Publié le 26 Nov 2022 - 22:35
ÉMIGRATION ET ARTISANAT

Aux confluents entre les modes sénégalaise et italienne

 

Au-delà des besoins de subsistance, l’émigration permet également d’acquérir un savoir-faire et un capital pour réussir dans l’entrepreneuriat. Le parcours de Malick Touré et de Malick Niang en est une parfaite illustration. Le premier, grand novice en menuiserie, a pu apprendre et devenir maitre grâce à son expérience dans une entreprise italienne. Le second, lui, a appris le métier de tailleur au Sénégal, mais s’est considérablement bonifié au contact du Made in Italia. Forts de leurs expériences riches en apprentissages, ils sont en train de réussir dans leurs domaines respectifs des merveilles au Sénégal. Retour sur leur trajectoire.

 

Malick Touré est un Sénégalais établi en Italie depuis 1999. Après un baccalauréat et un BEP en électricité, il décide, contre toute attente, de tout abandonner pour tenter l’aventure en Europe. C’est avec un sourire en coin qu’il revient sur les raisons de sa quête de l’eldorado. ‘’Pour dire vrai, j’ai été charmé par un ami, qui vivait en Europe. Il n’avait pas fait des études ; il était parti en Italie et après deux ans, il est revenu à Dakar avec une belle voiture, une belle Mercedes. Cela m’a beaucoup influencé et m’a incité à vouloir tenter ma chance’’, se rappelle Touré, à la fois nostalgique et fier.

Électricien de formation, le bonhomme ne savait pas quoi faire de son diplôme une fois au pays des Blancs. Ses premières semaines dans le Sud, à Naples, sèment un peu le doute dans la tête du bachelier sénégalais. Mais il est trop tard pour revenir sur la décision. Alors, il fonce et monte un peu plus vers le Nord. Finalement, il dépose ses baluchons à Florence, dans le centre de l’Italie. Dans cette capitale de la région de Toscane, il finit par rencontrer la baraka. Il raconte : ‘’J’ai été recruté dans une entreprise de menuiserie, la seule entreprise d’ailleurs que j’ai connue en Italie. Quand on me recrutait, je ne connaissais rien dans ce domaine. Ils ont eu la patience ; ils m’ont accompagné ; ils m’ont formé. J’apprenais aussi très vite et le patron avait confiance en moi.’’

Petit à petit, le jeune Malick, motivé à bloc, devient incontournable dans ladite entreprise. Il est le premier à arriver au boulot, le dernier à quitter. Ainsi, gravit-il tous les échelons, jusqu’à devenir le chef des ouvriers. ‘’Je faisais tout dans l’entreprise, confie-t-il, même les commandes, et c’est là que j’ai appris à être un vrai entrepreneur’’.

Malick Touré, fondateur de Casa Mia Keur Gui : le profane devenu maitre ès menuiserie

Un défi est ainsi relevé avec un emploi stable, un autre s’ouvre devant l’enfant de Fan Hock qui rêve d’avoir sa propre entreprise et de retourner investir dans son pays natal. Pour y parvenir, il épargne beaucoup, sacrifie ses vacances, les loisirs et travaille de manière acharnée. A la place des vacances couteuses, il préfère acheter des machines pour sa future implantation à Dakar. La crise économique de 2008-2009 fut un déclic qui a accéléré le processus. Il raconte : ‘’On a été en chômage technique. J’en ai alors profité pour accélérer le retour. J’ai commencé à mettre en place l’atelier avec mon frère qui est menuisier. Je l’ai formé sur notre manière de travailler (en Italie) qui est très différente de ce qu’on fait ici au Sénégal. C’est ainsi qu’on a débuté et cela a marché.’’

Formalisé en 2016, Casa Mia Keur Gui s’est vite fait une belle réputation dans Dakar et environ, grâce à son professionnalisme, au style italien qui lui permet de se démarquer des habitudes locales. En 2019, l’entreprise comptait déjà 19 employés, mais à cause de la Covid, elle en a perdu six.

Revenant sur les difficultés en tant qu’émigré de retour dans son pays pour s’installer, Malick dénonce surtout  le refus des banques de les accompagner. Heureusement pour lui, l’Union européenne et Coopération italienne lui ont permis d’obtenir des financements, de moderniser son entreprise et de passer d’un niveau 1 à un niveau 3 avec des machines de dernière génération. Il se réjouit : ‘’L’accompagnement m’a permis de changer les machines anciennes que j’avais et à acquérir de nouvelles, des machines numériques. Par exemple, je peux prendre votre photo et l’incorporer dans votre armoire. Ce sont ces nouvelles technologies qu’on est en train de faire et le financement nous a beaucoup aidés dans ce sens. Nous nous sommes modernisés davantage et on dispose d’un showroom à la Gueule-Tapée.’’

Selon l’entrepreneur, Casa Mia Keur Gui a aujourd’hui fait ses preuves et arrive même à se positionner pour les marchés de l’État. Il se réjouit : ‘’On a eu à gagner pas mal de marchés. Pour le Sommet mondial de l’eau, nous avions réalisé un projet très difficile. Le marché était gagné par une entreprise française. Laquelle a eu des difficultés pour réaliser le projet, une carte du Sénégal en 3D. J’ai réussi à réaliser ça à la grande satisfaction du client. J’ai pu le faire grâce à l’accompagnement de ce programme qui m’a permis d’acquérir des machines de dernière génération.’’ 

Malick Niang, fondateur de Baobab Couture : un doux mélange des styles sénégalais et italien

Ayant appris la profession de tailleur au Sénégal avant de migrer en Italie, Malick Niang s’est bonifié au contact de la mode italienne avant de revenir créer son entreprise à Saint-Louis. Aujourd’hui, il vit entre les deux pays et promeut un style à cheval entre les deux cultures.

Il est devenu une icône de la mode sénégalaise en Italie. Lui, c’est Malick Niang, promoteur de l’entreprise Baobab Couture. Tailleur de profession, le bonhomme vit en Italie depuis quelques années. Avec son métier qu’il avait déjà appris au Sénégal, il a réussi son intégration et est aujourd’hui devenu un couturier reconnu dans ce pays bien connu dans le milieu de la mode et de la haute couture. Son jeune frère et non moins gérant de la filiale implantée à Saint-Louis du Sénégal décrit son parcours : ‘’Mon grand frère a une expérience de plus de 20 ans dans la mode. C’est ici qu’il l’avait apprise avant d’aller en Italie. Là-bas, il n’a pas abandonné son métier. Il a réussi à parfaire son savoir-faire et est parvenu à s’y imposer. Chaque année, il organise d’ailleurs un grand défilé de mode.’’

Enfant du Sénégal, Malick Niang a toujours nourri le rêve de créer quelque chose dans son pays d’origine. En 2019, il lance sa marque à Saint-Louis, dans le Nord, loin de la capitale. Grâce au savoir-faire italien qu’il a bien réussi à dompter et à adapter au style sénégalais, Malick réussit très vite à s’imposer dans le paysage. Le gérant de Baobab Couture, qui l’a représenté à la journée de présentation des entreprises du programme Pasped, revient sur la particularité de son label.

‘’Nous faisons aussi bien des tenues traditionnelles sénégalaises que des tenues européennes. La particularité de Baobab Couture, c’est surtout une maitrise indéniable du style sénégalais, mais avec une touche particulière qu’apporte mon grand frère qui évolue en Italie et qui a fondé cette entreprise’’.

Le parcours est ainsi plus ou moins atypique. Ayant appris le métier au Sénégal, Malick a pu se bonifier grâce à son expérience dans les entreprises italiennes. Aujourd’hui, il a son propre atelier au Sénégal, bien que resté en Italie.

Ce qui fait un peu sa particularité, que l’on peut apprécier à travers ses différentes collections présentées notamment lors de ses défilés annuels en Italie. Son jeune frère explique : ‘’Je dois préciser que même les tenues que nous présentons au défilé organisé en Italie, c’est ici à Saint-Louis qu’on les confectionne. C’est souvent des mélanges entre les modèles italiens et sénégalais.’’

Lancée avec une seule machine, Baobab Couture a vite grandi et travaille aujourd’hui avec des machines de dernière génération. Ce, grâce à l’accompagnement du programme Pasped (Projet de contraste à la migration à travers l’appui au secteur privé et à la création d’emplois au Sénégal). D’ailleurs, souligne le représentant de l’entreprise, ‘’dans notre entreprise, nous faisons de notre mieux pour mettre dans de bonnes conditions nos employés, en vue de les aider à pouvoir se réaliser dans leur pays et à ne pas tenter l’émigration irrégulière. Aujourd’hui, nous avons sept employés avec des contrats en bonne et due forme’’.

Mais la petite et moyenne entreprise ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. L’ambition, selon le gérant, c’est d’implanter Baobab Couture non seulement dans les autres parties du Sénégal, mais aussi dans le monde. Ce qui leur permettrait de créer encore plus d’emplois pour les jeunes. Dans cette optique, il invite les pouvoirs publics à les accompagner davantage, notamment par l’octroi de marchés.

En attendant, il remercie surtout la Coopération italienne et l’Union européenne. ‘’Avec l’appui qu’ils nous ont donné, on a pu acquérir des machines de dernière génération. Aujourd’hui, on a nos propres locaux, en plus d’un showroom où nous vendons nos produits. Nous avons fait un pas de géant grâce à ce programme’’, confie-t-il satisfait.

MOR AMAR

 

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