tous, nous savons ce qui s’est passé à la suite d’une manifestation organisée par une partie de la classe politique. Comme toute chose qui concerne la société il y a une réglementation, dans ce contexte, le préfet, dans une décision régalienne, a considéré que la manifestation ne pouvait pas se tenir. Tout le monde devait se plier à cette décision ou faire un recours.

D’ailleurs, c’est ce qu’ils ont fait. Mais Déthié, en dépit de la décision du préfet et de la justice, vous avez  décidé d’organiser la marche’’, a relevé le représentant du parquet. ‘’J’ai écouté religieusement Déthié Fall. Au regard des débats d’audience, on peut lui  imputer le fait  d’avoir provoqué un attroupement, d’avoir fait des actions diverses qui ont conduit à des violences faites sur des personnes’’, a-t-il poursuivi, tout en déplorant le ton ‘’martial’’, du prévenu. ‘’Avec un ton martial, il a mobilisé ses troupes. Ce que je reproche à Déthié Fall. Il est certain qu’il a une intelligence hors norme, mais il n’ignorait pas ce qui pouvait l’attendre en posant ses actes. A cause de lui, la liberté d’aller et de venir a été anéantie. La peur se lisait sur le visage des populations. C’est l’anarchisme qui s’installe’’, s’est offusqué le substitut du procureur de la République.

Pour Mame Diarra Fam, le magistrat du parquet reste convaincu qu’elle n’ignorait pas qu’il y avait un rassemblement chez le maire de Dakar. ‘’Ses tentatives de dénégation ne peuvent pas prospérer. Tous les délits qui lui sont reprochés sont constants’’, a tonné le procureur. 

In fine, il s’est remis à la sagesse du tribunal, en ce qui concerne une dizaine de manifestants. Selon lui, il n’y a pas suffisamment de preuves pour asseoir leur culpabilité. Pour les autres manifestants, il a exigé qu’ils restent dans les liens de la détention. Il a requis une application stricte de la loi qui tient en compte la personnalité des prévenus.

‘’Pour Déthié Fall, on ne note aucun regret dans ses propos. Il a choisi de ne pas respecter la loi. Qu’il soit condamné  à un an de prison dont six mois ferme. Abdou Mbathie Ndiaye, qui se permet de venir à une manifestation avec des armes dangereuses, je requiers aussi un an ferme à son encontre. Enfin, je demande que les autres prévenus dont Mame Diarra Fam soient condamnés à six mois ferme’’, a requis le maître des poursuites.

La défense sollicite le renvoi des fins de la poursuite de tous les prévenus 

Les avocats de la défense, lors de leurs plaidoiries, ont dénoncé les arrestations ‘’arbitraires’’ du 17 juin. Selon les conseils des prévenus, pour une manifestation qui n’a pas eu lieu, des personnes dont des députés sont arrêtés et placés en détention pendant 10 jours. ‘’Que reproche-t-on à ces individus qu’on a arrêtés. Mame Diarra Fam et Dethié Fall sont blancs comme neige. Pourquoi les maintenir en prison comme des malpropres, des malfrats ? On a piétiné leur dignité’’, s’est offusqué Me Ousseynou Fall. A l’instar de ses collègues, il a sollicité le renvoi des fins de la poursuite de tous les comparants.

Au terme des plaidoiries, le verdict a été rendu à 1h 20 du matin. Déthié fall est reconnu coupable d’être l'auteur de la manifestation organisée. Il a écopé d’une peine six mois avec sursis et une amende de 100mille francs CFA. En outre, il est relaxé  pour le chef de participation à un attroupement non-autorisé et interdit. Quant aux autres prévenus dont la députée de la diaspora Mame Diarra Fam, ils ont tous été relaxés. 

MAGUETTE NDAO 

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