Publié le 18 Apr 2025 - 08:05
ALLOCATION DE 130 MILLIARDS F CFA POUR LA PROCHAINE CAMPAGNE AGRICOLE

Des acteurs du secteur  approuvent, mais émettent des réserves 

 

Les autorités ont annoncé avoir porté à 130 milliards F CFA le budget alloué à la prochaine campagne agricole. Une décision  saluée par des acteurs du secteur agricole, dont le Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR). Mais  l’Association des agriculteurs du bassin arachidier émet  des réserves.

 

Lors du Conseil interministériel tenu mardi dernier sur la campagne de production agricole, le Premier ministre Ousmane  Sonko  avait annoncé une augmentation de 10 milliards F CFA sur le budget destiné à la campagne agricole en vue. Laquelle porte à 130 milliards l'enveloppe budgétaire prévue pour la prochaine saison agricole.  Une mesure bien accueillie par les paysans, dont le secrétaire général de l'Association des paysans du bassin arachidier. Cette enveloppe sera utile à notre agriculture, d’après lui, mais si l'argent est dépensé à bon escient. Il craint l’absence de dispositions nécessaires pour la réussite de la prochaine campagne, malgré les 130 milliards F CFA.

En effet, à en croire Cheikh Tidiane Cissé,  "les acteurs centraux qui sont à la base ne sont presque jamais associés aux prises de décision pour le développement de l’agriculture".

Les craintes de Cheikh Tidiane Cissé, SG des paysans du bassin arachidier

Il dit craindre le même scénario. Ainsi, il a rappelé que bien qu'il représente une aussi importante organisation paysanne, il n’a pas été invité à prendre part au Conseil interministériel sur la question agricole. Ce qu'il a jugé déplorable. ‘’Il aura fallu l'insistance de certains responsables d'associations paysannes pour qu'il me soit permis d’accéder à la salle", a-t-il regretté.  Pour lui, les autorités, à leur tête le ministre de tutelle, ‘’n’écoutent personne’’. Il juge que Mabouba Diagne est entouré de techniciens et d’opérateurs qui ne maîtrisent pas le secteur agricole aussi bien que les agriculteurs qui sont tout le temps mis à l’écart. Pour lui, il faut des préalables pour réussir à redonner un  souffle nouveau à l’agriculture sénégalaise. Le premier jalon à poser étant d’associer les agriculteurs dans le processus à travers, par exemple, les coopératives agricoles communautaires certifiées et qui sont dans le monde rural. Sans quoi,  les 130 milliards F CFA ne serviront à rien.

Pape Abdoulaye Diouf,  URAP : ‘’Les intrants ne devraient pas être déviés de leurs destinataires.’’

D’autres acteurs du secteur, à l'image du président de l'Union régionale des associations paysannes de Diourbel, Pape Abdoulaye Diouf, ont donné leurs points de vue.  Monsieur Diouf est  optimiste, après l’annonce du PM.  D'après lui, cette enveloppe peut suffire, pourvu qu’elle soit injectée dans des segments prioritaires de l'agriculture. Il estime qu'au vu des nombreux manquements notés dans le système agricole, il faut hiérarchiser les besoins. Il suggère que des efforts soient faits dans l’achat de matériel agricole, car dans la zone de Diourbel, "nombreux sont les paysans  qui n’en disposent pas. C’est la croix et la bannière, pour eux, d’obtenir du matériel rudimentaire comme le semoir, la houe, etc.". Il confie que dans beaucoup de localités de la région,  les paysans empruntent à leurs voisins leurs semoirs chaque hivernage et que cette pratique répandue est ancienne.

Il est urgent, selon lui, de trouver des solutions à cette situation. Sur ces 130 milliards F CFA, une bonne partie devra servir à l’achat de matériel agricole surtout léger en ce sens que les engins comme les tracteurs ne sont pas très utilisés dans les champs et investir sur ces machines ne serait pas un bon choix.

Monsieur Diouf a insisté sur l'acquisition du matériel agricole sans quoi, quelle que soit l'enveloppe mobilisée pour l’agriculture, l'échec de la prochaine campagne  sera inévitable, surtout avec le manque de semences de qualité. 

Sur cette question d’ailleurs, M. Diouf précise que des efforts ont été faits dans l’ensemble, contrairement aux régimes précédents. Il préconise l’implication de l’Institut  agricole de recherches agricoles (Isra) dans la conception de semences de qualité, en collaboration avec les producteurs semenciers.  Il estime qu'en une année, il est impossible de rattraper le retard accusé, mais les autorités devraient se projeter sur trois ans et tout mettre en œuvre pour le renouvellement du capital semencier.

Pour ce qui est  de la prochaine campagne agricole, le président de l’Urap  suggère que la mise en place des intrants soit effective dès le mois de mai et que l’engrais, les semences et le matériel ne soient  pas déviés de leur trajectoire, car d’après lui, même si les autorités annoncent la distribution des intrants, ils sont généralement détournés  de leurs destinataires au profit de lobbies.

Nazirou Sall, président CNCR : "Nous apprécions l'augmentation, mais il y a mieux à faire."

Le  Conseil national de concertation et de coopération des ruraux (CNCR), quant à lui, fait une lecture à deux niveaux. D’après Nazirou Sall, le président,  le fait d’augmenter un budget  est systématiquement salutaire. Il dit apprécier cette décision, surtout  quand le Premier ministre avance que s'il y a arbitrage, en termes de priorité, il privilégiera un investissement sur l'agriculture porteuse de croissance.

De l'avis de M. Sall, bien que cette annonce soit  à  saluer, il n’en demeure pas moins qu'il faut   comprendre que l’agriculture étant un secteur plus vaste demande plus d'investissements et qu'il ne faut pas seulement se limiter  à des subventions de  campagne agricole.

En effet, à son avis, le développement de l’agriculture sénégalaise nécessite encore  beaucoup plus de moyens financiers. "Quand on parle du financement de l’agriculture, c'est plus large ; c'est le privé, le crédit bancaire pour les acteurs familiaux qui pourront contracter des dettes en tenant compte des capacités de transformation de l'agriculture familiale sénégalaise", a-t-il soutenu.  Il ajoute que les 130 milliards F CFA ne suffisent pas pour financer une campagne agricole, mais  le fait d’augmenter l’enveloppe constitue une belle avancée. 

 Sur la répartition, Nazirou  Sall la trouve positive. Il faut néanmoins qu'on en arrive à établir comment le secteur banquier va financer l'agriculture sénégalaise. Évoquant, les semences, M. Sall invite les autorités à se rapprocher de l’Isra qui a donné, d'après lui,  des garanties quant à la mise à  disposition du foncier aux agriculteurs semenciers. "L’Isra dit qu’il a des stations,  le foncier et les prébases et qu'il propose de travailler avec  le secteur privé qu'il invite  à venir produire beaucoup de semences à travers ses propres financements’’.

’’La stratégie de l’Isra doit être adoptée pour renouveler le capital semencier’’

 Pour lui, cette stratégie proposée par l’Isra est bonne et que les autorités devraient l'adopter.  Monsieur Sall  indique qu’au regard de l'inexistence du capital semencier certifié,  il faut faire avec l’existant, à savoir les semences écrémées, même s'il n’exclut pas de trouver le maximum de semences certifiées. La finalité sera, selon lui, de se fixer un délai de trois ans pour produire des semences certifiées.

Pour ce qui est du matériel agricole,  les gouvernants ont, d’après lui,  mis sur pied une stratégie qui s’adosse à ce que l'on appelle "Allo tracteur". Mais, concrètement, il dit ignorer  ce que cela va donner. Il explique que  ces engins sont mis en location par des producteurs avec l'application des subventions afin de leur permettre de les acquérir chaque fois que de besoin. Des tracteurs qui resteront donc une propriété de l’État qui les fera  tourner en fonction de la demande exprimée par les paysans.

Le président du CNCR promet de se prononcer sur la pertinence de ce projet à la fin de la campagne agricole.

Alioune Badara Diallo Kane

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