La geste° du ‘’torodo’’
Avec plus de 35 ans de barre, Maitre Malick Sall aurait pu être l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, à la tête du département de la Justice. Pour beaucoup, il s’est plutôt révélé comme un homme clivant et partisan.
C’est dans les rues de Danthiady, aux confins du Sénégal, dans la région de Matam, que le ministre de la Justice, Maitre Malick Sall, a appris à ramper, à marcher, à parler, à courir ; tombant, se relevant, se battant, sous l’aile protectrice de son grand frère Mamadou Baidy Sall, aîné de la fratrie. Enfant du même village, professeur d’histoire, ancien ministre de l’Education nationale, Kalidou Diallo précise : ‘’C’est une très grande famille. Ce sont ses ancêtres qui ont fondé ce village, dont son frère Mamadou Baidy est aujourd’hui le chef. Ils sont tous des marabouts ; ils sont tous des imams.’’
Situé à environ 7 km d’Ourossogui, dans la commune d’Ogo, Danthiady a très tôt compris l’importance de l’éducation pour donner à ses enfants les mêmes chances que ceux des localités les plus favorisées du pays. Pour l’ancien ministre d’Abdoulaye Wade, ce n’est pas fortuit, si le patelin est appelé ‘’Village latin du Fouta’’.
En effet, dès les premières années de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale, le hameau, qui venait d’étrenner sa première infrastructure scolaire, a vu émerger quelques petits génies. Lesquels brillent, aujourd’hui, aussi bien sur le plan national que sur le plan international. En sus de Malick Sall, le professeur d’histoire à l’Ucad énumère l’ancien directeur général de la RTS Daouda Ndiaye, le directeur de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) Abdoulaye Ndiaye, des professeurs d’universités du Sénégal et à l’étranger… Sa liste est loin d’être exhaustive. Et tous sont de la même génération dorée qui vaut au village le rang qu’il occupe aujourd’hui dans un Fouta Toro ouvert à la modernité. L’actuel ministre de la Justice, Kalidou Diallo, est de la deuxième promotion de l’école de Danthiady ; laquelle fait partie des écoles dites de 61. ‘’Il est de la même promotion que l’ingénieur polytechnicien Amadou Sylla. Daouda Ndiaye et moi sommes de la première promotion de 1961’’.
A l’époque, la tâche était beaucoup plus ardue pour ceux qui étaient considérés comme des cobayes. Mais leur désir de réussite était sans égal. Avec plein d’humilité, l’ancien ministre explique : ‘’Il faut reconnaitre que nous avions aussi eu d’excellents enseignants. Comme vous le savez, c’est le primaire qui fait l’élève et nous avons su profiter d’enseignants émérites. DE plus, comme c’est un village qui était déjà lettré grâce à l’apprentissage du Coran, cela nous a beaucoup facilité les choses. Après le primaire, certains allaient à Matam pour le collège, d’autres à Saint-Louis. Malick a été orienté au lycée Faidherbe, avant de terminer au lycée de Rufisque. Daouda Ndiaye, lui, a fait Charles de Gaule.’’
Né le 2 avril 1956, le fils d’Amadou Sall est réputé homme discret, pieux et très généreux. Son collaborateur depuis plus de 20 ans, Ibrahima Ndiéguène, confirme : ‘’Il a toujours dans son bureau un exemplaire du Saint Coran qu’il maitrise parfaitement. Fervent talibé tidiane, il aime écouter les ‘Khasaides’ de Cheikh Ahmadou Bamba, surtout sous les airs du Hizbu Tarqiyya. Pour en avoir souvent discuté avec lui, il me confiait qu’il les trouvais magnifiques. C’est un homme profondément croyant et attaché à son terroir.’’
De ses origines modestes, l’arrière-petit-fils d’Elimane Demba Sall a dû travailler dur pour se hisser aux ors de la République. Sa réussite scolaire et universitaire, il la doit surtout à sa persévérance et à sa ténacité. Responsable dans la radio communautaire créée par le ministre, l’ancien journaliste de la RTS, Daouda Guissé, rapporte : ‘’J’ai entendu dire qu’il a failli abandonner les études au lycée. Mais grâce à Dieu et à sa détermination, il a pu continuer pour devenir ce qu’il est aujourd’hui.’’
Une longue relation avec les Sénégalais d’origine libanaise
Après avoir décroché sa Maitrise en droit privé (option judiciaire), Me Malick Sall a tout de suite tenté sa chance dans le barreau. Ironie de l’histoire, il va entamer sa carrière dans le cabinet de Sahjanane Akdar, sénégalaise d’origine libanaise. Après son stage de trois ans, il devient associé dans le même cabinet, rebaptisé ‘’Akdar et Sall’’. En 1991, l’enfant de Danthiady rachète les parts de Me Akdar et devient le seul maitre à bord du cabinet devenu ‘’Etude Maitre Malick Sall’’. Selon Kalidou Diallo, son oncle et ancien député Amadou Sada Dia l’avait d’ailleurs aidé à avoir son cabinet. Le 1er janvier 2003, il transforme l’étude en SCP Malick Sall & associés, accueillant ainsi d’abord Me Léocadie Samade, ensuite Me Ibrahima Ndiéguène.
Très peu connu du grand public, Maitre le grand frère d’EL Hadj Baidy n’en est pas moins bien connu dans la corporation. Alors que les profanes, qui pensent que le métier ne s’exerce qu’au niveau des prétoires, auraient pu en tirer des conclusions hâtives, une de ses anciennes collaboratrices prévient : ‘’C’est l’un des plus grands avocats du Sénégal. Un excellent maritimiste (spécialiste du droit maritime).’’ Selon sa biographie, Me Sall a conseillé de nombreuses structures aussi bien au Sénégal qu’à l’étranger : la société Pecten Sénégal (groupe pétrolier américain), la Banque mondiale, la société IGN France internationale, la fondation John Hopkins des USA, Canal+ horizon Sénégal, la famille Fauzie Layousse... ‘’Il a également défendu des entités publiques, notamment la RTS dans le contentieux de la diffusion des matches Fifa, l’ARTP dans le fameux dossier des appels entrants…’’, renchérit un autre témoin. Malgré toute cette trajectoire auréolée de ses plus de 35 ans de barre, il n’a jamais souhaité être sous les feux des projecteurs. ‘’C’est un homme qui a toujours voulu rester dans l’ombre. C’est lui qui m’a appris que pour vivre heureux, il faut vivre caché. Il a toujours beaucoup investi sans rien attendre’’, témoigne un de nos interlocuteurs.
C’est sans doute pourquoi Malick Sall n’était pas méconnu que du grand public. Chez les praticiens également, il était difficile, pour certains, de mettre un visage sur le nom. Même s’ils l’avaient connu de nom. Magistrat depuis plus de deux décennies, le président de l’UMS, Souleymane Téliko, confie : ‘’C’est vrai qu’on ne le voit que très peu dans les juridictions. Personnellement, je ne l’ai jamais vu. Il m’était même impossible de le reconnaitre avant qu’il ne soit ministre de la République. Quand même, je connaissais son nom que je voyais dans certains dossiers.’’ Cela n’est que l’illustration parfaite de sa grande discrétion et de son humilité, selon Maitre Ibrahima Ndiéguène.
Il ajoute : ‘’Après plus de 35 ans, il est resté toujours discret. Mais tous les avocats de sa génération connaissent ce qu’il vaut. Tous vous diront qu’il fait partie des maitres dans cette profession. Il faut savoir que, parmi les avocats, il y en a qui ne parlent pas. Je dois rappeler qu’il a été membre du Conseil de l’ordre, secrétaire chargé des relations internationales du Conseil de l’ordre pendant très longtemps. Il a défendu même des chefs d’Etat. Et il y a de grandes industries dont il a piloté le montage, de A à Z. C’est le cas des Ciments du Sahel. Homme très réseauté, Me Sall a aussi beaucoup contribué à l’adhésion de la Guinée-Bissau au franc CFA.
Généreux, professionnel, discret, l’avocat des Farès n’a été connu dans le landerneau politique que vers 2017-2018, quand il a décidé de soutenir le président Macky Sall pour sa réélection. Kalidou Diallo se souvient comme si c’était hier : ‘’Il est venu me dire qu’il veut accompagner le président de la République avec ses propres moyens. Il m’a dit : ‘Comme je n’ai pas une grande expérience dans la politique, je veux te laisser piloter tout ce qui est organisation. Moi, je m’occuperai de tous les financements dont vous aurez besoin.’ C’est ainsi qu’on a travaillé ensemble durant toute cette campagne présidentielle. Mais je n’étais pas de son mouvement.’’
Le mythe s’effondre
Mais contrairement à ce que peuvent penser certains observateurs, Maitre Malick Sall a eu sa première expérience politique en 2012. Il avait, à en croire l’ancien ministre de l’Education, cheminé avec Ibrahima Fall dans Taxaw Tem. Selon certaines sources, il aurait même été son argentier. Le 7 avril 2019, son engagement est couronné par sa nomination à la tête du département de la Justice. Depuis, pour beaucoup de Sénégalais, l’homme s’est plus illustré pour ses gaffes et autres cafouillages que pour sa maitrise de la science juridique.
L’avocat d’affaire se perd, en effet, dans plusieurs dossiers estampillés politiques. Ce, dès sa première sortie publique. C’était le jour même de la Korité 2019. En pleine tempête Aliou Sall, déclenchée par le reportage de la BBC, accroché par des journalistes, l’avocat de cabinet confond religion, morale et droit. Il disait : ‘’Je ne pense pas qu’un musulman comme Aliou Sall, revenant de La Mecque pour la Oumra, va s’adonner à des pratiques de corruption. J’ai entendu sa déclaration. Il est sénégalais comme moi. Je préfère, en tant que sénégalais, le croire au lieu de croire à des ragots qui viennent de l’étranger.’’
Dès lors, certains observateurs avertis ont pu pronostiquer sur ce que risquait de devenir la justice sous son magistère. D’autres affaires dont celles de Guy Marius Sagna et Adama Gaye auront également montré le manque criard de distance et de neutralité du ministre actuel.
Avocat de renom, Maitre Malick Sall est aussi pourchassé pour conflit d’intérêts. Ministre de la Justice de son état, il a eu à piloter des dossiers devenus très célèbres, notamment celui des frères Farès. Sur cette dernière accusation, son ancien associé assure que l’avocat d’affaires a bel et bien quitté le cabinet. Il insiste : ‘’Le règlement intérieur de l’ordre impose à un avocat qui accède à certaines fonctions, notamment la fonction ministérielle, de se faire omettre par l’ordre. Cela signifie qu’on retire son nom du tableau de l’ordre. C’est le cas de Maitre Malick Sall comme de Me Aissata Tall Sall. Un avocat qui occupe une fonction où il reçoit des ordres, doit demander son omission. S’il appartenait à une SCPA, il n’a plus le droit de prétendre à des parts au bénéfice de la société. C’est vraiment très clair et Me Sall a respecté cette exigence.’’
Selon la robe noire, c’est seulement quand il aura terminé sa mission qu’il peut demander sa réinscription au tableau et rejoindre à nouveau le cabinet. Toutefois, tient-il à préciser, ses clients qui sont ceux du cabinet peuvent bien rester dans le cabinet.
A en croire cet avocat très célèbre, il y a un grand hiatus entre cette belle théorie et la pratique. ‘’Je connais beaucoup d’avocats qui ont été ministres, mais qui ont continué à gérer leur cabinet. Ce qui est illégal. Certains sont gourmands. ‘Dagnouy ngaralé’. Ce n’est que théoriquement qu’ils quittent, mais ils continuent d’orienter des dossiers à milliards vers le même cabinet. Mais personne ne peut le savoir, même le chef de l’Etat. Après ‘dagnouy pathio’’’.
Marié et père d’un seul garçon, l’avocat réputé être très nanti est peint comme un Sénégalais très généreux. Maitre Ndiégène confirme : ‘’Un jour, un jeune confrère est venu me confier qu’il était très malade et avait besoin d’un montant très élevé pour se soigner. Il me considérait comme son frère. J’en ai alors parlé à Malick ; il m’a tout de suite demandé : de combien il lui faut ? Je suis retourné au gars pour lui demander le montant. Quand je l’ai dit à Malick, il m’a tout de suite dit au nom de qui il va libeller le chèque. Il n’était pas ministre et jusqu’à présent, je doute qu’il ait connu ce confrère. Il a un sens très élevé du partage. Sinon, il serait encore plus riche.’’
A ceux qui pensent que l’époux de Maimouna Sylla s’est engagé en politique pour s’enrichir, Ibrahima Ndiéguène rétorque : ‘’Nous qui le connaissons savons qu’il est allé en politique pour s’appauvrir. Ce qu’il gagnait dans son cabinet n’est pas du tout comparable avec ce qu’il peut avoir en politique. S’il s’est engagé en politique, c’est juste pour aider le président de la République et être au service de son peuple.’’ A Danthiady, les populations qui l’ont vu équiper pas mal d’écoles et de structures de soins ne cessent de lui souhaiter ceci : ‘’YA DIOGORO DIAM !’’
°Ensemble de poèmes en vers du Moyen Âge, narrant les hauts faits de héros ou de personnages illustres
MOR AMAR