Publié le 15 May 2018 - 02:40
TEL QUEL - TAFSIR BABACAR NDIOUR (IMAM)

La voix tremblante de Moussanté

 

Connu pour son franc-parler et ses sermons enflammés voire incendiaires, Babacar Tafsir Ndiour est un Imam détonnant. Depuis 8 ans, il préside les prières à la grande mosquée de Moussanté à Thiès. L’enseignant à la retraite a fait de la lutte contre la montée de l’intégrisme et du terrorisme son cheval de bataille. Il a fait de la réfection de sa mosquée son dernier projet… sans l’aide des politiciens. Portrait.

 

On peut le considérer comme le prototype de l’imam du 21e siècle. Un imam moderne, malgré son âge avancé. Imam Babacar Tafsir Ndiour de la Grande mosquée de Moussanté détonne dans l’univers très feutré des prêcheurs. Il s’est forgé une philosophie, une vision de la vie et de la chose politique qui font sa renommée nationale. Il n’est pas politique et exclut toute idée de collaborer avec les hommes politiques. Tout ce qui l’intéresse, c’est de vivre la Parole de Dieu et les recommandations du Prophète Mohamed (Psl).

Il dirige la Grande mosquée de Moussanté, depuis 2010. Mais, dans une autre vie, il a été enseignant, puis directeur d’école jusqu’à sa retraite. A l’âge d’aller à l’école, il a fréquenté d’abord l’école publique élémentaire de Mbambara (commune de Thiès-Est) où il a obtenu son entrée en sixième qui lui a ouvert les portes de l’enseignement moyen. Après son cycle moyen et secondaire, il a rejoint l’Université de Dakar, avant de devenir plus tard enseignant et directeur d’école pendant 25 ans. Il a terminé sa carrière à l’école publique élémentaire Aly Lô de Diamaguène (Thiès-Est).

Sermons au cœur de l’actualité

Mais avant de quitter l’école, Babacar Tafsir Ndiour officiait déjà en tant qu’imam. Allier enseignement à imamat n’a pas été une tâche simple. Puisqu’il s’agit de deux environnements différents. Une doctrine dans une autre. ‘’Avant de partir à la retraite, j’ai été directeur et imam, en même temps. J’alliais les deux, suite au décès de mon frère qui, lui aussi, était imam. Il est décédé en 2010. Depuis lors, je suis imam’’. Puis revenant sur sa jeunesse et sa formation, il confie : ‘’On partait à l’école et on apprenait le Coran en même temps. La famille était comme un daara. Le matin, avant d’aller à l’école, on apprenait le Coran et nos leçons. Tout se faisait sous la supervision de nos parents. Ils nous ont beaucoup aidés’’. Puis, au fil des années, l’imam Babacar Ndiour s’est découvert des talents de bon prêcheur. Connu pour son discours franc et souvent révolutionnaire, il incarne l’image d’un imam en phase avec son temps.

Il prépare ses sermons de la prière du vendredi en faisant des recherches et suivant les actualités bouillantes au Sénégal, en Afrique et dans le monde. Une manière pour lui de mieux argumenter et d’apporter sa contribution à une prise de conscience collective des citoyens. ‘’Le sermon est un outil qui nous permet de nous adresser à notre auditoire. Quand on s’adresse à ce public, il faut qu’il comprenne ce qu’on dit. Le Coran est actuel ; Il l’est aujourd’hui et le sera demain. Ce que nous vivons aujourd’hui dans la société, il y a un passage qui le dit dans le Coran. Ce que je dis très souvent cadre bien avec l’actualité. On peut ne pas se départir de l’actualité et parler des choses qui datent du Moyen Age. Il faut capter l’auditoire, parce que ce que vous dites l’intéresse. Il faut savoir retenir son public, sinon, il s’en va’’, explique l’imam de la Grande mosquée de Moussanté depuis huit ans.

Des sermons qui fâchent

Les sermons d’imam Ndiour sont appréciés du public, mais ils dérangent et fâchent des fois. En septembre 2017, lors de la prière de la fête de Tabaski, l’ancien directeur de l’école avait fustigé la rétention des cartes d’identité Cedeao devant permettre aux citoyens de voter lors des élections législatives du 30 juillet. Ce ‘’khoutba’’ n’avait pas été du goût du préfet du département, Alioune Badara Sambe, (actuel préfet de Dakar, ndlr), qui avait préféré bouder le sermon. Un acte qui n’ébranle guère Imam Ndiour qui se veut clair : ‘’On ne cherche pas à plaire dans les sermons. En tout cas moi, je ne cherche pas à plaire à qui que ce soit. Je cherche tout simplement à transmettre ce que le Bon Dieu nous a dit. S’il y a des gens qui se sentent visés par mes sermons, ils doivent savoir que c’est le Coran qui les vise, pas moi. Ce que je dis ne m’engage pas. Je ne fais que répéter ou traduire. S’il y a des gens qui ne sont pas contents, c’est leur affaire. Je dis ce que le Prophète Mouhamed (Psl) a dit et ça s’arrête là. Maintenant, il peut y avoir des gens qui ne sont pas contents, mais cela n’engage qu’eux. Encore une fois, je suis imam et je ne cherche pas à plaire’’, insiste Babacar Ndiour.

D’ailleurs, le religieux renseigne que dans son sermon de la Tabaski 2017, il avait décidé de développer le thème ‘’istikhama’’ (la droiture). ‘’Pensez-vous que le fait de retenir la carte d’identité du citoyen relève de la droiture ? La carte d’identité est individuelle et personnalisée. Elle appartient au citoyen. C’est lui qui a financé la conception de ces cartes à hauteur de 52 milliards F Cfa. Est-ce de la droiture ? La rétention des cartes a provoqué un grand tollé au Sénégal. Moi-même j’ai reçu ma carte bien après les élections législatives, alors qu’elle était prête un mois avant. Ce que je dis, je le vis. Je vérifie tout avant de me prononcer sur la place publique’’, précise le vieux enseignant.

La Grande mosquée de Moussanté est très souvent archicomble les vendredis et les jours de fête. Taille moyenne, teint noir, moustache blanche, Imam Babacar Tafsir Ndiour déroule avec sérénité et rigueur ses ‘’khoutba’’ qui ne plaisent pas à tous. ‘’A cause de ses sermons, plusieurs fidèles ne viennent plus prier ici’’, confie une source qui fréquente régulièrement la mosquée de Moussanté. En revanche, il n’est pas question, selon l’imam Ndiour, de se laisser distraire par qui que ce soit. Un caractère cimenté qui lui est propre et qui en dit long sur sa personne.

Le terrorisme, la réhabilitation de la mosquée Moussanté, ses ultimes combats

La montée en puissance du terrorisme en Afrique et dans le monde constitue une équation à plusieurs inconnues. Ce sujet préoccupe l’imam Babacar Tafsir Ndiour. D’après lui, si le discours des religieux n’accroche plus les jeunes, c’est parce qu’ils ont entendu un autre discours qui les convainc. C’est pourquoi il annonce que son dernier combat sera de faire en sorte que ses messages puissent avoir une résonnance favorable chez cette frange de la société. ‘’Si vous voulez enseigner quelque chose à un enfant qui ne s’y intéresse pas, c’est parce qu’il n’est pas convaincu. S’il est convaincu, il ne va pas hésiter à adhérer, et dans le cas contraire, il va se rebeller. Il faut chercher à les convaincre avec la Parole de Dieu alliée à l’actualité pour freiner le terrorisme’’, recommande-t-il.

Au-delà de la percée du terrorisme en Afrique, la réhabilitation de la Grande mosquée de Moussanté figure aussi parmi les derniers chantiers qu’il entend achever durant son séjour sur terre. La réfection des cités religieuses, notamment des lieux de culte, est très souvent du ressort de l’État du Sénégal. La Grande mosquée de Moussanté, érigée en 1906 par son grand-père Tafsir Momar Ndiour, nécessite des travaux de remise à neuf, au grand bonheur des fidèles. Un vœu très cher à Imam Ndiour. Certaines mosquées de la ville de Thiès ont déjà été réhabilitées par les politiques.

Par contre, à Moussanté, l’imam veut en faire une affaire personnelle. Pas de partenaires, pas de politiques… Pour lui, il appartient aux fidèles, s’ils le veulent, de mettre les moyens pour la rénovation de leur lieu de culte. ‘’Il suffit que je me dresse devant la foule, que je parle de ce que je veux, pour l’obtenir. J’ai refusé les dons et les propositions des hommes politiques. Je ne veux être sous la conduite ou les ordres de personne. Si un politique me donne son argent pour la réfection de la mosquée, qu’il n’attende rien en retour. Je trouve que l’argent qu’il m’a donné ne m’appartient pas, mais à la mosquée. Il a mis son argent dans la Maison de Dieu. J’ai été à plusieurs reprises démarché par les politiques. Mais j’ai refusé leurs dons’’, renseigne-t-il catégorique.

Imam intellectuel 

Les thèmes qu’il développe les vendredis et autres cérémonies religieuses sont pleins de sens. Tout est bien préparé et assimilé des jours voire des semaines avant. Du matin au soir, l’imam Babacar Ndiour voyage à travers le monde à la recherche perpétuelle d’informations. Sa télévision préférée, c’est la chaîne française d’informations en continu France 24. Une chance que n’ont pas certains imams du pays. ‘’Je sais et maîtrise tout ce qui se passe aujourd’hui (entretien réalisé le vendredi 6 avril) dans le monde. Je suis au courant de tout. Je ne parle pas du Sénégal. Mais du monde. J’essaie d’être au diapason, parce que c’est la vie, tout comme le Coran et la Sunna qui sont là pour l’éternité. On ne peut plus se passer de l’actualité mondiale’’, soutient le petit-fils du fondateur de la Grande mosquée de Moussanté.

Son métier d’enseignant a fait de lui un homme cultivé. Ce qui lui confère cette capacité d’analyse. Par contre, dit-il, le savoir se cherche tous les jours, surtout lorsqu’on est un chef religieux. Au-delà des faits de société qu’il traite dans ses ‘’khoutba’’, Tafsir Ndiour frôle très souvent la politique. A son avis, le chef religieux est ‘’éminemment politique’’. Car, soutient-il, ce qu’il dit engage directement la société. ‘’Mais il est foncièrement, viscéralement anti-politicien et non partisan. Il arrive que les gens pensent que je parle de la politique. Ce n’est pas le cas. Je ne parle que des affaires de la Cité, des bonnes règles qui régissent la société. Il faut que les gens parviennent à faire cette différence, c’est-à-dire la position de l’Islam par rapport à ce que l’on dit’’, précise imam Ndiour.

Freiner la crise des valeurs

Dans une société qui vit une grave crise des valeurs, imam Babacar Ndiour pense qu’il est du devoir de tous les guides religieux de ce pays, ainsi que tous les citoyens, de travailler davantage à la freiner. D’après lui, chaque citoyen est responsable de tous les actes qu’il pose. ‘’Nous sommes unanimes sur cette question. Il n’y a plus de valeurs dans ce pays. Tout le monde est responsable. Le journaliste, tout comme l’imam, est éminemment politique. Il défend, développe des opinions et suit sa ligne éditoriale. Mais est-ce que cette ligne éditoriale est conforme à ces valeurs ? En tant qu’imams, nous essayons de faire de notre mieux et disons ce que nous savons’’, informe-t-il. Avant de poursuivre : ‘’Nous ne cessons de dénoncer cette perte des valeurs. Maintenant, celui qui a la charge de tout mettre sur les rails, c’est quelqu’un d’autre. Si on veut corriger ou freiner cette crise des valeurs, il faut le faire avec la langue, c’est-à-dire qu’il faut parler ou essayer de forcer les choses. Mais il y a une autorité qui est chargée de le faire’’.

Dans son sermon final pour la reconquête des valeurs, l’imam Babacar Tafsir Ndiour demande à chacun d’en faire sa propre affaire, en vue de freiner cette crise des valeurs qui a fini de paralyser la République et d’occuper une place prépondérante dans le quotidien des Sénégalais.

GAUSTIN DIATTA (THIÈS)

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