Publié le 28 Sep 2017 - 21:20
APOLLINE TRAORE (REALISATRICE BURKINABE)

‘’Frontières est plus une réalité qu’une fiction’’

 

Après la projection de son film, la réalisatrice burkinabé est revenue avec EnQuête sur quelques aspects de son road movie.

 

Qu’est-ce qui vous a poussée à faire ce film ?

J’ai vu qu’en Afrique de l’Ouest, il y a des lois sur la libre circulation des personnes et des biens mais elles ne sont pas respectées. On rencontre beaucoup de femmes commerçantes un peu partout que l’on néglige un peu, alors qu’on ne s’imagine jamais ce qu’elles traversent. Quand j’ai commencé à écrire le scénario, je l’ai fait assez naïvement en me basant sur les expériences des uns et des autres ainsi que les ‘’on dit que…’’. C’est après que j’ai essayé de faire la route moi-même. J’ai passé trois semaines sur ce parcours-là et j’ai pu constater beaucoup de choses. C’est ainsi que j’ai affiné le scénario.

Quelle est alors la part de fiction dans ce film sachant que vous êtes partie d’une réalité ?

Je pense que c’est plus une réalité qu’une fiction. Et franchement, il n’y a aucun moment du film que j’ai vraiment inventé. Ce sont des expériences qu’on m’a racontées, du début à la fin. On a l’histoire globale et on a essayé d’intensifier certains aspects pour que cela soit une fiction, pour que cela soit attirant. J’ai choisi de faire ce film en deux tons. Les premières minutes du film restent une balade comme un documentaire et après, on entrait dans la ‘’fiction’’. Quand je parle de fiction ici, je fais référence au drame. Mais ce drame-là est réel. Donc, mon film est une fiction mais je l’ai fait plus en tant que documentaire parce que c’est une réalité que je raconte ici.

A votre avis, qu’est-ce qui fait que les lois votées par les pays de la CEDEAO ne puissent pas être respectées par les signataires ?

Le premier problème par rapport aux textes de la CDEAO est que les douaniers, les policiers, disent qu’ils sont sous payés. Ils montent alors leurs propres réseaux. Le deuxième problème est que la plupart de ces femmes commerçantes n’ont pas fait l’école. Donc elles ne savent ni lire, ni écrire et ne connaissent pas leurs droits. Quand un citoyen ne connaît pas ses droits, c’est normal que quand une personne vient lui parler, il soit intimidé. Pour moi, ce sont les grandes raisons qui expliquent cela.

Le deuxième aspect que vous invoquez est montré dans le film mais le premier, non. Pourquoi ?

Ce n’est pas évoqué dans le film parce que ce sont les douaniers eux-mêmes qui disent qu’ils sont sous payés. On ne connaît pas leur salaire et chaque pays donne le salaire qu’il veut à  son douanier et à son policier. Après, il faut se demander aussi si c’est cela leur vraie raison. Si on leur donnait le double de ce qu’ils gagnent actuellement, allaient-ils changer d’attitude. L’Homme n’est jamais satisfait. Je ne voulais pas parler de ce problème-là parce que c’est individuel. Chacun dit : je suis sous payé, et ces grands commerçants passent avec de la marchandise et je peux bien en gagner.

‘’Frontières’’ est-il un film de commande car la CEDEAO l’a financé?

Ah non ! J’ai écrit mon scénario et j’ai passé deux ans à chercher ne serait-ce qu’un numéro de téléphone à la CEDEAO. Il a fallu que je les convainque. Ils n’ont même pas  donné la moitié du financement. Ils ont mis le plus d’argent mais il y a d’autres financiers. Et ce qui m’a le plus ravie avec la CEDEAO, c’est que, bien qu’ils aient mis de l’argent, ils n’ont fait aucun commentaire par rapport au scénario. Et ils ne m’ont jamais imposé quoi que ce soit. Ils ont découvert le film au Fespaco avec tout le monde.

A ce Fespaco, vous avez remporté le Prix spécial de la CEDEAO et celui de l’intégration africaine. Cela ne ressemble-t-il pas à un parti  pris ?

Je ne suis pas d’accord parce que quand la CEDEAO est arrivée en tant que membre du jury, j’ai demandé qu’on me retire. Ce sont ces derniers qui ont dit que ce n’est pas juste parce qu’un film financé par la CEDEAO pouvait parler d’autres choses que de la CEDEAO. Je parle d’intégration. Et s’il y avait un autre film qui parle d’intégration dans la sélection mieux que le mien, c’est sûr que ce prix spécial lui serait décerné. C’était au jury de décider et ils ont choisi le mien. Aussi, les membres du jury de la CEDEAO ne sont pas des citoyens de cette zone  communautaire  ouest africaine. Ce sont des cinéastes qui forment ce jury.

Pourquoi avoir choisi cette fin un peu trop détaillée ?

J’avoue que la fin du film est très polémique. Certains m’ont dit qu’il fallait le terminer sur l’image à la plage. D’autres me disent que c’est extraordinaire tel que je l’ai terminé. Mais c’était un choix que j’assume à 150%. J’ai fait quelque chose de très conscient dans le film. La petite (ndlr Saly) a été violée et personne ne lui a parlé. On ne lui a rien dit. Si je terminais le film à la plage, je banaliserais ce viol. Et c’est ce que l’on voit en Afrique. Des filles se font violer et on leur dit : ‘’tais-toi tu ne peux pas le prouver’’.

Personne ne sait ce qui se passe dans la tête de celles qui sont violées. Il n’y a pas de suivi et c’est naturel. Quand elles commettent après certains actes, on les trouve graves et on se demande alors pourquoi elle a fait ça. Dans ce film, quand la petite tue son amant, on se demande pourquoi elle se fait justice elle-même. C’est pour cela que j’ai terminé par cette fin brutale parce qu’à aucun moment, on ne parle du viol qui a mené cette fille à ce geste. Non seulement elle tue, mais elle se dénonce. Son geste n’est pas très rationnel. En finissant mon film de la manière dont vous venez de le dire, et on me l’a dit plusieurs fois et je respecte ce choix parce que ça pouvait être comme ça. Moi personnellement, en tant que femme et cinéaste, je ne pouvais pas terminer ce film comme ça parce que ce viol ne pouvait pas rester impuni.    

BIGUE BOB

 

 

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