Publié le 2 Apr 2015 - 12:29
PAPA FARA DIALLO, (ENSEIGNANT CHERCHEUR A L’UGB)

‘’La majeure partie des transhumants n’ont pas les mains propres’’

 

Macky Sall a enclenché la même procédure de dégénérescence qui a perdu le Parti démocratique sénégalais (Pds). Le constat est de Papa Fara Diallo, enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Dans cet entretien accordé à EnQuête, l’analyste politique estime que si le chef de l’Apr n’y prend garde, il risque de subir les contrecoups de la vague de transhumance. Car, dit-il, la majeure partie des transhumants n’ont pas les mains propres.

 

L’espace politique sénégalais est marqué depuis quelques jours par une vague de transhumance d’anciens dignitaires du régime défait d’Abdoulaye Wade. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Le mot transhumant est un terme péjoratif qui est transposé dans le champ politique pour désigner les hommes politiques qui, pour quelques raisons, décident de quitter leur parti pour regagner d’autres formations politiques supposées être beaucoup plus favorables pour satisfaire leurs besoins en termes de statut social ou autres. Ce sont des hommes politiques qui décident en général de rejoindre le parti qui est au pouvoir et qui détient les ressources dont ils veulent bénéficier. Globalement, c’est cette catégorie de personnalités politiques qu’on qualifie de transhumants.

Des hommes politiques de cette espèce ne sont pas assez rares dans l’histoire politique du pays. Ils sont assez nombreux dans le champ politique. Mais le phénomène s’est accentué après les élections de 2000 avec le régime d’Abdoulaye Wade qui avait commandité des audits et a utilisé des rapports de ces audits comme une épée de Damoclès sur la tête des barons du Parti socialiste. C’était comme une sorte de chantage qui n’en disait pas moins : ‘’Venez avec nous, auquel cas vous allez bénéficier de pas mal de largesses du pouvoir, au cas contraire, nous allons activer le levier de la justice en ce qui concerne les audits.’’

Le régime de Macky Sall n’est-il pas aujourd’hui dans cette même dynamique ?

Le régime de Macky Sall est un peu plus  subtil sur cette question. Mais  le phénomène revêt les mêmes habits. Le président Sall est un pur produit du Parti démocratique sénégalais. Dès lors que l’Alliance pour la République (Apr) est née des flans du Pds, les gens peuvent considérer que si on quitte ce parti pour rejoindre le ‘’frère’’ Macky, ce n’est pas de la transhumance. Nous, on considère que la transhumance politique dénote d’un manque de conviction et de loyauté envers le parti d’origine.

Qu’est-ce que cette vague de transhumants peut apporter au président  Sall ?

Le président de la République a un parti politique qui n’est pas encore très bien structuré. Après trois ans de gouvernance, l’Apr est toujours en train de chercher à se massifier et à se redynamiser. C’est un parti qui n’est pas encore très bien structuré au niveau de la base. Ainsi, si un ancien responsable du Pds, du Ps ou de l’Afp, qui est bien implanté à Linguère, à Kolda, à Ziguinchor, ou dans une autre localité du pays, décide de regagner le parti au pouvoir, le président de la République n’a pas d’autre choix que de l’accueillir en ce sens qu’il est dans une dynamique de massification. Macky Sall est dans une logique de reconquête du pouvoir en 2017 ou en 2019.

Il veut massifier son parti, faire un maillage très solide du territoire national avec des barons et des responsables qui maîtrisent leurs bases dans chaque localité du pays. Donc si d’anciens responsables, de quelque parti que ce soit, décide de regagner son parti, il ne peut pas dire non. Parce que le Pds s’est construit une nouvelle virginité politique après l’alternance de 2000, avec la vague massive de transhumants venant du Ps. Quelque part, Abdoulaye Wade avait enclenché le processus de liquidation du Ps. Mais les socialistes ont su résister. Donc c’est le président Macky Sall qui y gagne.

Est-ce à dire que le patron de l’Apr n’encourt aucun risque en accueillant dans son parti des transhumants.

Il y a un piège à mon avis. Si le président Macky  Sall accepte d’ouvrir les portes de son parti à d’anciens dignitaires du Pds, certes cela peut lui permettre de prendre sa revanche sur ce parti qui l’a exclu. Maintenant s’il est dans une logique de  démanteler le Pds, il ne va pas fermer ses portes aux responsables qui décident de venir le rejoindre. Mais là où se trouve le problème, c’est que la majeure partie de tous ceux qui veulent transhumer n’ont pas les mains propres.

Le fait de s’allier avec des gens qui n’ont pas les mains propres ne risque-t-il pas de  discréditer Macky Sall ?

Justement c’est là où se trouve le piège dont je parlais tantôt. Le président Macky Sall doit être très sélectif dans sa manière de massifier son parti politique. S’il ne fait pas attention, il va créer le même syndrome qui a enclenché le processus de dégénérescence du Pds qui, à un moment de son cheminement, a accueilli toute sorte de militants et mouvements de soutien. Aujourd’hui, il a enclenché une procédure qui, comme un effet boomerang, risque de se retourner contre lui. Il est en train de faire les mêmes erreurs que le Pds sous le magistère d’Abdoulaye Wade. Parce qu’il est en train de récupérer en son sein d’anciens dignitaires libéraux qui ont été épinglés par des rapports d’audits à plusieurs reprises. Il y en a même certains qui ont fait l’objet d’information judiciaire qui sont en train de se trouver une nouvelle virginité politique en entrant dans le parti présidentiel.

Ce qui va se passer, c’est que le Sénégalais va se demander comment le président de la République qui nous invite à plus de sobriété, à plus d’éthique et de morale dans la manière de faire de la politique, peut abriter en son sein certains transhumants pour les dédouaner de leurs péchés originels. Les exemples foisonnent et montrent que c’est la ruée vers l’Apr de gens qui veulent se cacher derrière le manteau protecteur du président de la République pour échapper à la justice. Le peuple sénégalais ne va pas cautionner une telle pratique d’autant que c’est lui, le président de la République, qui a ouvert la boîte de Pandore, avec la traque des biens mal acquis. C’est aussi Macky Sall qui a invité les Sénégalais à une gouvernance sobre et à une gestion vertueuse des biens de l’Etat. Si aujourd’hui il accueille en son sein des gens qui ont été épinglés par des rapports d’audits, il y a un paradoxe, un problème de cohérence qui se pose.

Est-ce que cela ne risque pas de lui porter atteinte en perspective de 2017 ?

Le problème qui va se poser, c’est que le président Sall, s’il accepte cet entrisme non contrôlable au sein de son parti, risque d’en payer les pots cassés. Les deux alternances que le Sénégal a connues, qui sont des alternances pacifiques, ont montré que les citoyens sénégalais sont assez conscients. Le Sénégal peut se targuer d’avoir une société civile assez performante qui joue son rôle de conscientisation de l’opinion.

Actuellement il suffit d’écouter les émissions ‘’Wax sa xalaat’’ et lire les contributions dans la presse écrite, pour se rendre compte que les populations ont compris que d’anciens responsables du Pds, qui ont été suspectés de malversations et épinglés par beaucoup de rapports d’audits, sont en train d’être couvés par l’actuel chef de l’Etat. Les Sénégalais risquent de le prendre comme quelqu’un qui n’est pas en phase avec ses idéaux et ce qu’il est en train d’imprimer à travers la traque des biens mal acquis. La dernière chose est que, lors de la prochaine campagne électorale, les adversaires politiques de Macky Sall vont se faire plaisir en essayant de montrer les contradictions et le manque de cohérence dont il a fait preuve, en acceptant de recevoir au sein de son parti des transhumants qui ont fait l’objet de poursuite judiciaire.   

PAR ASSANE MBAYE

 

Section: 
Dolel PIT
CONTRE L'EXTRÊME DROITE : Les francs-maçons de France appellent à un rassemblement le 18 juin
PIT SUR LES SORTIES D’OUSMANE SONKO : ‘’Ce qu’on attend du Premier ministre…’’
TENSIONS ENTRE PASTEF ET LES JOURNALISTES : Ousmane Sonko, les non-dits d’une relation amour-haine avec la presse
MIMI TOURÉ SUR LA PARTICIPATION DES FEMMES AUX ÉLECTIONS : ‘’Les femmes ne sont pas nécessairement porteuses de projets qui sont bons pour les femmes’’
APRÈS LES SORTIES DES POPULATIONS : Les ICS se lavent à grande eau
Mamoudou Ibra Kane
Thierno Bocoum
VISITE AU MARCHE À BÉTAIL DE DAHRA DJOLOF : ‘’Plus de 600 millions F CFA financés par le Fonstab n’ont pas été recouvrés dans la zone’’
POURSUITES JUDICIAIRES : Ousmane Sonko menace les dirigeants de l’ancien régime
« PROJET » PASTEFIEN : « A partir de septembre, le « Projet sera opérationnalisé », selon le député Ayib Daffé
KALIDOU SY, PROFESSEUR D'ANALYSES DE DISCOURS : ‘’La véritable efficacité d'un slogan dépend de la capacité des dirigeants à rester fidèles à ce mot d'ordre’’
‘’SOPI’’, ‘’NATANGUÉ’’, ‘’JUB, JUBAL, JUBANTI’’, ‘’FAST TRACK’’ : Les slogans comme arme de communication des régimes au Sénégal
ENTRETIEN AVEC GALLO TALL, PORTE PAROLE ADJOINT DU PDS : ‘’Karim a décliné des postes dans le gouvernement’’
RECOMPOSITION POLITIQUE : La méthode Amadou
CONSEIL DES MINISTRES : De nouveaux patrons pour la Senelec, Promoged, Petrosen Holding Sa, Aser, AEME…
ÉRADICATION DES ABRIS PROVISOIRES, DIGITALISATION INTÉGRALE DU SYSTÈME... : BDF veut rénover l'école sénégalaise 
Décret de répartition
MESURES INDIVIDUELLES : Les nominations en conseil des ministres
CONSOLIDATION DE LA PAIX AU SÉNÉGAL : Le Conseil interreligieux du Sénégal pour la paix  engage le combat