Publié le 28 Nov 2018 - 21:38

« La servitude monétaire » du Franc CFA

 

D’emblée, je dirai qu’il n’ya pas le développement d’un peuple sans un éveil des consciences. D’ailleurs, le coefficient de maturité d’un peuple se mesure au degré de conscience collective de ce peuple. Cette conscience collective devrait nous amener à s’affranchir de ce joug colonial qui se perpétue de plus belle. Norbert Zongo avait raison de dire : « On ne libère pas un homme, un homme se libère ». La liberté nécessite un engagement et la possibilité de choisir son propre destin. C’est d’ailleurs tout le sens des mots de Paulho Coelho, lorsqu’il affirme que : « La liberté n’est pas l’absence d’engagement mais la capacité de choisir ».

L’affirmation d’une souveraineté monétaire est une condition sine qua none pour tendre vers l’émancipation et le développement des pays Africains et particulièrement ceux de la zone possédant le Franc CFA. Lequel franc est un instrument de servitude et d’exploitation des anciennes colonies de la France.

Mais, pourquoi la France continue de soutenir le franc CFA, cette monnaie réputée plomber le développement de ses anciennes colonies au dépens de son image de pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité ? La question en filigrane est pourquoi sortir du franc CFA et comment sortir du franc CFA ? Dans les lignes qui suivent nous tenterons de répondre à ces questions afin d’analyser l’impact de cette monnaie sur l’économie des pays de la zone Franc.

Faisons d’abord l’historique de cette monnaie. Le franc CFA, le Franc des Colonies Françaises d’Afrique a été créé par le Général Charles De Gaulle  le 26 Décembre 1945, jour ou la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède à sa première déclaration de parité au FMI (Fond Monétaire International). Aujourd’hui, les acronymes ont changé pour donner le Franc de la Coopération en Afrique centrale et Franc de la Communauté Financière en Afrique de l’ouest. Le CFA est la dénomination de la monnaie de 15 pays : Benin, Burkina Faso, Cote d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo, qui constituent (l’UEMOA), Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et le Tchad, qui constituent la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC) et les Comores.

Les défenseurs de la monnaie CFA avancent comme principal argument une stabilité monétaire et économique et, pour illustrer leur pont de vue, ils citent l’exemple de la Guinée Conakry qui après sa sortie de la zone franc en 1958 a commencé à avoir des difficultés économiques. Cette histoire de la Guinée a fini aujourd’hui de montrer tous ses secrets. En effet, après la sortie de la zone franc et la création du franc guinéen, il y’a eu des représailles de la France, car les services secrets français avaient créé de la fausse monnaie qu’ils avaient écoulé dans le marché guinéen, ce qui avait contribué à plomber l’économie du pays.

Il faut noter que la Tunisie, le Maroc et l’Algérie étaient membres de la zone Franc et l’ont quitté au moment des indépendances (respectivement en 1958, 1959 et 1963). Chacun d’entre eux dispose de sa monnaie nationale et a une situation économique plus enviable que n’importe lequel des pays de l’espace Franc CFA. Madagascar et la Mauritanie ont suivi ces pays et sont sortis du Franc CFA en 1973. Donc l’argument de la stabilité économique est fallacieux car, une analyse poussée de la situation montre que l’utilisation de cette monnaie freine le développement économique des pays de la zone Franc.

L’objectif de la création du Franc CFA pour Paris était d’avoir un contrôle économique sur les colonies et de faciliter le drainage des ressources des colonies vers la métropole. Le Franc CFA repose depuis sa création sur 4 grands principes :

  • La parité fixe avec le Franc français et aujourd’hui l’Euro: Cette parité indéfiniment fixe avec l’Euro vise à éliminer tout risque de change pour les investisseurs, et particulièrement les français qui demeurent les premiers clients dans des pays de cette zone franc ;
  • La convertibilité illimitée avec l’Euro : Cet arrimage fixe à l’Euro fait du CFA une monnaie surévaluée, déconnectée de la réalité et de la taille des économies sous-développées africaines ;
  • La centralisation des réserves de changes auprès du trésor français : la France utilise ces devises pour financer une partie de sa dette publique à auteur de 0,7%.
  • Le transfert libre des capitaux : les pays africains subissent les aléas économiques de l’Europe et de sa monnaie sans pouvoir intervenir.

Ces grands principes existaient depuis 1945, date de la création du Franc CFA mais, le mécanisme n’a pas changé et l’objectif reste le même. Dés le départ de la création du CFA, l’objectif était d’avoir un contrôle économique de ces Etats qui sont devenus aujourd’hui « souverains ». Ces Etats qui se disent souverains ont une monnaie dont ils n’ont pas le contrôle, c’est- à dire une monnaie qui est sous tutelle du trésor français.

L’économiste Ivoirien Nicolas Agbohou,  pense que les pays qui utilisent le Franc CFA sont privés et dépouillés de leurs richesses d’exportation et de leurs devises. Par ce système, la France s’approprie de ces devises, et les africains sont bloqués structurellement dans l’industrialisation de leurs économies, ce qui explique en partie la pauvreté de ces pays. Parmi les 15 pays de cet espace, 10 sont classés parmi les Pays les Plus Pauvres (PMA) dont le Sénégal qui se place au 25 rang mondial des pays les plus pauvres selon l’indice de Développement Humain avec un Indice de Développement Humain (IDH) de 0,505 (PNUD 2018).

La journaliste Française Fanny Pigeaud et l’économiste Sénégalais Ndongo Samba Sylla ont mis le doigt dans la plaie à travers leur ouvrage commun «  l’arme invisible de la Françafrique: une histoire du Franc CFA ». Les auteurs dans leur ouvrage nous montrent que la métropole avait offert un semblant d’indépendance aux pays africains tout ce qu’il y’a d’administratif, et retenu l’indépendance économique par le truchement du maintien du Franc CFA, monnaie coloniale par essence. Ce Franc sert plus aux intérêts impérialo-capitalistes que le développement des pays africains. Les auteurs affirment que la France continue à soutenir le Franc colonial pour 2 raisons principalement: l’exploitation et le positionnement.

  • Exploitation, pour tirer profit des ressources du continent africain et par la même, exercer une domination et un contrôle sur lui.
  • Positionnement, parce que cette monnaie utilisée par 15 pays est pour la France, à l’image de ces pays-mêmes, un instrument de positionnement géopolitique.

Pour Ndongo Samba Sylla le Franc CFA est une monnaie qui ne garantit pas le développement d’un pays souverain. Il trouve 2 problèmes avec le Franc Cfa. Le 1er, c’est qu’il n’est pas une monnaie africaine. C’est une monnaie qui est placée sous la tutelle française et européenne. Le 2iéme est qu’il ne permet pas le développement.

Les pays de la zone franc ont l’obligation de déposer 50% de leurs réserves de change au trésor français. Cet arrimage à l’Euro, une monnaie forte, empêcherait les Etats de disposer des prix compétitifs au détriment des exportations. D’ailleurs, l’économiste Kako Nubukpo dénonce la « servitude monétaire » issue de l’obligation pour les pays africains de déposer 50% de leur réserve au trésor français.

Pour sortir du franc CFA,  il faut dénoncer et rompre de façon unilatérale l’accord de coopération monétaire entre la France et les pays africains, et par la suite œuvrer vers une Monnaie Unique Africaine (MUA). Il faut dire que le cordon ombilical qui lie la France et ses anciennes colonies est difficile à couper, en raison de l’absence de volonté et de courage politique des dirigeants de la zone CFA.

Il faut noter qu’en Afrique Noire après l’épisode de la Guinée Konakry, l’ancien Président du Togo Sylvanus Olimpio avait mûri un projet de sortie du franc CFA, par la suite son sort a été tragique car il a été victime d’assassinat. Aujourd’hui parmi les Présidents en exercice, seul le Président du Tchad Idriss Débi a eu le courage de dire les limites du Franc CFA. Donc, le principal obstacle est l’absence de volonté ou de courage politique des dirigeants de la zone CFA perpétuant les complexes du dominé et entretenant des relations occultes avec une « Françafrique » au service de la France.

Aujourd’hui seule une nouvelle élite décomplexée de la trempe du Président de PASTEF Ousmane Sonko, peut conduire à bien cette « révolution ». Le révolutionnaire Che Guevara disait à ce propos : « Dans une révolution si elle est véritable, on doit triompher ou mourir ». Pour  Ousmane Sonko, il faut : « une sortie prudente de ce système exsangue car les banques centrales ayant perdu toute initiative de change, pour maintenir ce taux de réserves, compriment nos économies et réduisent l’activité interne par une limitation des émissions monétaires ». Sonko préconise la sortie du système Franc CFA sous sa forme actuelle, mais de manière graduelle avec une transition maitrisée à cause des contraintes liées à l’instabilité politique et aux faiblesses institutionnelles dans beaucoup de pays.

Pour Ousmane Sonko les mesures à prendre sont les suivantes :

  • Se départir de la tutelle monétaire de la France en lui retirant ses sièges au conseil d’administration de la BCEAO ;
  • Conserver la centralisation des réserves de change de la zone en Afrique, auprès de la banque centrale et cesser puis rapatrier les dépôts de 50% de ses réserves auprès du trésor français ;
  • Exploiter les stocks de réserves de changes, à mettre à disposition de nos Etats, propriétaires de la Banque, dans la limite d’un plancher prudentiel à définir (à l’image du seuil de 20% de couverture dans le système actuel inscrit des statuts de la Banque Centrale.

Le Président de PASTEF (Parti des Patriotes du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité) opte pour un système de change flexible à l’Euro qui conférerait plus de souveraineté et d’égalité monétaire en permettant de disposer d’un contrôle sur le change. Cependant, à défaut d’une monnaie communautaire, il envisage pour le Sénégal à pouvoir disposer de sa propre monnaie. D’ailleurs, les pays africains qui ont leur propre monnaie ne sont pas moins bien que ceux qui sont dans la zone CFA.

Une souveraineté monétaire des pays africains permettrait une autonomie de gestion de leurs ressources. Ces dernières, découvertes au Sénégal notamment le pétrole et le gaz, nécessitent une gestion transparente, efficace, et efficiente. D’ailleurs, chers lecteurs, la thématique de la gestion de ces ressources pétrolières et gazières au Sénégal sera l’objet de ma prochaine publication.

Serigne Dieng- Enseignant

Master 2 : Espaces, Sociétés et Développement (Aménagement et Gestion Urbaine en Afrique) à l’UCAD.

Coordonnateur de la Section Pastef de la commune de Sakal

Email : engiresdieng@gmail.com

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