Publié le 1 Oct 2015 - 19:52
ZAKARIA FADOUL KITIR TÉMOIN-VICTIME SUR SA DÉTENTION

‘‘Il y avait autant de sable que de riz dans les plats’’

 

Les témoins-victimes supposés des exactions du régime de Habré entre 1982 et 1990 continuent de vouloir lever un coin du voile sur ces années de feu au Tchad. Dans l’ordre, Marabi Tougdjibedje, garde-prisonnier et ex-régisseur, Outman Moussa, postier, et Zakaria Fadoul Kitir, professeur d’université, se sont succédé hier devant la barre des CAE pour rapporter leur vécu.

 

A chaque déposition, les conditions de détention relatées se révèlent de plus en plus avilissantes. Comme celles du professeur d’enseignement supérieur Zakaria Fadoul Kitir, en avril 1989. Cet intellectuel de l’ethnie ‘zaghawa’ qui doit poursuivre son témoignage aujourd’hui a  rapporté sa part de vécu, durant les années de braise au Tchad. Enfermé à la cellule 4 de la Piscine, il a été perdu par ses filiations avec le commandant en chef des FAN, Hassan Djamous, ce beau-frère qui aurait fomenté un coup d’état contre Habré.

Dans ce contexte politique d’alors où les alliances étaient claniques, les membres de la famille payaient un lourd tribut, en cas de défection d’un des leurs. Circonstance aggravante, Zakaria faisait partie, à son insu, d’un gouvernement fantôme qui aurait été créé par Djamous dans lequel il était ministre de l’Elevage. Confronté à Mahamat Djibrine ‘‘El Djonto’’, ses dénégations n’y ont rien fait.  Il a été incarcéré, le 26 avril 1989. En prison, raconte-t-il, ‘‘il y avait autant de sable que de riz dans le plat. On décantait avec des boîtes de conserve pour séparer le sable et avoir de la bouillie’’. Après quinze jours de détention, il a été relâché.

Pressions de ses amis français, allemands et américains ou entremise d’un cousin proche de Habré ?  Le président de l’Association des victimes de crimes et répression politique (AVCRP) l’ignore. Le professeur, qui poursuit son témoignage ce matin, a été le dernier à la barre hier, après les passages d’Outman Moussa et Marabi Tougdjibedje. Ce dernier aurait mieux fait de se limiter à son rôle de régisseur-adjoint. Au lieu de cela, sa ‘‘conscience’’ l’a poussé à donner à manger aux prisonniers des « Locaux ». Suffisant pour que ce combattant des FAN, ayant pris part à la bataille de Faya-Largeau, soit traité comme ceux qu’ils étaient censés surveillés : un détenu.

‘‘On amène ces personnes pour mourir et vous leur donnez à manger’’, lui aurait lancé le directeur de la DDS Saleh Younous. La bouillie de petit mil non décortiqué qu’il voulait éviter à un prisonnier lui a coûté un an et sept mois dans la cellule A. Pis, de régisseur-adjoint, il est passé à fossoyeur, en compagnie de Clément Abaïfouta et deux autres prisonniers. ‘‘Nous ramassions les morts par cellule et on les chargeait pour aller les enterrer. On creusait un grand trou et on les y mettait. En mars avril, ils amenaient plus de prisonniers alors qu’il faisait chaud. Le nombre de morts variait de 45 à  60, parfois même 70 personnes. J’ai continué à enterrer jusqu'au 26 juillet 1986’’, a déclaré Marabi à la barre hier.

Successivement caporal-chef de la BSIR, garde-prisonnier à la DDS, puis adjoint au régisseur Abba Moussa à la prison des Locaux, cet homme de 62 ans a confirmé les supplices que vivaient les prisonniers de guerre qui avaient la malchance d’être pris. Malgré ses rapports quotidiens sur le nombre de morts, de survivants et de malades qu’il fournissait, sa vie a basculé le 9 janvier 1985, après une visite de contrôle de Saleh Younouss, directeur de la DDS, qui s’est rendu compte que certains prisonniers étaient nourris de viande et de pain. Il y avait 4 cellules hommes : A, B et D pour les détenus et C pour les prisonniers de guerre ; et une  cellule E pour femmes où était détenue la célèbre Rose Lokissim disparue mystérieusement.

‘‘Je n’ai pas entendu de cas de viols, ni d’accouchements’’, a-t-il dit. Il n’était pas non plus sûr que les rapports qu’il donnait à Saleh Younouss parvenaient à Habré. Tout ce qu’il sait est qu’à sa libération, le 26 juillet 1986, le ministre de l’Intérieur d’alors, Brahim Itno, les a invités dans son bureau en leur montrant une image des trois singes de la sagesse. ‘‘Ne parlez pas, ne regardez pas, n’écoutez pas’’, leur avait-il dit. Marabi est parti rejoindre l’armée jusqu’à sa retraite, en 2005.

Une défense d’attaque

Son interrogatoire par le parquet et la partie civile finie, Marabi Tougdjibedje a été sans ressources face aux conseils commis de la défense. Le témoin est resté complètement aphone, face aux questions de Mes Mbaye Sène et Mounir Ballal. Le premier a tenté de montrer qu’il y avait une réciprocité en temps de guerre. Le Gouvernement d’union nationale  (GUNT) et le Conseil démocratique de la révolution (CDR) -mouvements armés opposés à Habré- utilisaient les fosses communes et des prisonniers de guerre autant que les Forces Armées du Nord (FAN). ‘’Ça ne vous inquiète pas qu’on se préoccupe de ce qu’on a fait aux Gunt et Cdr, alors que les soldats qui ont lutté pour la libération du Tchad, qui ont subi les mêmes sorts, sont ignorés ?’’  Me Mounir Ballal s’est livré quant à  lui à son exercice favori. Confondre le témoin à ses déclarations durant l’instruction.

Un contre-interrogatoire profitant des lacunes en français du témoin pour l’embourber un peu plus. Le procureur vous a qualifié d’homme du système, vous confirmez ? ‘‘Oui !’’ répond Marabi ‘‘Qu’est-ce à dire ?’’ reprend Me Ballal. ‘‘Je ne sais pas’’, a-t-il répondu provoquant une hilarité dans la salle. Pis, dans sa  déposition, en février 2014 devant le juge pour les besoins de l’instruction, le témoin a parlé de 600 à 700 personnes détenues dans une cellule de quatre mètres sur six. Il n’en fallait pas moins à Me Ballal pour s’engouffrer dans cette brèche. ‘‘Vous avez une idée de ce que représentent 600 à 700 personnes ? Pensez-vous qu’on puisse y mettre toutes ces personnes, à supposer qu’elles soient maigrichonnes, squelettiques ? Cette déclaration ne vous paraît-elle pas invraisemblable ? Silence total de l’ex-régisseur adjoint de  la prison des Locaux.

‘‘Mahamat Bidon était une porte vers l’enfer’’

Pour le deuxième témoin toutefois, cela n’a pas été une partie de plaisir pour l’avocat commis de la défense. Me Ballal n’ayant pas réussi à prendre le témoin à défaut sur la chronologie et la vraisemblance des faits relatés par Outman Moussa, a essayé une autre tactique. S’intéresser aux motivations de la création de l’association de ce dernier, plus de deux décennies après les faits. ‘‘22 ans après, vous vous êtes senti le devoir de créer une association de victimes. Pourquoi pas à l’avènement de la 4ème République, en 1991, par exemple?’’ lui a-t-il demandé.  ‘‘J’avais la peur au ventre. Je ne vous le cache pas’’, s’est justifié le témoin. S’en prenant à la contribution d’institutions dans la création de cette association, il a réussi à faire dire au témoin qu’il a assisté par trois ou quatre fois à des ateliers et réunions de ‘‘Reed Broody où il informait les victimes sur la conduite à tenir’’. Pas de contact avec Amnesty International par contre.

Outman Moussa, receveur de poste à Abéché, a également eu droit à sa part ‘‘de déboires’’, comme l’a qualifié la défense. Il a ressenti la frayeur de sa vie après avoir ouvert une correspondance anonyme glissée délibérément par l’indicateur de la DDS, Hissein Faraj.  Pris sur le fait, le préfet d’alors avait heureusement reconnu l’agent espion et avait relâché Outman. Une lettre factice dans laquelle les opposants à Habré établis au Soudan le remerciaient pour sa contribution de 10 millions de francs.

‘‘J’ai commencé à trembler quand j’ai lu’’, a-t-il déclaré. Mais la configuration d’alors était telle que les liens, quelques minimes qu’ils soient, pouvaient se révéler compromettants. Outman Moussa est neveu d’Idriss Miskine, ministre (hadjaraï) des Affaires étrangères de Habré. Ce qui lui a valu un passage en prison à N’Djaména, après son arrestation à Abéché, le 15 janvier 1989. ‘‘J’avais entendu parler de Mahamat Bidon.

Pour moi, c’était une porte vers l’enfer. Je ne pensais pas pouvoir m’en sortir’’, a-t-il déclaré, racontant son face-à-face avec l’exécuteur de la Brigade spéciale d’intervention rapide (BSIR).  Il sera relâché le 23 mars, avec la consigne de ne pas dire ce qu’il a vu et entendu. Comme ce qu’il est advenu de ses cinq codétenus. Devant la barre, il a violé cet ordre. ‘‘Mahamat Bidon partait avec les gens et ne revenait pas avec’’, a-t-il déclaré, sûr du fait que la consigne venait forcément de Habré. A la question de Me Ballal sur la légèreté d’une telle accusation, il est resté ferme. ‘‘Je le confirme et reconfirme’’, a-t-il conclu.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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