Publié le 27 Oct 2017 - 17:13
BONNES FEUILLES

Omar Sharif Ndao décortique la lutte sénégalaise

 

Le journaliste-écrivain, Omar Sharif Ndao, à travers son nouveau livre, intitulé ‘’Lutte sénégalaise, au-delà des millions et des passions’’, entre dans les entrailles de la lutte sénégalaise et met en exergue ses multiples facettes en passant du spectacle jusqu’au coulisses en dehors des arènes. EnQuête vous en  présente quelques extraits.

 

 

La lutte sénégalaise, dans sa plus simple expression, est la confrontation entre deux adversaires. L’un voulant terrasser l’autre.

Au-delà de cet aspect purement spectaculaire, d’autres formes plus ou moins insolites se passent en dehors des arènes. Le plus souvent, dans le plus grand secret qu’aucun amateur, supporter ou même parent ne peut deviner. Ces faits se passent avant la tenue des combats. Cela peut durer des mois, des jours ou des heures précédant la confrontation.

C’est du moins la thèse défendue par ce grand observateur et acteur de la lutte Cheikh Diop, ancien président des managers : «On a beau se préparer techniquement, physiquement, mystiquement, les combats se gagnent dans les maisons, loin des enceintes. Et cela, durant le «lewaato» (balancement des bras). Tout se fait en amont. Cependant, le lutteur est mieux armé s’il est doté d’un bagage technique, d’un physique irréprochable et d’un courage inébranlable», argumente cet ancien lutteur sérère.

L’histoire de la lutte est une succession d’anecdotes, et la liste est loin d’être exhaustive. Les exemples évoqués ci-après sont purement  sélectifs. Du lutteur à ses inconditionnels supporters, en passant par le manager, sa famille, ses entraîneurs, ses partenaires et ses adversaires, tous ont eu à vivre des anecdotes qu’ils gardent jalousement dans un coin de leur cerveau.

Le premier combat de lutte qui a eu lieu au Sénégal l’a été en 1924, arbitré par un français et c’était en lutte simple. Il a fallu attendre plusieurs années pour voir l’avènement de la lutte avec frappe. De grands champions faisaient leurs apparitions et c’était quasiment par décennie. Hormis Fodé Doussou Bah qui ne luttait qu’en simple, des champions comme Buuri Patar, Mbaye Dia, Diop Bécaye n°1, n°2 et n°3, Zazou Ndiaye, Demba Thiaw, Abdourakhmane Ndiaye Falang, Cheikh Mbaba ont marqué leur époque.

Buuri Patar, père des lutteurs Daouda et Soulèye Dop était le champion incontesté de la région de Kaolack. Il a réalisé de grands exploits dans cette contrée et au-delà et à l’époque, il se mesurait régulièrement à quelques-uns des lutteurs précités.

 La génération de Falaye Baldé, Robert Diouf, Boy Bambara Mbaye Guèye, Double Less dans les années 1970 fera parler d’elle avec des combattants talentueux et téméraires. La décennie suivante consacrait la génération de Manga 2, Mor Fadam, Touba Dior, Mohamed Ali, feu Alioune Sèye, Mor Nguer, Dame Soughère, feu Modou Pouye entre autres. Moustapha Guèye, Mame Ndiambane, Alioune Diouf, Cheikh Mbaba, Zale Lô, suivront leurs traces avant de céder la place à Mohamed Ndao Tyson, Bombardier et Yékini. Balla Gaye N°2, Modou Lô incarne cette nouvelle génération en attendant l’éclosion de futurs champions comme Malick Niang, Sa Thiès, Abdoulaye Ndiaye (Ndakaru) ou encore Alioune Diop (Lansar) et Demba Thiaw (Yoff).

La lutte, par ces temps présents, connaît un nouvel essor dû essentiellement à l'entrée dans l'arène de jeunes promoteurs qui ont fait de ce sport national, un élément évènementiel à la manière des combats de boxe organisés en Amérique ou en France.

Leur arrivée a permis de canaliser l'engouement populaire vers les arènes mais aussi ouvert le monde de la lutte aux sponsors et permis aux lutteurs de gagner des millions et de s'ériger en vedettes à travers tout le pays.

La lutte sénégalaise compte des milliers de pratiquants qui n’ont pas toujours la chance de s’illustrer. «5h du Matin», sociétaire de Rock Energie peut faire partie de ces lutteurs qui ont marqué leur époque car ce dernier a intégré l’écurie de son quartier, la même année (2002) que Modou Lô et quasiment à la même date.  A l’instar de son ami qui est populaire, millionnaire et qui a une vingtaine de combats à son actif, «5h du Matin» ne compte qu’un combat officiel et médiatisé. Il le doit au promoteur Luc Nicolaï en 2010-2011 à Mbour. Comme le sobriquet qu’il porte, il s’est toujours levé tôt, mais c’était plus pour se concentrer sur son boulot de menuisier métallique  qu’à des espoirs de combats utopiques.

Que dire des Boy Pambal, Zazou Ndiaye, Thérèse Ndiir, Médoune Khoulé, Boy Naar Fall, Ousmane Ngom ? Cette citation n’est pas arbitraire, mais que de lutteurs qui ont fait parler d’eux !   Ambroise Sarr, Mor Fadam, Pape Diop Boston, qui ont représenté à plusieurs reprises le Sénégal dans les tournois mondiaux. Djally Birama Thior, Malick Niang, Demba Thiaw, Pape Kane (l’un des meilleurs frappeurs de sa génération), Lang Sané, Docteur Faye, Ibou Ndappa, Cheikh Mbaaba, Mor Nguer, Dame Soughère, Balla Bèye N°1 (le premier à battre Moustapha Guèye), ont eu leur jour de gloire. Mame Ndiambane qui a révolutionné la façon de lutter des lourds avec une agilité déconcertante  s’est aussi illustré par des défaites devant Zale Lô (détenteur du drapeau du Chef de l’Etat en 1996), Commando ou encore Lac de Guiers N°1.

Balla Bèye N°2, le «Mbarodi» compte près d’un quart de siècle (20 ans) dans l’arène avec une carrière bien remplie. Il affronté quatre (4) rois des arènes pour cinq (5) défaites (3 contre Yékini, 1 contre Balla Gaye N°2 et 1 contre Bombardier à Bercy) et une victoire sur Bombardier en 2006. Courage et abnégation lui ont permis d’écrire son nom en lettres majuscules, alors qu’il n’a aucun parent lutteur. Avec seize (16) victoires pour vingt-six (26) combats, le mohican Hal Pulaar veut finir en beauté sa carrière avec des succès incontestables. Naar Touré, fils de Toubabou Dior, qui avait les atouts physiques pour réussir comme son champion de père, disait toujours que ses études (maitrise en commerce international) étaient plus importantes pour lui que la lutte.  Ama Baldé, Siteu, Armée, Yanda, Modou Anta, Ambulance (Thiès), Malick Niang, Sa Thiès, Demba Thiaw, Douboune, Marley, Diégane, Général Waly Faye, Abdoulaye Ndiaye, pour ne citer que ceux-là incarnent l’avenir de la lutte.

Quelques techniques de lutte

-                Bussulu: une technique risquée et dangereuse

La particularité de cette technique est qu’elle est dangereuse, c’est pourquoi les lutteurs ont peur de la tenter. Autant elle peut être mortelle pour la victime, autant le lutteur qui le tente peut être vaincu si la prise n’est pas bien faite.  L’adversaire attend que son vis-à-vis l’attaque de front pour lui prendre la jambe. Il contrattaque, agrippe solidement son «ngemb» des deux côtés et le projette. C’est dangereux car cette chute a déjà vu la mort d’un lutteur de l’écurie Walo du temps de feu Alioune Sèye et Mohamed Ali. Cette technique de lutte est prisée chez les Socés et les Diolas.

Un « bussulu » dramatique s’est passé en Gambie où un lutteur de l’écurie du Walo a été tué par cette technique. Il s’appelait Abou Ndiokel et c’est un lutteur Gambien qui lui a fait cette prise. Il s’est fracassé le cou et est mort sur le coup.

-                Deub Sole :

Le « deub sole » consiste à mettre son bras sous l’aisselle de son adversaire. Cette action est l’élément déclencheur d’une chute. Le lutteur utilise cette technique pour contraindre son adversaire à ne pas attaquer. C’est aussi valable dans une action de lutte pure. A partir du « deub sole », des lutteurs «techniques» peuvent enchaîner par un « caxabal », un « xalap », « laali »… une action qui peut être offensive ou défensive. En général, lorsque l’on dispose d’un bagage technique, le « deub sole » permet de créer des ouvertures et terminer le combat par les clés précitées. Toutefois, l’usage simultané des deux bras désigne le « naax ». Il faut souligner aussi qu’en l’absence d’une prise de « ngeemb », le « deub sole » est indispensable dans un combat.

Voici quelques « deubs soles » historiques :

-                Yekini/Bombardier : «deub sole » suivi d’un caxabal : Ce combat qui était d’une forte intensité a débuté par un « deub sole », mais il s’est terminé par un « caxabal ». Yékini a mis son bras sous l’aisselle de Bombardier avant d’exercer une pression de la poitrine.

- Ness/Papa Sow : plaquage au finish : Ness reçoit le coup de Papa Sow et saigne. Il a tenté son va-tout en débutant par un « deub sole » pour enchainer par un plaquage. Son bras sous l’aisselle et l’autre sur les cuisses de Papa Sow ont fait la différence.

-Ama Ndao/B52 : « deub sole » et enchaînement par un naax : Face à un adversaire lourd qui reculait, Ama Ndao, par des bras puissants, enserre B 52. Une rotation du buste et un coup de reins font perdre l’équilibre à B 52 qui se retrouve derrière les sacs.

-                Caxabal

Le « caxabal » est une technique qui permet de terrasser l’adversaire par les jambes. Quand les deux lutteurs s’accrochent et que l’un agrippe ses mains solidement sur les côtés du « ngeemb ». Qu’il mette une de ses jambes entre celles de son adversaire ou un crochet intérieur ou extérieur, exerce une pression en collant son buste contre celui de ce dernier. Il existe quatre (4) formes de « caxabal » : « Biir », « Biti », « Sole », « Kolma »

Pour mémoire, quelques « caxabal » historiques :

-                Zale Lô/Mohamed Ali: « caxabalu biti » : Zale Lô a pris le soin de ceinturer Mohamed Ali. Il met négligemment son pied droit sur sa cheville gauche. Pour l’inciter à bouger. A cet instant précis, il se met de côté et enchaine avec son pied à l’extérieur qui déséquilibre le poids Mohamed Ali.

-              Mame Ndiabane/Commando : « caxabalu biir »

Caxabalou Biir (avec le ventre). Mame Ndiambane amorce la prise avec sa jambe, passe ses mains au-dessus des épaules de Commando et son ventre, collé sur à ce dernier, a fait le reste. Mais si la jambe accroche la cuisse ou le genou, ce n’est plus un caxabal. Un caxabal bien fait ne doit pas dépasser le niveau de la cheville.

-               Yekini/Bombardier : le haut du buste fait la différence : Yékini savait que Bombardier avait une meilleure prise que lui. Il sort sa tête, donne un coup à Bombardier, tout en sachant qu’il va riposter. En position siamoise (collée), quand un coup doit partir, le haut du buste est un élément essentiel. Au moment où Bombardier soulève la main pour frapper, Yékini exerce une pression sur lui, enchaine par un croc en jambe intérieur et le terrasse.

-                Eumeu Sène-Balla Gaye N°2 : « caxabalu kolma » : Quand Eumeu Sène exerçait le Caxabal sur Balla Gaye N°2, il était un peu en génuflexion. Cette action s’est passée en plusieurs étapes, mais a été longue à se dessiner. 

-                 Faxxat ou technique de la bride ou de l’aspiration

Le Faxxat, c’est une technique qui sert à s’emparer des épaules, des bras ou d’une attache de son adversaire qui peut être en général des «dakk», gris-gris comme Senghor ou «lapataké» (talisman serré sur les biceps). Une bonne saisie fait le reste car la victime est basculée, tirée  vers son bourreau. Elle tombe le plus souvent sur le ventre ou sur ses quatre appuis. Quand la règle des quatre appuis n’était pas validée comme chute, celui qui a amorcé le Faxxat n’avait plus qu’à pousser son adversaire au sol. C’est comme s’il est happé par un aimant ou tiré par une laisse. 

 

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