Publié le 19 Dec 2019 - 02:27
DIAMNIADIO

Symbole de l’émergence ou enclave émergente

 

En matière de réalisation d’infrastructures, Diamniadio est un joyau pour le président de la République Macky Sall. Un indicateur d’émergence nationale pour les pouvoirs publics qui n’est, pour le moment, qu’une enclave qui émerge.

 

La stabilité ! L’environnement des affaires stable est un véritable attrait pour les investissements directs étrangers. A titre d’exemple, le Sénégal est le seul ancrage historique du géant français de la construction, Eiffage, en dehors de ses marchés traditionnels d’Europe. ‘‘Le principal risque d’une concession est la stabilité politique (...) Nous avons 93 ans d’existence au Sénégal, notre seul ancrage historique en Afrique. Le pays concentre 1/3 de nos activités hors de nos ancrages historiques en Allemagne, Belgique, Espagne et Portugal’’, expliquait Christian Cassayre de la Fondation Eiffage, il y a trois semaines à Paris, devant un groupe de journalistes sénégalais. L’autoroute de l’Avenir que ce groupe a construite sert à gagner une toute nouvelle cité qui est un croisement entre zone d’expansion économique et pôle urbain : Diamniadio.

Le rythme de construction des villes sénégalaises après l’indépendance est presque nul. Excepté le pôle urbain de Diamniadio, encore en construction, difficile de trouver un programme innovant et structurant qui serait le pendant économique de Dakar. Dans la continuité de l’agglomération dakaroise et des métropoles mbouroise et thiessoise, le pôle urbain de Diamniadio est, dans la vision des pouvoirs publics, une suite territoriale logique qui décongestionnerait une capitale dont le rythme économique ne suit pas la croissance démographique. La capitale devrait accueillir 5 millions de personnes en 2030, soit près du tiers de la population sénégalaise.

En cinq années d’existence, Diamniadio est passé du presque néant à une presque ville. De nombreuses infrastructures y ont été construites, comme le Centre international de conférences Abdou-Diouf (Cicad), trois sphères ministérielles déjà opérationnelles qui accueille beaucoup de départements ministériels, un hôtel, un palais omnisports qui a déjà accueilli un tournoi continental de basket, le Dakar Arena, un parc industriel dans la zone économique... Pour le président Macky Sall, nul doute que Diamniadio est à la fois ‘‘symbole et indicateur d’émergence’’. 

Décentrer l’économie du plateau dakarois vers l’intérieur

La construction des grands chantiers a du bon, si l’on en croit le rapport de présentation de la fiche Sénégal de la Banque mondiale. ‘‘Si tous les secteurs de l’économie ont tiré la croissance en 2018, celle-ci a surtout bénéficié de trois moteurs principaux : l’agriculture, boostée par des programmes de soutien, la demande extérieure, robuste, et les grands investissements d’infrastructures entrepris dans le cadre du Plan Sénégal émergent (Pse)’’, détaille le document. Le pays, qui affiche une croissance supérieure à 6 %, depuis 2014, devrait conserver cette dynamique dans les années qui viennent, en faveur notamment du démarrage de la production de pétrole et de gaz prévu en 2022. Alors que le taux de croissance du Pib s’était accéléré en 2017 pour franchir la barre des 7 %, les projections indiquent une progression stable de plus de 6 % pour 2018 et les années suivantes.   

Avec un taux de croissance en constante évolution depuis sept ans (6,8 % actuellement), le pays ‘‘veut engager les grands chantiers structurants de l’économie et dépasser les débats politiciens. L’assise politico-démocratique du Sénégal n’est plus à démontrer’’, souffle-t-on dans la délégation présidentielle qui a fait le déplacement en Egypte, la semaine dernière pour le forum d’Assouan. 

Pour la deuxième phase du Pse (2019-2023), le Sénégal a obtenu, en décembre 2018 à Paris, des engagements des bailleurs de 14 milliards de dollars. Les projets structurants du Pse en matière de transports aérien et terrestre sont des déterminants également importants. Le 19 novembre dernier, au Salon aéronautique de Dubaï, le Sénégal a procédé à la signature des termes principaux relatifs à l’acquisition de huit avions Airbus A220-300. Avec les deux A330 neo, dont le dernier a été réceptionné en décembre, ils incarnent les nouvelles ambitions du pays sur le plan aéronautique. La source de poursuivre : ‘‘Reconstruire une nouvelle flotte aérienne après avoir inauguré l’infrastructure aéroportuaire en décembre 2017, desservir Diamniadio par le Ter, booster l’économie portuaire voisine, dénote du désir de décentrer l’économie du plateau dakarois vers l’intérieur. Quant au Bus Rapid Transit, le constat s’impose de lui-même que la mobilité est un pari à remporter pour limiter et combler éventuellement l’énorme contrepartie financière des embouteillages.’’

Enclave émergente

Pour autant, le Sénégal n’y est pas encore. Une analyse de l’indice synthétique d’émergence économique (Iseme) révèle qu’en 2016, seuls l’Afrique du Sud, l’île Maurice et le Maroc satisfont aux conditions d’émergence économique.  Du côté du pouvoir, on estime que de tels projets demandent également une adhésion populaire après les investissements lourds qui ont été consentis. L’appropriation citoyenne sera un déterminant aussi important que tous les indicateurs matériels ou financiers.

La plus grande crainte des pouvoirs publics pour la ville nouvelle est que ‘‘le civisme ne soit pas à la hauteur des enjeux’’. Avec un essor de la population urbaine, les investissements pourraient être inopérants, du fait d’une détérioration des infrastructures. D’après le rapport de la Banque mondiale sur l’urbanisation de l’Afrique (2017), la population urbaine de l’Afrique passera à 1 milliard de personnes en 2040 contre 472 millions actuellement.

D’ailleurs, la problématique sera au cœur du prochain Sommet France-Afrique : ville et territoires durables. Mais dans un pays où le taux de pauvreté était évalué à 46,7 % en 2011, en utilisant le seuil national de pauvreté, et à 38 % en se basant sur le seuil international (de 1,90 dollar en parité de pouvoir d’achat), Diamniadio pourrait passer pour accessoire, une sorte d’oasis d’opulence dans un océan de pauvreté. D’après la fiche de présentation du Sénégal sur le site de la Banque mondiale, ‘‘aucune donnée sur la consommation des ménages n’a été collectée depuis (2011). Mais les bonnes performances sur le plan de la croissance laissent penser que la pauvreté monétaire a reflué, dans les campagnes, grâce au secteur primaire et, dans les villes, grâce à la construction et aux services’’.

Malgré une volonté politique assez évidente, il est clair que Diamniadio est, pour le moment, une enclave qui émerge de manière isolée, à cause de son éloignement, du renchérissement des coûts du transport et du logis...

Chez les autorités, l’heure est à vouloir corriger les erreurs qui ont déjà valu à Dakar son caractère de ville invivable tout en ne faisant pas de Diamniadio un pôle exclusivement dédié à une quelconque élite. Vaste programme ! 

OUSMANE LAYE DIOP

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