Publié le 5 Oct 2016 - 01:40
PUBLICATIONS, PROJET MESR, ENSEIGNEMENT, PLAN STRATEGIQUE…

Une mise à mort programmée ?

 

Des recherches déjà bouclées mais jamais publiées, une convention de recherche mal exécutée, un plan stratégique qui cache des non-dits et une tentative de faire enseigner les chercheurs. En voilà quelques faits qui, à l’Ifan, étaient perçus dans un premier temps comme une suite de maladresses. Mais avec le temps, ils se sont révélés, aux yeux des chercheurs de l’institution, comme une véritable stratégie de démantèlement.

 

Entre le personnel de l’Ifan et son directeur Hamady Bocoum, il n’y a pas que les collections qui sont source de différends. Il y a plusieurs points que nos interlocuteurs disent avoir considérés dans un premier temps comme des faits certes malheureux, mais isolés les uns des autres. Aujourd’hui avec le recul, ils croient avoir trouvé les différentes pièces du puzzle pour comprendre enfin ce qui se passe.

L’un de ces points est relatif aux publications de l’Ifan. D’après nos sources, avant l’arrivée de M. Bocoum à la tête de l’institution, la recherche était dans un état peu enviable. Il a trouvé sur place des chercheurs qui certes se débrouillaient tant bien que mal, mais ils étaient démoralisés par le manque de moyens et d’organisation.

M. Bocoum a montré une détermination sans faille à relever le défi. Il a alors créé une synergie très positive autour de lui. Les recherches ont été mieux organisées. De projets obtenus et montés par les chercheurs de façon isolée, on est passé à des projets portés par l’institution. Tout allait donc bien. Les chercheurs de l’intérieur comme de l’extérieur ont rempli leur part de contrat et déposé les articles, fruits de leurs travaux.

Mais depuis lors, l’argent n’est pas dégagé pour la publication des bulletins. Selon nos informateurs, seule une portion congrue du budget de l’année dernière destiné aux publications a été utilisée. Ces allégations sont confirmées par le projet de budget primitif 2016 de l’Ifan. À la page 20 du document, à la rubrique publications pour l’année 2015, il est mentionné le montant 7,5 millions pour le budget et 1 ,4 million pour les réalisations.

Ce qui veut dire qu’il reste 5,1 million qui n’ont pas été utilisés pour sortir des publications. Nos interlocuteurs ne savent pas pourquoi l’argent n’a pas été décaissé. Et pourtant, ajoutent-ils, la dame en charge de ce département avait demandé des moyens financiers pour la publication  des bulletins déjà finalisés. Mais on lui avait répondu qu’il n’y avait plus rien dans les comptes. ‘’Elle était furieuse quand elle a vu qu’il restait 5 millions à la caisse, pendant que des publications attendaient’’, ajoute-t-on.

Si l’on en croit des travailleurs de l’Institut, depuis que M. Bocoum est là, il n’y a eu aucune publication sortie sous son autorité. Pendant ce temps, sept publications attendent dans les tiroirs depuis deux ans. Une négligence qu’ils n’arrivent toujours pas à comprendre. ‘’Quand on parle d’un Institut de recherche, on pense aux publications. C’est la preuve que les gens travaillent’’, souligne-t-on. Aujourd’hui que M. Bocoum est arrivé à la fin de son mandat à la tête de l’Ifan, nos interlocuteurs soulignent qu’il veut sortir le maximum de publications avant de partir, ‘’histoire de reluire un bilan déjà terni’’.

130 millions de francs CFA pour une convention de recherche

Autre élément du dossier, la convention de partenariat entre le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (Mesr) et l’Ifan, signée le 23 juin 2014. Le Mesr s’engageait dans ledit document à verser 150 millions de francs CFA à l’Ifan. Les 130 millions devaient servir à ‘’l’acquisition d’intrants et d’équipements scientifiques’’ et les 20 millions pour ‘’un appui institutionnel’’. ‘’L’Ifan Ch. A. Diop s’engage à réaliser dans un délai de douze mois, à compter de la date de signature, deux projets de recherche que sont : projet 1 : Inventaire du patrimoine culturel et naturel dans les nouveaux pôles urbains de Diamniadio et du Lac Rose. Projet 2 : radioscopie des inondations dans la région de Dakar’’, lit-on dans la convention. 

Sur ce point, il y a ce qui ressemble bien à une contradiction dont le responsable n’est autre que le département dirigé par le professeur Mary Teuw Niane. En effet, la réalisation des deux projets cités nécessite des enquêtes de terrain, notamment linguistiques et sociologiques, des fouilles archéologiques d’une quantité importante. Il faut donc un budget pour cela. Mais à la place d’un budget de recherche, le ministère parle d’acquisition d’intrants et d’équipements scientifiques pour 130 millions de francs CFA. Ce qui veut dire qu’il n’y aura que des miettes pour le travail de terrain. Nos sources n’ont pas manqué non plus de relever le paradoxe qui consiste à démarrer des constructions sur les sites de Diamniadio et le Lac Rose, pour venir derrière mener des enquêtes, avec le risque de voir certains objets ou faits historiques déjà emportés par les gros engins. 

Dans le contrat, il était également dit que l’Ifan devait produire, ‘’à compter de la date de réception des fonds, un rapport technique et financier semestriel’’ d’avancement des travaux à déposer au ministère. Il était aussi prévu ‘’un chronogramme annuel d’exécution de ces travaux qui devra être validé par le Mesr’’. Et enfin, à la fin des travaux, l’Ifan devait produire un rapport des travaux en trois exemplaires, à la fois sur supports papier et électronique. Bref, l’institut de recherche devait présenter des rapports d’étape et un rapport final qui devaient être déposés le 23 juin 2016, un an après la signature, comme prévu par la convention.  Pourtant, nos interlocuteurs sont formels. L’Ifan est incapable de sortir des rapports d’étape, encore moins un rapport final ou le résultat des études. La raison est simple : il n’y a jamais eu d’étude jusqu’ici. Juste quelques missions d’inspection sans suite.

Les tentatives de faire enseigner les chercheurs

Et pourtant, le ministère a bien rempli sa part du contrat. Il a dégagé une première tranche de 50 millions de francs CFA. Le décaissement de la suite devait dépendre des résultats de la première tranche. Mais à l’Ifan, le montant encaissé a plutôt servi à acheter deux véhicules pour une valeur de 30 millions de francs CFA environ. À la signature de la convention, le personnel s’était pourtant organisé. L’Ifan a mis en place trois pôles : un pôle inondation, un pôle pour les nouvelles villes et un troisième pôle dit gouvernance. Mais faute de moyens, il n’y a pas eu de résultat. L’argument avancé par la direction est qu’il y a eu ‘’recours contentieux sur la demande de renseignement et de prix à compétition ouverte’’. Le ministère a alors décidé de reprendre les fonds (100 millions). En contrepartie, il accepte, selon le projet de budget de l’Ifan, de ‘’prendre directement en charge les dépenses inscrites dans le budget 2015 (matériels de cours et de travaux pratiques, produits de laboratoire, logiciels, matériels informatiques, connexion aux réseaux sans fil pour tous, séminaires, etc.).

Parmi les besoins exprimés par l’Ifan, il y a du matériel de cours et de travaux pratiques pour une valeur de 28 757 000 francs CFA, des logiciels à 1 518 000 francs CFA, du matériel informatique à 31 535 900 francs CFA et des produits chimiques à 2 985 000 F CFA. Soit un total de 64 795 900 F CFA. Ce qui suscite des incompréhensions, c’est que d’abord, sur les 150 millions de francs CFA de départ, il ne reste que moins de 40 millions de francs CFA alors que les études ne sont pas encore faites. Ce qui fait dire aux chercheurs de l’Ifan que ‘’c’est un échec programmé des projets qui donneront des arguments futurs au ministère de tutelle’’. Ensuite, pour une convention de recherche, ils se demandent pourquoi il faudra dépenser 28 millions de francs CFA pour du matériel de cours et de travaux pratiques. Surtout pour une entité qui n’a pas l’enseignement comme première vocation. Cette rubrique a d’ailleurs réveillé de vieux souvenirs chez certains. Ils se rappellent que le directeur a beaucoup insisté dans un passé récent pour que les chercheurs de l’Ifan donnent des cours, ce qui n’est pas une obligation. ‘’Le ministre avait aussi demandé aux chercheurs d’aller dans le sens des réformes, au lieu d’être des conservateurs’’, ajoute-t-on.

Faire de l’Ifan un centre de recherche

Ces inquiétudes et interrogations ont faire resurgir d’autres agissements dans la mémoire des chercheurs au sein de l’Ifan. En effet, on se souvient encore que lors des Concertations nationales sur l’avenir de l’Enseignement supérieur (Cnaes), des propositions étaient faites allant dans le sens de transformer l’Ifan en centre africain de recherches. Des propositions qui ont été très vite balayées à l’époque. Selon eux, aux États-Unis, un centre de recherche est un local que des chercheurs viennent transformer en quartier général le temps d’une étude avant de partir. Tout cela sans compter la tentative de création d’un poste de vice-directeur qui permettrait à l’actuel directeur de partir tout en laissant son homme de main sur place. Ce qui fait dire à nos interlocuteurs, qu’en réalité, la stratégie de démantèlement ne date pas d’hier. Par conséquent, tous ces évènements qui se succèdent ne sont qu’une suite logique, pensent-ils.  ‘’Notre problème, c’est la position de ce bâtiment qui fait face à la mer’’, soupirent-ils. 

S’agissant de ce poste de vice-directeur, il est apparu avec le projet de recherche. Dans la partie gouvernance de la convention, il a été question de réforme des textes. Les membres du pôle gouvernance devaient alors tenir des concertations. Mais à la place, on leur envoie, le 24 septembre 2015, à quelques jours de la tabaski, un document portant révision du règlement intérieur à valider.  Dans le document, il est dit qu’une assemblée de l’Ifan s’est tenue en mars exclusivement sur la nécessité de mettre en cohérence et d’adapter les textes de l’Ifan au nouvel environnement de l’enseignement supérieur. ‘’Des propositions de modifications du Conseil d’établissement ont été transmises au recteur, président de l’Assemblée de l’université’’, lit-on dans le texte.

Création d’un poste de vice-directeur

Parmi les points retenus, d’après toujours les rédacteurs du document, il y a la création d’un poste de vice-directeur chargé de la recherche. Pourtant, nos interlocuteurs sont formels. Cette assemblée de l’Ifan susmentionnée n’a jamais été tenue. Il s’agit d’une affabulation de la direction. Ce même texte suggère que l’Ifan soit habilité à délivrer des diplômes et des attestations. Ce qui lui conférera la compétence de créer des filières d’enseignement spécifiques. Dans ce même ordre d’idées, il est prévu que l’Ifan propose, en partenariat ou par co-habilitation, des masters de spécialité et des écoles doctorales thématiques.  Ce qui en ferait presque une faculté.

En résumé, nos interlocuteurs croient avoir décelé le manège à travers les agissements de M. Bocoum : ‘’piller les collections de l’Ifan, emporter une partie du personnel, offrir un argument au ministère de tutelle par le biais de l’échec de la convention, saboter les publications, placer un vice-directeur qui sera une future marionnette, introduire l’obligation d’enseigner. Le résultat final de tout cela serait que les musées de l’Ifan iront au ministère de la Culture, le Musée des civilisations noires va monter en puissance grâce aux collections de Théodore Monod. Alors, les chercheurs qui n’auront plus rien à faire seront versés dans les facultés et le bâtiment qui fait face à la mer sera utilisé à d’autres fins’’, accusent-ils.

HAMADY BOCOUM (DIRECTEUR DE L’IFAN)

‘’Je n’ai aucune réponse à donner’’

EnQuête a contacté par téléphone le directeur de l’Ifan, M. Hamady Bocoum, le jeudi 4 août dernier pour avoir sa version sur tous les griefs soulevés par ses collègues, mais il n’a pas souhaité s’exprimer. ‘’Sur toutes ces questions, je n’ai aucune réponse à donner’’, a-t-il dit au bout du fil’’.  24 heures après, il a été contacté à nouveau pour voir s’il avait changé d’avis. Mais il est resté sur sa position. 

 

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