Publié le 17 Apr 2019 - 02:28
AMADOU GAYE (PRESIDENT FEDERATION DES BOULANGERS)

‘’Nous maintenons notre mot d’ordre de ‘journées sans pain’ pour ce mercredi, jeudi et vendredi’’

 

La Fédération nationale des boulangers du Sénégal (Fnbs) maintient son mot d’ordre de ‘’journées sans pain’’, à partir de ce mercredi et pour une période de 72 heures. C’est ce qu’a confirmé leur président Amadou Gaye, dans une interview accordée hier à ‘’EnQuête’’. Cependant, les boulangers doivent rencontrer aujourd’hui le ministre du Commerce pour des concertations sur la question.

 

Ces derniers jours, on note beaucoup de mouvements dans le secteur de la boulangerie. En réalité, quels sont les maux qui le gangrènent ?

C’est notamment l’anarchie dans le secteur et on doit l’éliminer. Mais on ne peut pas le faire sans l’Etat du Sénégal. On doit le faire en respectant les conclusions des assises de la boulangerie de décembre 2017. Ceci tourne autour de quelques points. Il s’agit de l’ouverture anarchique des boulangeries, la sécurité, l’hygiène, la sécurité alimentaire de la population, la vente du pain dans les boutiques, etc. Il y a beaucoup de choses à dire et là, on veut que cette anarchie cesse. C’est pourquoi nous avons dit qu’aujourd’hui, ce qui est constant, c’est le prétexte de la hausse du prix de la farine qui n’est pas le vrai problème, pour nous. On a surtout demandé la vérité des prix. Ceci doit être exactement fait. Nous avons dit à l’Etat que ce que nous voulons simplement, c’est la tenue du Conseil national de la consommation devant tous les acteurs, que ce soit l’Etat, les boulangers, les meuniers, les consommateurs et même la presse, pour qu’ensemble on puisse fixer le prix au gramme du pain.

Si on détermine ce prix, il faut ensuite permettre aux boulangers d’avoir la liberté de proposer les divers formats qu’ils peuvent vendre dans leur boutique. C’est ça le gros problème. C’est-à-dire, quelqu’un qui veut un pain de 100 F Cfa, il peut l’avoir, de même que celui qui veut une baguette de 150, 200 ou 175 F Cfa. Mais on va seulement le faire au gramme. Au Sénégal, on doit maintenant pouvoir dire que le pain se vend au gramme. Donc, donner la liberté aux boulangers de proposer dans chaque région, localité, les baguettes qui sont plus adéquates. Voilà la solution que nous avons soulevée. Mais, malheureusement, il y a une incompréhension avec l’autorité qui pense qu’on a demandé la hausse du prix du pain. Non, loin de là. On a simplement dit de revoir la structure du prix du pain pour fixer celui au gramme. C’est ce que nous demandons.

Après les assises de 2017, il était prévu une feuille de route pour l’application des conclusions. Qu’en est-il concrètement ?

Après les assises, le gouvernement n’a rien fait. On a vraiment perdu beaucoup d’argent, à cause de ça. On a dépensé nous-mêmes beaucoup d’argent pour organiser des assises avec l’Etat, mais les conclusions sont jusqu’à présent dans les couloirs. Nous voulons qu’on les remette à jour, pour pouvoir régler le problème de la boulangerie sénégalaise. Tout ce que nous demandons, c’est avec politesse que nous le faisons, c’est que nous puissions nous comprendre. Ce n’est pas à nous de financer la politique sociale de l’Etat du Sénégal. Une fois que le problème est social, c’est à eux de trouver des leviers pour cette application. Il faut peut-être supprimer la Tva sur la farine et aussi nous permettre d’avoir des tarifs préférentiels pour l’électricité. Ceci permettra, du point de vue environnemental, d’avoir des fours électriques pour mieux fonctionner et lutter contre les problèmes environnementaux. Demain (aujourd’hui) le ministre du Commerce va recevoir une délégation des boulangers du Sénégal. Au sortir de cette audience, on pourra mieux apprécier la situation. Mais nous maintenons notre mot d’ordre de ‘’journées sans pain’’ pour ce mercredi, jeudi et vendredi.

Pourquoi jugez-vous nécessaire de casser l’homologation du prix du pain qui a été actée depuis 2014 ?

Le 6 juin 2014 fut la pire journée de la boulangerie sénégalaise. C’est ce jour qu’on a pris la baguette de référence de 210 g, qui coûtait 175 F, pour la ramener à 190 g, à 150 F Cfa. Donc, le prix du pain n’avait pas bougé. C’est plutôt son poids qui a connu un changement. Si on diminue le poids, on peut diminuer le prix. Cette homologation a entrainé une surcharge des charges des boulangers. Ce que nous avions dénoncé. Cette situation est en train de pourrir la vie des boulangers du Sénégal. L’homologation du prix du pain est pour nous un faux débat. Parce que nous n’étions pas d’accord sur ça. Nous savions déjà les problèmes qui pouvaient advenir de cela.

Et par rapport à la distribution, vous prônez la suppression de la vente dans les boutiques. Qu’est-ce qui justifie cette posture ?

Nous dénonçons, d’abord, les conditions de transport du pain dans les boutiques. Pour nous, logiquement, le pain ne doit pas être transporté dans les chariots ou des vélos. Non, cela doit être banni. Le pain doit être transporté dans des conditions hygiéniques, pour assurer la sécurité alimentaire des consommateurs. Il vaudrait mieux qu’on ait des voitures identifiées, spécialisées pour la distribution du pain. La vente du pain dans les boutiques, pour nous, ce n’est pas normal. On n’assure pas les conditions hygiéniques de ce produit. Il y a aussi un dysfonctionnement entre la répartition des charges entre les intermédiaires. Dans le circuit du pain, on a mis encore d’autres intermédiaires. Mais ce n’est pas un débat, dans la mesure où ces derniers, on doit les éliminer facilement. Et là, le décret 102-04 l’a déjà réglé. Ce qui reste, c’est mettre un arrêté d’application pour qu’on puisse aller de l’avant. C’est tout ce que les boulangers demandent, c’est-à-dire des concertations nationales et sérieuses.

Mais en voulant supprimer les intermédiaires, est-ce que les boulangers ne veulent pas le beurre et l’argent du beurre, en assurant eux-mêmes la vente directe du pain ?

Non. Dans les boutiques, c’est d’abord le problème hygiénique qui se pose. C’est ce qui est à régler d’abord. Le pain doit être vendu dans les points de vente aménagés et spécialisés. Même si c’est une boutique, si elle est bien aménagée, elle peut vendre du pain. Maintenant, on doit exiger du boulanger d’avoir son propre circuit de distribution pour qu’on puisse savoir l’origine du pain. On peut acheter un pain dans une boutique sans savoir quelle boulangerie l’a fabriqué.

Par rapport à l’hygiène, au sein de certaines boulangeries, elle laisse aussi à désirer…

Evidemment. Nous avons dit haut et fort que nous n’acceptons pas que la boulangerie sénégalaise soit à deux vitesses. Il y en a celles qui sont aux normes et d’autres qui ne le sont pas. On le reconnait. Mais c’est l’Etat qui doit mettre les garde-fous pour qu’on puisse éviter cela. Il y a des boulangeries qui sont dans des conditions hygiéniques qu’on déplore. Parce que les conditions d’ouverture d’une boulangerie n’ont pas été respectées. Une boulangerie qui est sur une superficie de 50 m² ne peut être considérée comme une boulangerie. Il faut respecter la norme et ça doit être quelque chose qu’il faut mettre dans le dispositif.

Pourquoi il y a un retard dans l’installation des kiosques témoins, tel que préconisé par le ministère du Commerce, après les assises ?

C’est ce que nous voulons. L’Etat nous avait demandé de choisir des zones tests et on avait proposé les Parcelles-Assainies. On a fait cette proposition, mais on ne nous a pas suivis. Donc, la balle est dans le camp de l’Etat. En fait, ils n’ont même pas accepté cette proposition. Et on ne sait pas pourquoi.

Vous réclamez en même temps l’application de l’arrêté ministériel portant interdiction de la distribution inter-régionale du pain. Qu’en est-il actuellement ?

Mais on n’y peut rien. Il y a des décrets, des arrêtés et des lois qui ne sont pas respectés. Est-ce que ce sont les boulangers qui vont aller faire respecter la loi ? Nous sommes aussi des victimes, comme les consommateurs, et il faut qu’il y ait un régulateur. Et nous espérons que l’Etat va nous appuyer sur ce point.

Actuellement, à combien est-ce que les boulangers achètent le sac de farine ?  

Ça varie. Il y en a qui l’achètent à 18 200 F Cfa, d’autres à 18 500 jusqu’à 19 000 F Cfa.

Ce prix, c’est pour la farine amélioré ou bien ?

Il y a la farine améliorée et celle boulangère. Cette dernière est vendue à 17 500 F Cfa à l’usine.

Certains boulangers parlent d’une hausse de 5 000 F Cfa sur le sac. Est-ce que c’est avéré ?

Non. Au fait, la farine coûtait 16 200 F Cfa et a atteint 17 000 F. Mais c’est vrai qu’il y a une hausse. Parce que le produit est passé d’un point à un autre. Cependant, pour nous, ce n’est pas le problème. C’est l’organisation, l’anarchie, etc. C’est sur cette base qu’on demande la vérité des prix. Notre combat ne se focalise pas sur le prix de la farine.

MARIAMA DIEME

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