Publié le 3 Oct 2020 - 22:59
UNION DES MAGISTRATS SENEGALAIS

La bataille de la survie

 

Fondée en 1968, l’Union des magistrats sénégalais (UMS) vit l’une de ses périodes les plus incertaines. Si, par le passé, l’organisation était surtout connue pour ses luttes de classes, la revendication de privilèges matériels, elle a été réconciliée avec bon nombre de Sénégalais, grâce à l’œuvre de l’actuel bureau. Ce qui dérange jusque dans ses propres rangs.

 

Le chemin qui mène vers la droiture, la liberté, est parsemé d’embûches. Ils sont nombreux, les magistrats, à être résolument engagés dans cette voie, quel qu’en soit le prix. Des coups, ils en reçoivent de toutes parts. Même dans leurs propres rangs. Sautant sur un argument brandi par des sources proches de la chancellerie, certains accusent maintenant le juge Souleymane Téliko d’avoir violé son serment, en se prononçant sur l’affaire Khalifa Ababacar Sall. Pour le Bureau exécutif, il faut surtout rester concentré sur l’objectif principal.

 C’est ainsi qu’il faut comprendre l’invite faite, hier, aux membres à ne pas tomber dans le piège. Dans la déclaration lue par son secrétaire général Abdou Khadir Khaoussou Diop, l’organisation a tenu à encourager les magistrats ‘’à rester soudés et à éviter de tomber dans le piège de la manipulation’’. Même s’ils n’ont pas voulu répondre aux questions, prétextant qu’il s’agissait d’un point de presse et non d’une conférence, certaines sources contactées sont formelles. ‘’Le fait de commenter une décision de justice, revêtue de la chose jugée, ne peut aucunement constituer une faute. D’autant plus que le président Téliko n’a fait que réitérer ce que des juridictions supérieures avaient déjà dit. Dans le serment, il n’est pas dit qu’on ne peut pas commenter une décision de justice’’, soutient un de nos interlocuteurs.

Pour l’Union des magistrats sénégalais, les raisons de ce qu’ils considèrent comme une ‘’tentative de musellement’’ prennent leur source de leur communiqué en date du 12 août 2020, portant sur l’affaire de l’affectation du magistrat Ngor Diop. Lequel avait condamné un dignitaire dans le Nord, malgré des pressions venant de l’Exécutif. ‘’L’UMS, soutient le porte-parole du jour, fidèle à sa mission de défense des principes qui garantissent l’indépendance de la justice, a sorti un communiqué pour dénoncer l’affectation injuste et arbitraire du magistrat Ngor Diop. Depuis lors, Monsieur le Garde des Sceaux, outré par l’indépendance d’esprit de l’UMS, a décidé de lui faire payer son ‘audace’ en s’en prenant à notre union par divers moyens’’.

Contestations dans les rangs, l’UMS évite le piège

L’organisation en veut pour preuves la diffusion, par les services de communication du ministère de la Justice, de la lettre de démission d’un membre simple de leur organisation. Ensuite, est venue l’audition de leur président devant l’Igaj, alors qu’au même moment, certains de leurs collègues, connus pour leur proximité avec le régime, mènent en toute illégalité des activités politiques. Last but not least, selon l’UMS, il y a cette campagne de dénigrement sur fond de contrevérités au sujet de la nationalité, des accointances politiques et des origines ethniques du président de l’UMS.

‘’En se livrant à une telle stratégie de musellement de notre organisation, le garde des Sceaux veut nous imposer une alternative : se taire ou disparaître. Nous, membres de l’UMS, avons choisi une troisième voix : celle de la liberté et de la dignité’’.

Aujourd’hui, c’est l’avenir même de l’institution qui se pose avec acuité. Au sortir d’une telle épreuve, existera-t-il de magistrats suffisamment engagés pour succéder au président Téliko qui en est à son dernier mandat ? Rien n’est moins sûr.

En tout cas, pour le bureau actuel, ‘’dans l’intérêt des magistrats, des citoyens et de la justice tout entière, l’UMS doit continuer et continuera à faire entendre la voix des magistrats et de tous ceux qui ont fait le choix de faire prévaloir la vérité sur le faux, la justice sur l’arbitraire’’. A les en croire, le garde des Sceaux s’est disqualifié, parce qu’il a montré ‘’son incapacité à faire preuve de la hauteur et du sens du dépassement que nécessite une gestion efficiente d’un service aussi important et délicat que la justice’’.

L’indépendance de la justice en péril

En conséquence, l’Union des magistrats sénégalais a pris les mesures suivantes, en sus de l’encouragement de ses pairs à ne pas tomber dans le piège ourdi par la tutelle.

D’abord, elle a décidé de mettre un terme à toute forme de collaboration avec le garde des Sceaux. Ensuite, elle demande son départ pur et simple du ministère de la tête du département de la Justice, ‘’compte tenu de sa propension à créer et à entretenir des conflits préjudiciables au fonctionnement normal du service public de la justice’’.

En outre, elle exige l’abandon immédiat de la procédure initiée contre son président. Invite ses membres élus à suspendre toute activité au sein du Conseil supérieur de la magistrature, demande à tous les collègues de se constituer d’ores et déjà comme conseils, pour la défense du président Souleymane Téliko. Aussi, l’organisation sollicite l’intervention du président de la République ‘’pour prendre les dispositions nécessaires au fonctionnement harmonieux de l’institution judiciaire’’. 

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La société civile se joint au combat

Au point de presse organisé, hier, par l’Union des magistrats sénégalais, étaient également présents plusieurs figures de proue de la société civile sénégalaise dont Birahime Seck, Elimane Haby Kane, Kilifeu, pour ne citer que ceux-là.

Dans ce combat engagé contre la chancellerie, les magistrats ne sont pas seuls. Hier, à leur point de presse, étaient présents plusieurs membres de la société civile ainsi que des avocats comme Maitre El Hadj Diouf. Coordonnateur du Forum civil, Birahime Seck ne met pas de gants pour protester contre ce qu’il considère comme une tentative de bâillonnement de la justice.

‘’Le président de la République, dit-il, ne devait jamais accepter que cette affaire prenne cette ampleur. Ce que nous attendons de lui et de son ministre, c’est de faire des réformes pour que la justice soit indépendante, autonome avec des magistrats indépendants. Au lieu de cela, on constate surtout un système qui veut affaiblir tout ce qui est association ; un système qui veut bâillonner la magistrature. C’est inadmissible’’.

Pour lui, aucun citoyen épris de justice ne devrait laisser passer. ‘’Anéantir Téliko, estime Birahime Seck, c’est anéantir l’UMS et tous les magistrats. Personne ne doit laisser faire. Les magistrats rendent justice au nom du peuple. C’est pourquoi nous interpellons tous les Sénégalais. Ce combat n’est pas le combat des magistrats, des avocats ou autres. C’est le combat du peuple’’.

Mais les magistrats, de l’avis de M. Seck, devraient être devant. Il leur demande de s’unir autour de l'UMS, de son président, au nom de l’indépendance de la justice. ‘’Sinon, on va vers des confrontations où le peuple sénégalais sera perdant’’, peste le coordonnateur du Forum civil, demandant au président de la République d’arrêter le garde des Sceaux Malick Sall. ‘’Ce ministre, depuis qu’il est là, ne fait que des bêtises. Nous avons besoin de stabilité au Sénégal, surtout dans ce contexte de relance de l'économie. On ne peut relancer l'économie sans une justice indépendante et crédible. Nous demandons l'arrêt des poursuites contre Souleymane Téliko’’.

Outre le Forum civil, étaient également présents Elimane Haby Kane de Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégie) Africa, Kilifeu de Y en a marre, entre autres. D’ailleurs, le Bureau exécutif de l’UMS n’a pas manqué de se féliciter de cet élan de solidarité manifesté par les citoyens sénégalais de tous bords. Elle invite tous les citoyens, les hommes épris de justice, à faire barrage à cette tentative de museler le socle de l’Etat de droit que représente la justice.

Une action en phase avec les textes

Accusée d’en faire trop dans son combat pour l’indépendance de la justice, l’UMS invoque l’article 4 de ses statuts, qui fixe sa mission. Celle-ci consiste à défendre et d’illustrer l’indépendance de la magistrature telle qu’elle a été proclamée par la Constitution sénégalaise ; de susciter chez ses membres l’esprit de réflexion, le goût de la libre discussion et de la recherche sur l’ensemble des problèmes judiciaires qui se posent à la profession…

Toujours dans ses attributions, l’UMS doit favoriser, en collaboration avec toute autre association poursuivant le développement des sciences juridiques, l’étude de ces problèmes et la vulgarisation du droit sénégalais ; resserrer les liens de solidarité, développer l’esprit d’entraide et de collaboration entre ses membres et défendre leurs intérêts professionnels, matériels et moraux.

‘’Depuis son arrivée à la tête de l’association, souligne le document, le bureau a inscrit son action sous le sceau du dialogue constructif, tant dans ses rapports avec la chancellerie que par rapport aux autres acteurs de la justice. Cette démarche d’ouverture a toujours été adossée à une conviction, à savoir que la justice est un bien commun qu’il nous appartient de préserver’’.

Selon Khaoussou Diop, dans cette quête perpétuelle d’une justice chaque jour plus crédible et plus respectée, le magistrat a un rôle déterminant à jouer : ‘’C’est de contribuer par sa posture, ses réflexions et son engagement, à rehausser l’image de la justice. C’est précisément pour l’avoir compris que l’UMS s’est toujours évertuée à offrir aux magistrats et, au-delà, à tous les citoyens qui s’intéressent à la justice, des espaces de dialogue et d’échange qui ont permis de lever bien des équivoques sur le fonctionnement du service public de la justice.’’

Mor AMAR

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