Le pape François, un fan de foot comme les autres

Le pape François s’est éteint ce lundi, à l'âge de 88 ans. Joueur moyen, suiveur assidu de San Lorenzo et croyant en un football humaniste et collectif, il était un supporter comme les autres, finalement.
« Je jouais sur le globe de la Terre. » La phrase pourrait émaner d’Eduardo Galeano, Pier Paolo Pasolini ou Diego Armando Maradona. Elle a été écrite par le pape François dans son autobiographie Espère. Jorge Mario Bergoglio s’est éteint ce lundi 21 avril, à l’âge de 88 ans. Pendant son pontificat, le premier pape latino-américain a bousculé les catholiques et défendu les pauvres, mais a aussi remis dans la lumière le club San Lorenzo, devant le premier souverain pontife très fan de foot, plus que Benoît XVI avec le Bayern Munich. Capable d’être socio d’un club sans en voir les matchs, d’accueillir tout le monde chez lui, mais de ne pas s’opposer à la loi de Gianni Infantino. Un fan de football comme les autres, avec ses contradictions.
Ballon de chiffons, club saint et carte de socio
Le 266e élu au siège est argentin, et comme tout argentin ou presque, il aime le foot. Comme son histoire a commencé avant l’ordination, les cours de théologie en Allemagne pendant le Mundial 1986 et la vie cloîtrée au Vatican, François a commencé à le pratiquer dans sa jeunesse. Avec un ballon fait de chiffons, raconte-t-il dans son autobiographie Espère, parue en début d’année. Si le titre du livre pourrait être écrit par n’importe quel supporter, l’histoire aussi : celle d’un enfant pas forcément doué au ballon, qui se définit comme « una pata dura », un gars aux deux pieds gauches. Jorge Mario Bergoglio est alors passé gardien, un poste qui « vous habitue à regarder la réalité en face, à affronter les problèmes ; on ne sait pas toujours très bien d’où ce ballon est parti, mais on doit quand même essayer de l’attraper. Comme dans la vie. »
Enfant de Buenos Aires, François se met aussi à supporter. Il devient fan de San Lorenzo par son père, joueur de basket du club. Le fils d’immigrés italiens dit n’avoir raté aucun de leurs matchs en 1946, année de leur troisième titre de champion d’Argentine. Avec ce souvenir d’un but, raconté dans La Croix : « Le championnat est sur le point de s’achever et le San Lorenzo joue contre le Racing de Avellaneda : centre depuis l’aile gauche, Pontoni dos à la cage contrôle de la poitrine et, sans jamais laisser tomber le ballon à terre, il le reprend du talon, contourne d’un lob le défenseur qui fonce vers lui, puis, à la limite de la surface de réparation, il décoche une flèche qui passe à la droite du gardien. Gooooaal. »
Les « Saints » (un des surnoms du club) gagnent une couronne. L’Église, elle, n’est déjà pas loin. San Lorenzo a été fondé après qu’un prêtre a ouvert la porte de l’oratoire pour laisser une bande de jeunes jouer au ballon. San Lorenzo, un nom en hommage à saint Laurent de Rome, patron des pauvres mort en martyr. Le socio numéro 88 235 célèbrera deux messes en l’honneur de son club, la première pour fêter son centenaire. Devenu premier pape sud-américain en 2013, le supporter le plus célèbre de San Lorenzo (avec Viggo Mortensen, pour les profanes) connaît le bonheur ultime lors de sa première saison au Vatican : les Cuervos (les corbeaux) remportent le championnat d’apertura 2013, puis enchaînent avec la Copa Libertadores en 2014. Destin ?
Vertus humanistes
Entre deux repas à la cantine du Vatican, François se plaît à rencontrer des légendes du jeu. Lionel Messi, Zlatan Ibrahimović, Neymar, pour les années 2010. Pelé, Maradona et son célèbre « Alors, quelle est la main incriminée ? » pour les anciens, dédicaçant des maillots urbi et orbi (ou s’en faisant offrir des mains de Jean Castex, avec un exemplaire de Notre-Dame de Paris). Sur Messi, il racontait aux Espagnols de La Sexta : « C’est un dieu avec la balle sur le terrain, avait-il expliqué. C’est agréable de voir comment il joue. Mais ce n’est pas Dieu. » Lors de sa visite à Marseille en septembre 2023, un tifo des South Winners viendra lui rendre un bel hommage vivant.
Le fan des Rouge et Bleu passera ses douze ans de pontificat à être informé des résultats de son équipe par un garde suisse. Sans télévision – très pratique pour garder un œil d’enfant sur son sport –, il clame sa passion pour le ballon rond ainsi que ses vertus. Paix et éducation arrivent en tête. Il adule le football amateur, dénonce la corruption, en même temps qu’il partage une vision humaniste sur les exilés lors de ses visites politiques. Pour fêter le siècle du Corriere dello Sport, Vatican News relate un pape dissertant sur la « joie de la victoire » et « la défaite, en essayant de se relever et en gardant précieusement les erreurs que l’on a commises pour essayer de les surmonter la prochaine fois, ou simplement en acceptant sa diversité et ses limites ». Simple, efficace. Et le rôle du sport ? « Faire grandir l’humanité dans ses valeurs les plus belles et les plus authentiques. » Un discours sur l’inclusion plus ouvert que l’ultra capitaliste Gianni Infantino.
Mais, comme avec son projet de réforme de l’Église (aucune femme ne peut être diacre, un homme marié ne peut être ordonné, l’homosexualité n’est pas encore admise), François n’a pas eu le temps (ou l’audace) de pousser au bout son anthropologie footballistique. Il n’est jamais revenu sur la victoire de l’Argentine en 1978 pendant la dictature ni sur le Qatar 2022, détournant son regard ou préférant continuer de voir le foot comme un vecteur de collectivité et de paix plus que de magouilles et d’inhumanité crasse. En modernisant l’Église, le pape a rompu avec ses prédécesseurs, mais est resté un homme de pouvoir qui n’a pas changé les règles. Le football du pape François était donc celui d’un supporter comme les autres, d’un rapport au sensible, aux émotions de l’enfance et à son quartier de Buenos Aires. Un football fait de couleurs, d’immigration italienne, de stades où se rejoignent les Cuervos. « L’homo sapiens est un homo ludens », écrit-il dans sa biographie.
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