Publié le 7 Apr 2020 - 22:52
PROLONGATION DE LA FERMETURE DES ÉCOLES

L’équation des mensualités

 

L’enseignement traverse encore, cette année, des difficultés au Sénégal, non pas à cause des perturbations liées aux grèves, mais plutôt à la pandémie de la Covid-19. Seulement, ces mois sans scolarité risquent de se répercuter sur le fonctionnement des établissements privés qui peinent à recouvrir les mensualités et ainsi faire face à leurs charges fixes.

 

L’impact de la pandémie du coronavirus se fait ressentir dans tous les secteurs. Outre l’hôtellerie et la restauration, l’enseignement privé au Sénégal est en train de vivre les conséquences de cette maladie. En effet, avec la prolongation de la fermeture des établissements scolaires et universitaires jusqu’au 4 mai prochain, de nombreux parents se demandent s’ils doivent payer les mois de ‘’congés’’. Parallèlement, les structures scolaires et universitaires font face à des charges importantes. C’est le cas du cours privé Ibrahima Diarra de Grand-Yoff. Dans cet établissement, les parents, d’après le directeur, sont restés aphones depuis l’annonce de l’arrêt des cours en mi-mars dernier.

‘’Les parents ne passent même plus à l’école pour s’enquérir de la situation, et comme ils ne subissent pas de pression, ce sera difficile de les faire réagir. En temps normal, on était obligé de renvoyer des élèves à partir du 10, pour rentrer dans nos fonds. Aujourd’hui, les bulletins du premier semestre des élèves sont toujours là et les parents peinent à se présenter pour les récupérer’’, explique Arouna Bakayoko, Directeur de cet établissement scolaire. Parallèlement, l’instituteur explique qu’ils font face à d’autres charges liées, entre autres, à la masse salariale, avec des enseignants permanents à payer durant toute l’année, la location à raison de 400 000 F CFA par mois. A cela s’ajoute, déplore-t-il, les charges fixes : l’eau, l’électricité et le téléphone.

Le directeur de l’école privé Cheikh Anta Diop de Pikine émet les mêmes complaintes. Pour Mamadou Cissé, cette situation risque d’accélérer la précarité dans les ménages. D’après le secrétaire général de la Convention des écoles privées de Pikine, les écoles, pour la plupart, ne prévoient pas ce genre de situation et n’ont, par conséquent, pas de fonds réservés à payer les salaires au mois le mois, surtout en banlieue et dans les régions. ‘’Pour la plupart, notre personnel est vacataire, il est payé par heure, ce qui veut dire que ces enseignants risquent de ne rien percevoir. Nous sommes en train de voir comment les accompagner pour qu’ils puissent avoir une partie de leur salaire du mois d’avril. Tout cela est à discuter et à amender, après que l’Etat nous a donné des gages réels d’accompagnement’’, fait savoir M. Cissé.

’Je me demande si certaines écoles pourront tenir…’’

Ces jours sombres ne sont pas uniquement vécus par les établissements élémentaires et du moyen secondaire privé ; l’enseignement supérieur est également affecté. À en croire le directeur de l’Institut professionnel de l’entreprise (IPE) la situation des établissements de l’enseignement privé est plus complexe, à cause des dettes que leur doit l’Etat qui, dit-il, leur a envoyé des étudiants sans les prendre en charge. ‘’Je me demande si certaines écoles pourront tenir, d’ici la reprise. C’est difficile d’estimer le manque à gagner, mais sachez qu’il y a une baisse de plus de 40 % de notre chiffre d’affaires. La situation se pose en termes de survie’’, indique Daour Diop.

Seulement, d’après le porte-parole du Cadre unitaire des organisations d’établissements privés d’enseignement supérieur (Cunepes), les étudiants gagneraient à se régulariser car, explique-t-il, en matière d’enseignement supérieur privé, dès que l’étudiant s’inscrit, la scolarité annuelle est due. ‘’En réalité, on aurait pu exiger le règlement de la scolarité annuelle, comme cela se fait dans certains établissements. C’est pour faciliter le paiement au parent qu’on le répartit sur des mois. Ces périodes sans enseignement sont à rattraper. Donc, ils doivent se mettre en règle à la reprise’’, estime M. Diop. Qui précise qu’aucun cumul d’arriérés ne sera toléré, même s’il y a prolongement de l’année.

Le groupe Les Pédagogues vit une situation relativement meilleure que la plupart des établissements scolaires. En effet, ce groupe de six écoles d’enseignement élémentaire et moyen secondaire prévoit le paiement de ses scolarités à l’avance. Ce qui fait que, d’après le déclarant responsable du groupe, le payement du mois de mars a été recouvré. Mieux, explique Madièye Mbodj, pour le mois d’avril qui vient de démarrer, les parents réagissent de façon individuelle. ‘’Certains viennent payer d’eux-mêmes, sans qu’on ne leur envoie de correspondance pour ne pas accumuler d’impayés. La plupart attendent d’y voir plus clair et se demandent si l’année sera normale et ne viennent pas payer pour ne pas avoir de mauvaises surprises et nous-mêmes n’avons pas encore de réponses à ces questions. Si l’Etat ne prend pas de mesures pour soutenir l’enseignement privé qui est soumis à des obligations patronales, sociales… réglementées, les établissements vont être dans de grandes difficultés. On est obligé de recourir à des prêts à rembourser’’, soutient M. Mbodj, responsable de la coalition Yonnu Askan Wi/ Mouvement pour l’autonomie populaire.

Aujourd’hui, ces établissements privés sollicitent l’appui de l’Etat pour sortir de cette impasse créée par l’état d’urgence qu’ils jugent cependant salutaire.

‘’Si l’Etat ne nous aide pas, c’est la catastrophe’’

Arouna Bakayoko, du cours privé Ibrahima Diarra de Grand-Yoff, renseigne que son établissement va, pour ce mois, se débrouiller avec ses économies pour payer les salaires. Pour les mensualités à venir, il donne sa langue au chat. ‘’Nous n’avons pas demandé à fermer nos établissements, c’est l’Etat qui l’a décidé et on se conforme à ses directives. On doit être dédommagé au même titre que le secteur privé et les autres structures. Si l’Etat ne nous aide pas, c’est la catastrophe’’, prévient le directeur d’école.

Notre interlocuteur précise que son établissement ne bénéficie pas de subvention de l’Etat, car faisant partie, d’après lui, des établissements autorisés et non reconnus. ‘’Les écoles privées reconnues par l’Etat, on les compte du bout des doigts, car il faudrait avoir un certain nombre de permanents, verser des cotisations à l’Ipres, à la Caisse de sécurité sociale. Ce qui fait que sur 100 écoles privées, les 80 ou 90 sont des écoles autorisées et non reconnues’’, renseigne M. Bakayoko.

Au groupe Les pédagogues, sur les six établissements, le déclarant responsable indique qu’un seul est subventionné. Ce qui pousse d’ailleurs Madièye Mbodj à rappeler à Macky sa première sortie au début de la crise. ‘’L’Etat avait donné une liste de structures à soutenir, négativement impactées par la situation, et sur cette liste, figurait les établissements d’enseignement privé. Par la suite, on a vu qu’on a enlevé la mention d’enseignement privé pour maintenir les autres secteurs. Il va falloir évaluer de façon rigoureuse cet impact sur les salaires, les emplois sur le niveau et la qualité de l’éducation’’, poursuit M. Mbodj. Pour lui, il faudra mener des démarches auprès des ministres de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur… du président de la République, afin de les sensibiliser sur la situation particulière que vit l’enseignement.

Dans le même sillage, Daour Diop du supérieur estime que si l’Etat apporte des soutiens à certains secteurs, l’enseignement privé doit être prioritaire. ‘’Nous sommes le secteur le plus affecté par cette crise. Nous demandons à être subventionnés pour deux à trois mois pour pouvoir faire face à nos charges courantes’’, indique le porte-parole du Cadre unitaire des organisations d’établissements privés d’enseignement supérieur (Cunepes).

Parallèlement, ces enseignants du privé s’engagent, pour l’essentiel, à accompagner les apprenants, dès que la reprise sera effective, afin de sauver l’année en cours. ‘’S’il n’y avait pas ce problème-là, mes classes de CM2 et de 3e fonctionneraient normalement durant les vacances de Noël et de Pâques à notre propre charge. Maintenant, je ne peux pas convoquer les élèves. Si, par chance, on reprend à cette date, je vais discuter avec les enseignants pour des cours de renforcement pour les classes d’examen. On va mettre la main à la poche pour cela’’, promet-il.

MAMADOU MOUSTAPHA DIAGNE

‘’Le ministère n’écarte pas la possibilité du réaménagement du calendrier scolaire’’

Le directeur de la Formation professionnelle et de la Communication du ministère de l’Éducation nationale, Mamadou Moustapha Diagne, joint par ‘’EnQuête’’, indique que le ministère accueille favorablement toutes les initiatives concourant à assurer la continuité pédagogique.

‘’D’ailleurs, ajoute-t-il, nous avons déjà demandé à tous les acteurs du système éducatif de nous accompagner dans la vulgarisation‘’. Il annonce également que dès la reprise des cours, le ministère évaluera les heures perdues. ‘’C’est ce qui nous permettra d’apprécier réellement la situation et de prendre des décisions. Le ministère n’écarte pas la possibilité du réaménagement du calendrier scolaire qui déterminerait alors la fixation de nouvelles dates d’examen‘’, fait-il savoir.

Il précise que si on réaménage le calendrier scolaire, les dates d’examen seront certainement repoussées. Ainsi, poursuit-il, le ministère travaille sur l’amélioration du dispositif avec une campagne d’information et de sensibilisation.

AIDA DIÈNE

HABIBATOU TRAORE

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