Publié le 4 Jul 2020 - 20:33
STATUT DES NOTAIRES

La reculade de l’Exécutif

 

Sur demande de la Chambre des notaires du Sénégal (CNDS), Macky Sall désavoue le garde des Sceaux, lui demande de revoir le décret portant statut des notaires adopté en Conseil des ministres le 10 juin et lui intime l’ordre de se concerter avec la toute-puissance des notaires.

 

C’est une reculade qui va rester dans les annales de la présidence et de la République, si elle se concrétise. Le 10 juin dernier, le Conseil des ministres adoptait le décret portant réforme du statut des notaires. L’une des innovations phares de cette réforme tant attendue portait sur la retraite à 70 ans. Une mesure courageuse saluée par plusieurs observateurs. Etudiants, clercs et professionnels du droit applaudissaient cette avancée majeure qui allait contribuer à l’ouverture du notariat à bien des aspirants à cette profession, jusque-là réservée à quelques privilégiés de la République.

Depuis, c’est le branle-bas du côté de la CNDS (Chambre des notaires du Sénégal) surtout chez certains barons de la profession. Activant tous leurs réseaux, ils finirent par décrocher une audience, dès le 16 juin, soit six jours seulement après l’adoption dudit décret. Pour l’occasion, rapportent nos sources, c’est l’artillerie lourde qui a été déployée par la chambre pour faire fléchir l’Exécutif. Une forte délégation composée de la présidente Aissatou Sow Badiane, d’un autre membre du bureau, Alioune Ka, de deux membres du Comité directeur, Mes Tamaro Seydi et Jean-Paul Sarr, de deux sages, Mes Moustapha Ndiaye et Papa Sambaré Diop. Sur le tableau de leurs doléances, figuraient trois points essentiels.

Le premier avait trait au concours d’accès au stage de notaire ; le deuxième à la protection du notaire et de son exploitation ; le troisième portait sur la retraite.

Le moins que l’on puisse dire est que leur puissant lobbying semble sur le point de porter ses fruits. Non seulement Macky Sall a promis de faire revoir les dispositions incriminées, mais aussi de se concerter avec la chambre, la prochaine fois. Citant la présidente de la Chambre des notaires, nos sources rapportent : ‘’Le président de la République a prêté une oreille attentive à toutes les explications de la délégation et a instruit le garde des Sceaux de revoir certaines dispositions du statut, de l’envoyer à la Chambre des notaires pour informations, avant de lui présenter le projet final pour signature.’’

Et celui qui doit être dans ses petits souliers, suite à ce revirement exceptionnel, c’est surtout le garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Me Malick Sall. Lequel a été accusé, par les notaires, d’avoir fait adopter le nouveau statut sans tenir compte de leurs propositions relatives notamment aux points susvisés. Ce qui avait mis certains barons dans tous leurs états, surtout par rapport à la retraite et au concours, soulignent nos interlocuteurs.

Pourtant, les enjeux de ces réformes étaient énormes et fort appréciables pour le plus grand nombre. Pour en saisir la portée, il faut revisiter l’histoire même de cette profession, en particulier en ce qui concerne les modalités d’y accéder.

De l’institution du notariat dans les années 1800 à nos jours, les critères démocratiques et de compétence n’ont jamais prévalu pour accéder à ce métier. Pendant longtemps, il fallait être fils de ou, à tout le moins, avoir un parrain parmi les plus influents membres de la corporation. A partir de 2002, le régime d’Abdoulaye Wade modifie le statut, en instaurant un concours pour plus de démocratisation de l’accès à la profession de notaire. Lequel statut a été encore modifié en 2009, sans que le concours n’ait jamais été organisé. En 2013, sous l’impulsion d’Aminata Touré, à l’époque ministre de la Justice, le concours fut organisé pour la première fois de l’histoire.

Voilà quatre longues années, alors même qu’ils ont fini leur stage depuis 2016, que les 22 candidats issus de ce concours très sélectif ne parviennent pas à être intégrés. Aussi, les passe-droits continuent de plus belle dans le secteur. S’appuyant sur de supposées mesures transitoires, la chambre est parvenue à inscrire quelques-uns de ses protégés et n’a toujours pas dit son dernier mot. Selon nos informations, leur volonté est d’alléger les conditions d’accès à des clercs triés sur le volet.

Lors de cette même audience, les notaires ont frappé très fort. En sus de ces questions essentielles, le président Sall a aussi demandé au ministre de la Justice de finaliser le projet de réforme du Code de procédure pénale, en intégrant le privilège de juridiction des notaires. Là également, ordre a été donné à Maitre Malick Sall d’envoyer le projet à la CNDS.

Et le chef de l’Etat ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Il a aussi informé la délégation de l’affectation, au profit de la chambre, d’un terrain au niveau du pôle judiciaire de Dakar, à côté du nouveau palais de Justice, pour l’édification d’un centre de formation et de documentation.

ACCES AUX PROFESSIONS LIBERALES

Les huissiers de justice stagiaires dans le maquis

Mais le mal semble bien plus profond dans les professions dites libérales. Chez les huissiers de justice, les stagiaires, qui n’ont eu à bénéficier d’aucun coup de pouce pour accéder à ce stade, déplorent également une discrimination. Ils ont été contraints de s’adresser au chef de l’Etat, à travers une lettre ouverte, pour demander secours.

‘’Monsieur le Président, disent-ils, depuis la fin de notre stage (le 2 janvier 2020) nous attendons toujours notre décret de nomination, afin de pouvoir exercer notre profession. Au moment où nous écrivons ces lignes avec désarroi, ces longs mois sont devenus intenables autant sur le plan professionnel, moral que financier’’.

Pendant que les notaires stagiaires avaient fait leur concours en 2013 et fini leur stage en 2016, les huissiers de justice stagiaires ont, eux, passé leur concours en 2017 et fini leur stage en janvier dernier. Mais comme les premiers, ils attendent leur nomination. Et comme les premiers aussi, ils se disent également victimes d’une injustice. ‘’Il nous a été rapporté que certains clercs, qui avaient échoué au concours d’entrée, tendent à être recasés par un lobby d’huissiers de justice tapis dans l’ombre. Il semblerait, d’ailleurs, que ces derniers ont inséré dans le projet de décret (portant réforme du statut des huissiers de justice) une disposition transitoire, dont la seule motivation est de recaser ces clercs ayant échoué au concours ou choisi délibérément de ne pas y participer’’, décrient-ils dans la lettre.

Pourtant, dans un arrêt rendu en décembre 2017 par la Cour suprême, il est clairement dit, selon les stagiaires, que ces clercs doivent obligatoirement passer par un concours, pour devenir huissier. ‘’Malheureusement, fustigent-ils, ce lobby veut passer outre et trouver une porte de sortie à ces personnes ne remplissant pas les conditions fixées par le décret 2015 portant statut des huissiers de justice’’.

En appelant à un arbitrage équitable du président de la République, ils pestent : ‘’Un esprit éclairé ne pourrait nullement cautionner une telle injustice, dans une République qui prône une gouvernance juste, sobre et vertueuse.’’


COMMENTAIRE

Un pas en avant, trois en arrière

A quand la fin du népotisme dans le notariat ? La question mérite d’être posée aux autorités de la République. Malgré l’institution d’un concours depuis 2002, aucun notaire sénégalais n’a encore été nommé selon cette procédure bien démocratique. Tous l’ont été par des raccourcis. Pourtant, l’espoir était grand, en 2013, au moment de l’organisation du premier concours par l’ancienne ministre de la Justice Aminata Touré.

Mais depuis le départ de celle qui est nommée la ‘’Dame de fer’’, c’est le statuquo. Les 22 jeunes sénégalais, ayant réussi cet examen très sélectif, se sont toujours heurtés au véto des barons de la profession. Aujourd’hui encore, plus de quatre ans après la fin de leur stage, ils se tournent les pouces. Pendant ce temps, les avocats, huissiers et magistrats ont accueilli pas mal de nouvelles recrues.

Au sortir du Conseil des ministres du 10 juin, le collectif des 22 espérait enfin voir le bout du tunnel. Hélas ! Ils vont devoir prendre leur mal en patience. Avec les barons, on ne sait jamais à quoi s’attendre. Et ils disposent toujours d’une botte secrète pour l’asséner aux jeunes ambitieux, au moment où ils s’y attendent le moins. Tenant à leur privilège comme à la prunelle de leurs yeux, ils ont toujours dit niet à la création d’un certain nombre de nouvelles charges sous le magistère du ministre Ismaila Madior Fall. Il en est de même de l’organisation du concours annoncée par l’ancien garde des sceaux depuis fin 2018. Ce dernier est parti. Mais les barons restent plus que jamais intransigeants sur certaines de leurs positions. Même avec le nouveau ministre que d’aucuns pensaient très ouvert et progressiste, ils réussissent à chambouler tous les plans qui ne vont pas dans le sens de la défense de leurs intérêts. En atteste la déconvenue de Maitre Malick Sall à la suite de l’audience accordée par le président de la République à la chambre.

En effet, le nouveau code que ce dernier avait réussi à faire adopter en Conseil des ministres, va devoir retourner dans les laboratoires pour une réécriture de certaines dispositions substantielles. Motif : ces dispositions n’ont pas l’assentiment de la Chambre des notaires.  Mieux, le chef de l’Etat lui intime l’ordre de leur soumettre le futur texte, avant de le ramener en Conseil des ministres pour une nouvelle adoption. Que veulent les barons ?

Conscients qu’ils ne peuvent plus continuer de fermer la portière du concours entrouverte à des milliers de Sénégalais (riches comme pauvres), ils mènent un lobbying intense pour dispenser leurs protégés d’une sélection aussi rude et hasardeuse. Pourtant, par leur puissance, ils sont déjà parvenus à imposer un concours réservé aux professionnels qui sont dans leur office. Selon la réforme de 2002 confirmée en 2009, il n’y avait qu’un seul concours pour tous les candidats. En outre, là où les admis directs vont passer 5, voire 6 ans, les professionnels pourraient voir le nombre d’années de leur stage être réduit, en fonction de leur ancienneté. Malgré ces acquis, les barons en exigent toujours et souhaitent plus de privilèges pour leurs poulains : des fils de, conjoints de, neveux de, parents et amis de…

Selon certaines confidences, ils se démènent comme de beaux diables pour faire inscrire certains de leurs poulains sur la liste des candidats à une charge, déjà longue de 44 candidats. Pire, ces derniers n’ont passé aucun concours, ni examen et risquent, par des tours de passe-passe, de passer entre les mailles. Au même moment, des centaines de Sénégalais, remplissant les mêmes critères, n’ont pas ce privilège. Car ne disposant pas de parrain.

Aussi, dans cette logique toujours patrimonialiste, les barons ne veulent pas du tout entendre parler de retraite. Jusque-là, au Sénégal, être notaire un jour, c’est le demeurer pour toujours.

MOR AMAR

 

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