Publié le 1 Apr 2021 - 23:39
PROFESSEUR DIDIER RAOULT

‘’ Si on ne travaille pas… on ne dit que des bêtises’’

 

Venu spécialement en mission sur l’étude de la Covid-19, le professeur Didier Raoult et ses partenaires de l’Iressef et de l’IRD veulent découvrir les sources des variants trouvés au Sénégal, mais également former les jeunes dans la recherche.

 

C’est un professeur Raoult fidèle à lui-même, très libre d’esprit qui a fait face, hier, à la presse. En mission au Sénégal depuis quatre jours, le médecin français, spécialiste des maladies infectieuses, a posé le diagnostic des différents variants trouvés dans le pays. Des découvertes faites avec son collègue chercheur du Sénégal, le professeur Souleymane Mboup de l’Institut de recherche en santé de surveillance épidémiologique et de formation (Iressef).

Pour le professeur de microbiologie à la faculté des Sciences médicales et paramédicales de Marseille, cela fait plusieurs années qu’ils travaillent ensemble, dans le cadre de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Depuis 2008, dit-il, ils se penchent sur les maladies infectieuses, surtout sur le plan du diagnostic et de la compréhension. ‘’Il fallait sauter tout le XXe siècle. Il ne fallait pas recommencer ce qui était une tendance longue dans les pays qui étaient les plus pauvres. Il faut passer directement au XXIe siècle, avec les outils les plus modernes et on a fait la preuve de cela, en mettant dans le Sine-Saloum un laboratoire de biologie moléculaire entièrement basé sur les technologies moléculaires’’, renseigne-t-il.

 Cela a été fait, alors qu’il n’y avait même pas d’électricité dans ces régions. A son avis, il est absolument nécessaire de construire une technopole. En Afrique, il y en a une à Kinshasa et à Bamako, malgré la difficulté de la situation actuelle. ‘’Il n’y en a pas de technopole supérieure à cela, actuellement, en France. Donc, le gap s’est creusé. Non seulement cela, il y a le goût de la technologie et l’envie d’être dans le flux de ce qui se passe’’. Cela, soutient l’infectiologue, amène un appétit chez les plus jeunes et un appétit chez les Sénégalais. Ce qui, dit-il, est tout à fait remarquable.

‘’Pour conséquence, on a publié les premiers variants, lorsque les gens disaient que les variants n’existaient pas. On a publié un variant venu d’Afrique et des génomes qu’on a fait du Sénégal et puis, ce qui est passé par le Maghreb et qui est arrivé à Marseille par bateau. On a découvert le variant anglais, 4 mois après et jusque-là, les gens disaient que cela n’existait pas. Ce qui est une bêtise ignorante. Mais si on ne travaille pas et qu’on ne regarde pas les données réelles, on ne dit que des bêtises. C’est un principe que nous partageons avec Souleymane’’, fait-il savoir.

Actuellement, les deux chercheurs sont en train de chercher la source de ces variants. Parce que, explique le Pr. Raoult, souvent, ces variants ont des sources zoonotiques. D’ailleurs, c’est chez les animaux qu’ils sont développés. ‘’En Europe, les énormes problèmes que nous avons sont probablement en grande partie dus aux élevages de bisons. Ils ont généré des quantités de variants dont, on vient de l’apprendre, celui qui a tué le plus que tous, qu’on appelle le ‘Marseille 4’, qu’on vient de publier. Il est revenu ici, avec une partie de France. Il y a d’autres variants qui sont issus de l’élevage de bisons. Nous cherchons s’il y a un réservoir animal qui a permis l’émergence de ce variant qu’on a découvert ensemble’’, renseigne-t-il.

‘’Notre souhait, c’est de faire des sauts de génération’’

 Ces recherches vont leur permettre, fait-il savoir, de faire le point sur l’émergence de ces variants, les fréquences relatives, les ondes et sur les épidémies. Selon lui, les données exhaustives à Marseille représentent des variants différents. C’est pour cette raison que cela donne un aspect bosselé. ‘’En réalité, ce n’est pas une maladie, c’est un variant qui arrive. Il est plus ou moins sévère, plus ou moins contagieux, touche les personnes plus ou moins jeunes. Toutes ces choses, on a besoin de les comprendre. On essaie de développer ensemble des outils pour les comprendre. Ici, l’idée, c’est qu’au niveau technologique, les équipements soient les mêmes’’, souligne le Pr. Raoult.

Dans la même veine, le docteur Cheikh Sokhna souligne que l’idée est de voir la réalité des choses. Parce que, quelquefois, on parle de réservoir animal, d’hôte intermédiaire et, dans la presse, on parle beaucoup de variants, notamment sud-africain, brésilien, anglais. Mais, dans les épidémies, signale-t-il, le plus important est l’origine des variants. ‘’En Europe, la 1re et la 2e vague sont des maladies qui sont différentes ; au Sénégal, cela doit être la même chose. Ils sont en train des mettre des outils de diagnostic rapide et faire une veille des variants et une surveillance des virus qui circulent éventuellement, pour mieux traquer le virus et mieux isoler les gens qui sont testés positifs’’, révèle-t-il.

D’ailleurs, le professeur Didier Raoult informe qu’ils ont formé, actuellement, 15 ou 20 jeunes Sénégalais pour le transfèrement des technologies. Il va y avoir encore une dizaine qui reviennent au Sénégal pour mettre en place les stratégies qu’ils ont apprises, pour qu’ils partagent le même niveau scientifique et technique.

Concernant son collègue chercheur, le Pr. Raoult trouve en lui une personne qui a la même conception des choses que lui. Ce que confirme le professeur Souleymane Mboup, Directeur de l’Iressef.  ‘’Nous nous sommes découvert les mêmes objectifs. C’est-à-dire de former la prochaine génération. Mais en particulier sur les techniques d’avenir. Notre souhait est de faire des sauts de génération. Je veux dire utiliser les technologies les plus récentes pour essayer d’aller beaucoup plus loin, tout en suivant les voies traditionnelles. Cela est une passion que nous avons, mais également, c’est une stratégie de faire disposer vraiment de différents centres des équipements les plus récents qui permettent d’aller au niveau des découvertes’’, explique le Pr. Mboup.

Selon lui, le Pr. Raoult a le plus fait de découvertes de nouvelles bactéries dans le monde. Il a formé une génération et cette formation peut se faire localement. Elle peut se faire, précise-t-il, également en Europe dans son institut. ‘’Mais c’est au-delà de sa capacitation, de faire des transferts de technologie, que les gens qui sont formés aux technologies les plus modernes puissent les appliquer dans notre contexte. C’est pour cela que nous avons établi beaucoup de partenariats, de programmes et de gens formés, soit à l’institut, soit revenus et qui continuent l’avancée des différentes études que nous menons ensemble’’.

VIVIANE DIATTA

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