Publié le 17 Jun 2015 - 18:21
MARCHANDS AMBULANTS APRES LEUR DÉGUERPISSEMENT

‘‘Ce sera Petersen et nulle part ailleurs’’

 

Le désencombrement de la voie publique initiée samedi dernier par la mairie de Dakar-Plateau charrie son lot de mécontents. Après une action municipale ponctuée de scènes de violences, dont l’incendie ‘anonyme’ de plusieurs magasins, les marchands ambulants ne désarment toujours pas de se voir rétablir dans leurs droits...et leur espace.

 

Entre actions légales et désir de revanche, les camarades d’Arona Niang sont regroupés à la devanture d’un magasin, sur l’Avenue Malick Sy. En face de la sortie du garage Petersen, les trottoirs sont libres, la chaussée salie et noircie par les traces de fumée, et les marchands ambulants omniprésents. Depuis le rond-point, un concert de gesticulations, de protestations véhémentes  et d’une longue liste de complaintes ponctuait leur rassemblement improvisé dans la chaude matinée d’hier. De plus près, un marchand ambulant assis sur un tabouret relevait les noms de ses congénères près desquels était annotée une cotisation de 1000 F CFA, dans un cahier neuf dont les feuilles se remplissaient rapidement. Cette somme est collectée en guise d’avance pour les honoraires d’un huissier qu’ils vont commettre pour constater les dégâts ; et d’un avocat ou même ‘‘d’un pool d’avocats’’, promet Arona, pour intenter une action en justice contre le maire de Dakar Plateau Alioune Ndoye.

Le coordonnateur du collectif des responsables de marchés de Dakar est très en colère malgré la contenance  dont il fait montre. A la suite de sa conférence de presse de la veille, il s’en prend ouvertement au maire du Plateau, Alioune Ndoye. ‘‘Nous allons  attendre le rapport de l’huissier, rassembler les certificats médicaux des blessés, plus quelques compléments de documents pour commencer notre action judiciaire. Nous allons être édifiés sur l’existence d’une justice dans ce pays’’, déclare-t-il d’une voix calme mais ferme.

Petersen fait plus que ruminer sa colère ; il la crie haut et fort. Dans le sillage du déguerpissement des marchands ambulants de cet ‘‘emplacement stratégique’’, c’est toujours le branle-bas de combat sur cette avenue où les traces des affrontements de ces deux derniers jours sont toujours visibles. Les trottoirs sont libérés, mais le risque de réinstallation est bien réel. Des palettes de bois  sont rassemblées et les tables détruites sont retapées brièvement par les marchands pour reprendre possession d’un espace, somme toute exigu, duquel ils ont été chassés depuis samedi. ‘‘Ce sera Petersen et nulle part ailleurs’’, lancent des marchands venus s’enquérir de la situation. Et comme preuve de cette infaillible résolution, les coups de marteau résonnent, restaurant sommairement les quelques étals qui ont échappé à la furie des éléments du maire Alioune Ndoye. ‘‘Comment voulez-vous que l’on paie plus de 200 mille F CFA mensuels pour les revendeurs au détail que nous sommes ?’’ se demande Abdou Dieng. Ce jeune revendeur en sueur est contre la délocalisation de leurs activités vers le centre commercial Rail-bi. La plupart de ces commerçants font le ‘Rangou’. Prendre à crédit des articles chez les magasiniers, chinois pour l’essentiel, afin de les écouler au détail. ‘‘Les marges de bénéfices réduites ne nous permettent pas de prendre des cantines en location’’, déclare Samba Mbaye, un autre vendeur ambulant.

Circulation fluide

La circulation piétonne est plus fluide qu’à l’accoutumée au grand bonheur des élèves en uniforme qui viennent de terminer les cours. Et au grand dam des marchands ambulants, très remontés contre le maire de la commune de Dakar-Plateau et ses volontaires. Dans les quelques niches épargnées, un groupe de jeunes voulait même en découdre. Seule la présence dissuasive d’un escadron de la police stationnée au rond-point a étouffé les velléités d’une loi du talion. Les marchands prônaient tout simplement la réciprocité : le saccage de l’hôtel communal, siège de la mairie du Plateau. Dans la bataille d’opinion qui fait suite à l’incendie des bâtiments qui jouxtent le rond-point, les marchands ambulants se désolent de l’illégalité des actions de la mairie.

Outre des volontaires commis à l’exécution de cette décision, et une sommation inexistante, selon eux, ils déplorent l’incendie qui a détruit tous leurs articles. Plus de quinze magasins et 450 installations ont été mis à feu, à en croire Arona Niang. Mamadou, surnom d’un des magasiniers chinois, fournisseur d’articles aux ambulants, tente d’expliquer les pertes qu’il vient de subir. Un amas de marchandises calcinées. Il constate amèrement les dégâts dans une dissertation plein d’entrain. Mais la barrière linguistique réduit assez vite ses explications en une gestuelle expressive, avant que ses employés sénégalais ne volent à son secours. De son imposant magasin bien achalandé, l’incendie a presque tout réduit en cendres. Seul le scintillement des strass et de quelques bijoux plaqués, qui constituaient l’essentiel des articles, rappelle au bon souvenir de ce qu’était la boutique.

Dans le magasin d’en face, ‘Saye’, où les flammes ont également ravagé le local, les vêtements hauts et jeans qui constituaient le gros de la marchandise jonchent le sol en compagnie des mannequins dévorés par le feu. Seule la poutrelle en métal qui soutient le bâtiment, et les murs noircis tiennent encore. On y sauve les rares articles récupérables. Les vendeurs y avaient sauvegardé leurs marchandises quand le désencombrement a commencé. Mais le déclenchement de ce mystérieux incendie a presque tout emporté, causant le désarroi des vendeurs.

Alors que trois d’entre eux ont été déférés au parquet suite aux échauffourées, les ‘ambulants’ se disent ulcérés par ces arrestations alors que ‘’des volontaires armés et formellement identifiés vaquent à leurs occupations’’.  Ils se disent également déçus qu’aucune autorité, administrative ou coutumière, ne soit venue s’enquérir de leur situation ; alors que Chinois et Nigérians ont déjà reçu la visite de leurs consuls. La position nette du maire de ne leur céder aucun pouce de terrain sur la voie publique opposée à leur irréductible ‘‘Petersen ou rien’’ augure d’une suite âpre. 

Ousmane Laye Diop

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