Un mariage sous contrainte

Alors qu’on semblait se diriger vers la décrispation dans les relations entre le FMI et le Sénégal, avec une mission annoncée ce mois, les dernières salves du Premier ministre risquent d’envenimer à nouveau la situation.
La divulgation des résultats de l’audit sur les finances publiques n’en finit pas de tenir en haleine l’opinion, de pourrir les relations entre le Sénégal et le Fonds monétaire international (FMI). Alors que les techniciens des ministères chargés de l’Économie et des Finances se démènent comme de beaux diables pour surmonter ces difficultés, le Premier ministre, Ousmane Sonko a, le vendredi, lors de la présentation du plan de redressement, ravivé la polémique. “Rien ne justifie le retard que nous avons actuellement avec le Fonds monétaire international. À chaque fois que nous produisons un document, ils nous en demandent un autre”, dénonce le Premier ministre du Sénégal.
Ousmane Sonko ne s’en est pas limité. Pour lui, le FMI n’est pas exempt de reproches dans la situation que connait actuellement le Sénégal. “Ils ont leur part de responsabilité. Parce qu’ils ne peuvent pas venir chaque année faire des revues et ne pas voir quelque chose d’aussi gros”, accuse le Premier ministre qui a ajouté sur un ton amer : “J’espère qu’il n’y a pas de politique mêlée à cette affaire-là. On aurait dû signer un nouveau programme depuis et continuer le travail que nous sommes en train de faire. Mais on a l’impression qu’il y a une volonté d’asphyxier le pays.”
Le financement endogène peut-il être une alternative durable ?
Qu’à cela ne tienne ! Ousmane Sonko ne compte pas sur le FMI pour mettre en œuvre son programme pour le Sénégal. Pour lui, son gouvernement n’est pas là pour suivre les injonctions du Fonds monétaire international ni d’aucun partenaire. Il s’est réjoui du fait que depuis l’éclatement de cette affaire et malgré les contraintes de l’institution de Bretton Woods, le Sénégal n’a pas fait défaut. Le pays compte continuer dans la même dynamique pour trouver des solutions endogènes, même s’il ne cracherait pas sur un nouveau programme.
“Si la situation se décante avec le fonds, c’est tant mieux. Encore une fois, le fonds c’est juste une garantie. Ce ne sont pas les décaissements qui sont importants”, a précisé le chef du gouvernement.
La grande question, c’est de savoir si le Sénégal peut se passer du Fonds monétaire international et à quel coût ? Si l’intervention du fonds n’est pas indispensable, il faut noter que la rupture des relations a un coût très salé.
Lors de la présentation du plan de redressement, le ministre de l’Économie est revenu sur les lourdes implications de cette rupture avec le FMI. “La suspension du programme avec le FMI a mis nos finances publiques à rude épreuve. Mon collègue des Finances et du Budget ne me démentira pas. En effet, l’accès aux marchés financiers internationaux à des conditions raisonnables nous est devenu difficile et les appuis budgétaires ont été suspendus. Cette situation, conjuguée à un contexte mondial marqué par le rétrécissement de l’aide publique au développement, s’est traduite en des gaps substantiels de financement du cadre macroéconomique du plan quinquennal”, expliquait Abdourahmane Sarr.
Le prix du déballage
Pour avoir une idée des implications financières de cette suspension du partenariat, il faut jeter un coup d’œil sur la loi de finances rectificative de décembre 2024. Relativement à la situation des dépenses publiques, pour justifier les ajustements, le gouvernement avait évoqué plusieurs raisons, dont le renchérissement des conditions d’emprunt. “Il est crucial de prendre en charge des dépenses prioritaires et incompressibles, notamment les intérêts sur la dette pour un montant supplémentaire de 245,9 milliards F CFA, sous l’effet du renchérissement des conditions d’emprunt”.
Parmi les autres raisons à l’origine de la hausse des dépenses, on notait les indemnisations des victimes des manifestations politiques préélectorales, les efforts soutenus pour l’accompagnement du secteur agricole, avec 73,675 milliards F CFA, au titre d’apurement des arriérés, l’organisation des élections législatives anticipées du 17 novembre 2024, pour au moins 20 milliards F CFA.
En langage plus simple, le renchérissement des conditions d’emprunt provoquées en grande partie par le déballage sur les finances publiques a coûté plus de 245 milliards F CFA rien que pour 2024. Le déficit budgétaire qui a été évalué par la Cour des comptes à 99,6 %, à fin 2023, a explosé pour atteindre la barre des 119 % à fin 2024.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le Sénégal peine à emprunter sur le marché financier international depuis quelque temps. Les taux d’intérêt étant fixés au-delà des 10 % à cause de la dégradation de la note du pays par presque toutes les agences de notation.
Pour 2025, aucun emprunt d’envergure sur le marché international n’a été rendu public. Jusque-là, seuls des recours au marché de la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM) ont été médiatisés. Ce qui permet au gouvernement d’avoir une plus grande maitrise sur la dette, dans l’optique de ramener le déficit budgétaire à moins de 8 % dès cette année. Conséquence : les projets financés sur ressources publiques sont au ralenti, impactant sérieusement l’activité économique et la croissance.
PROGRAMME AVEC LE FMI Des montants “modestes”, une portée énorme Privé des financements internationaux, le Sénégal se concentre sur le marché domestique. Ce contexte, soulignait le ministre de l’Économie, conforte l’ambition du Sénégal d’optimiser le financement endogène sans pour autant se replier sur soi-même. “La souveraineté budgétaire ne veut pas dire autofinancement. Il s’agit de pouvoir financer son déficit budgétaire et ses besoins de refinancement de la dette qui arrivent annuellement à échéance, sans avoir à recourir à l’austérité ou au financement à des conditions draconiennes ou encore à un prêteur en dernier ressort”, justifiait-il. Pour rappel, le Conseil d’administration du FMI avait approuvé plusieurs accords de financement avec le Sénégal en juin 2023. D’abord, une enveloppe de 1,51 milliard USD au titre du Mécanisme élargi de crédit (MEC) et de la Facilité élargie de crédit (FEC), et 324 millions USD au titre de la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD). Ce qui fait un total de 1,8 milliard USD. A fin 2023, le Conseil d’administration a validé et débloqué plusieurs tranches en 2023 : 216 millions USD au moment de l’accord initial en juin 2023 ; 275,7 millions USD à l’issue de la première revue (octobre) ; 279,3 millions USD approuvés en décembre 2023 diffusés. Le montant total versé à fin 2023 s’élevait à environ 770 millions USD, soit approximativement 720–740 milliards F CFA. C’est pourquoi d’ailleurs le Premier ministre annonçait que le plus important avec le FMI, ce ne sont pas les décaissements. Mais la caution du fonds permet de recourir au marché financier avec des conditions financières bien plus intéressantes. Il faut aussi noter qu’il n’est pas du tout inédit pour le Sénégal de fonctionner sans des prêts du FMI. Le Premier ministre Amadou Ba aimait rappeler que durant tout le temps qu’il était à la tête du ministère des Finances, le Sénégal n’avait pas de programme de décaissement avec le FMI. Il en fut de même pour son prédécesseur Amadou Kane, premier ministre des Finances de Macky Sall en 2012. Avant eux, sous le régime du président Wade, le ministre Abdoulaye Diop est resté cinq ans sans aucun décaissement. Pour Amadou Ba, ce n’est donc pas le plus important, mais le partenariat. “C’est illusoire de penser que nous pouvons fonctionner sans le concours des partenaires internationaux. Les gens peuvent le dire dans une campagne électorale, mais la réalité est tout autre. Maintenant, il faut des relations de partenariat dans le respect mutuel”, disait-il lors d’une interview sur Walf TV. “Ce dont nous avons besoin, c’est le FMI qui dit que le Sénégal est un pays sûr, un pays propice à l’investissement privé. C’est très important. Sinon, c’est juste à partir de 2020, avec la crise Covid que le fonds a décidé d’accompagner des pays comme le Sénégal”, informait l’ancien PM de Sall. |
Mor AMAR