Publié le 12 Dec 2013 - 20:12
LIBRE PAROLE

Quand Ahmadou Mahtar Mbow remettait le Prix Bolivar au prisonnier Mandela

 

A Caracas, au Vénézuela, le 24 juillet 1983, M. Ahmadou-Mahtar Mbow, Directeur général de l’Organisation des Nations-Unies pour l’Education, la Science et la Culture (Unesco) a tenu ce discours à la cérémonie de remise du prix Simon Bolivar au Roi Juan Carlos d’Espagne et au prisonnier Nelson Mandela. Nous vous en proposons des extraits.

Pour la première attribution de ce Prix, en ce 24 juillet 1983, qui marque le 200ème anniversaire de la naissance de Bolivar, il est apparu au jury que toutes les grandes significations qui se dégagent de cette vie exemplaire se retrouvent dans les destins, symboliquement mêlés, de S. M. Juan Carlos 1er, roi d’Espagne et de Nelson Mandela. Et qu’elles se combinent dans la simultanéité vivante d’un combat à travers lequel un roi régnant se retrouve côte-à-côte avec un prisonnier politique, pour la défense, plu que jamais indissociable, des libertés fondamentales de l’individu et de la dignité, de l’indépendance et de la solidarité des peuples ( ...)

A vos côtés, Majesté, ce fauteuil vide est le symbole d’une tragique absence physique –celle d’un homme incarcéré depuis vingt-et-un ans. Mais ce fauteuil vide est aussi le symbole d’une formidable présence morale –celle d’un homme au combat duquel s’identifient les peuples d’Afrique du Sud et en qui s’incarne, au cœur même de leurs épreuves présentes, leur héroïque dignité.

Et je ne saurais mieux affirmer cette présence qu’en laissant Nelson Mandela lui-même tirer ici les leçons de sa vie : « il y a longtemps, déclare-t-il en 1962, au cours de mon premier procès, enfant élevé dans mon village du Transkei, j’écoutais les vieux de ma tribu raconter des histoires sur le vieux temps… En ce temps-là, notre peuple vivait en paix, sous le régime démocratique de ses rois et de ses amapakati… En ce temps-là, le pays était le nôtre, en notre nom, sous nos lois…»

Ces images éclairent tout à la fois la profondeur et la force de l’engagement de Mandela –qui poursuit : «je me suis engagé… à servir mon peuple et à apporter ma modeste contribution à la lutte pour la liberté».

Cependant, lorsqu’il rejoint en 1944 les rangs de l’African National Congress, Nelson Mandela n’est pas mû par un esprit de revanche ou par un désir de retour au passé. Il lutte pour l’établissement d’une république démocratique dont tous les habitants de l’Afrique du Sud seraient citoyens à part entière, sans distinction de race ou de culture –vivant en paix, porteurs d’une nationalité unique et partageant une même loyauté à l’égard de leur patrie commune.

C’est au nom de cet idéal qu’il déclare : «je déteste la pratique de la discrimination raciale –et le fait que la majorité écrasante de l’humanité, ici et ailleurs, la déteste aussi renforce ma conviction. Je déteste que l’on inculque systématiquement aux enfants des préjugés fondés sur la couleur de l’homme – et l’écrasante majorité de l’humanité, ici et ailleurs, partage ma haine. Je déteste l’arrogance raciste qui stipule que toutes les bonnes choses de la vie sont l’apanage absolu d’une minorité de la population, réduisant la majorité à un statut d’infériorité et de servilité».

Par la noblesse de son idéal, comme par l’indomptable courage dont il a fait preuve et l’immense sacrifice qu’il consent,  dans la poursuite de cet idéal –la réclusion à perpétuité- Nelson Mandela nous offre l’exemple lumineux d’une vie  dont la force souveraine, à l’exemple de celle de Simon Bolivar, défie tous les obstacles, sur la longue route qui mène aux rivages nécessaires de la liberté.

Monsieur le Président de l’African National Congress, en vous remettant pour Nelson Mandela, en présence de sa fille, Zenani Lamini, le diplôme et la médaille du Prix international Simon Bolivar, je vous prie de l’assurer que, du fond de sa cellule pénitentiaire, il a été plus que jamais présent parmi nous au cours de cette cérémonie –et qu’à travers nous, l’écrasante majorité de l’humanité se retrouve avec lui, elle entend son appel,  et s’efforce de le relayer, de plus en plus largement, jusqu’à ce que le peuple de Nelson Mandela retrouve la plénitude de ses droits.

 

Caracas, le 24 juillet 1983

Ahmadou Mahtar Mbow

Directeur général de l'Unesco

 

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