Publié le 29 Oct 2021 - 13:31

Au voleur !

 

Le vendredi 23 novembre 2018, le Président de la République Française, Emmanuel Macron avait reçu Monsieur Felwine Sarr, professeur à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis (Sénégal) et Madame Bénédicte Savoy, professeure à la Technische Universität de Berlin (Allemagne) et titulaire d’une chaire internationale au Collège de France, à l’occasion de la remise de leur « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle ».

Ce rapport avait été commandé par le Président de la République Française en mars 2018, à la suite de son discours à l’Université de Ouagadougou, le 28 novembre 2017, dans lequel il avait souhaité que « d'ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».

Sur ce, et de concert avec le musée du Quai Branly-Jacques Chirac et du ministère français de la Culture, Emmanuel Macron a décidé de restituer 26 œuvres réclamées par les autorités du Bénin, prises de guerre du général Dodds dans le palais de Béhanzin, après les sanglants combats de 1892.

Le 17 novembre 2019, à Dakar, cette forte parole a connu un début de mise en pratique avec la remise officielle du « sabre d’El Hadj Omar » au président sénégalais Macky Sall. Jusque-là, le sabre était conservé au Musée des Invalides de l’Armée française sous le numéro d’inventaire 6995. Dorénavant, le sabre d’El Hadji Omar Tall est conservé définitivement au musée des civilisations noires de Dakar.

Le mercredi 27 octobre 2021, conformément à ses engagements antérieurs, le président français, Emmanuel Macron a présidé une cérémonie officielle de restitution de 26 œuvres appartenant aux trésors royaux du royaume d’Abomey (Bénin) et conservées jusque-là au musée du Quai Branly-Jacques Chirac de Paris.

L'Afrique a subi 300 ans d'esclavage et plus de 200 ans de colonisation française  au cours desquels la France et les Français ont systématiquement pillé, spolié, volé et ruiné ses anciennes colonies d’Afrique et d’ailleurs. En les vidant de leurs ressources minières, en exploitant outrageusement leurs cerveaux (ressources humaines), grands intellectuels devant l’Eternel, et en enrôlant leurs fils, appelés « tirailleurs sénégalais », utilisés comme des chairs à canon, pour libérer la France du joug du nazisme.

Le pillage systématique et en ordre des matières premières des pays africains a permis la reconstruction rapide de la France plus que ne l’a fait le Plan Marshall.

Après leur conscription pour aller prêter main forte aux armées françaises en difficulté avec l’armée du 3ème Reich (la Wehrmacht) les tirailleurs sénégalais, engagés dans une guerre qui ne les concernait pas directement, ont été héroïques et ont contribué à libérer la France. Ces tirailleurs, « nos frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort » pour paraphraser le président Senghor. Mais, qu’est-ce que ces pauvres tirailleurs ont récolté en retour ? Le 1erdécembre 1944, des gendarmes français, renforcés de troupes coloniales ont tiré, à l’artillerie et sans sommation, sur des tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de guerre fraichement rapatriés, et qui manifestaient pour le paiement de leurs indemnités et pécule promis depuis des mois. Le bilan officiel est de 35 morts. Mais dans un rapport du 5 décembre 1944, le général Dagnan dénombrait un total de 70 tirailleurs morts parmi des soldats qui ont pourtant participé au débarquement de Provence en août 1944, libérant Toulon et Marseille. Cette boucherie, plus connue sous le nom de « massacre de Thiaroye », a provoqué une prise de conscience de l’état d'inégalité profonde dans lequel la colonisation maintient les indigènes. Elle constitue, comme l’a avoué François Hollande, ancien chef de l’Etat français, « la part d’ombre de notre histoire ».

Maintenant, de la même façon que la France exige de la Turquie qu’elle reconnaisse officiellement « le génocide arménien » (avril 1915 à juillet 1916), de la même façon, nous exigeons que la France en fasse de même pour le massacre de Thiaroye et qu’elle trouve une solution définitive au problème de la décristallisation des pensions des tirailleurs.

Nous disons NON à cette France ingrate et amnésique, qui a oublié la dette de sang née des deux guerres mondiales pendant lesquelles les tirailleurs sénégalais l’ont aidée à se défaire de l’ennemi et à mettre fin à l’Occupation nazie. Cette France d’aujourd’hui qui se bunkerise, se recroqueville sur elle-même, se barricade derrière des barbelés et vote des lois anti-immigration draconiennes contre les descendants desdits tirailleurs.

Pourtant, ce sont les tirailleurs Sénégalais, ces soldats venus d’Afrique, qui ont versé leur sang dans la 1ère et la 2ème guerre mondiale à Verdun, dans la Marne, dans le Nord-Pas-de-Calais, à Bir Hakeim dans les Ardennes ou à Toulon pour libérer la France.

Nous disons NON à cette France de la stigmatisation des « hommes de couleurs », de ces étrangers, « pas assez intégrés » et qui ont débarqué clandestinement et en « envahisseurs » dans l’Hexagone, pour venir « arracher le pain de la bouche des Français de souche ».

Nous disons NON à cette France distante et hautaine, incarnée par le Discours d'Orléans prononcé le 19 juin 1991 par Jacques Chirac à l'occasion d'un dîner-débat du Rassemblement pour la République (RPR) à Orléans où l’ex-maire de Paris utilisait des termes-chocs et choquants, mais surtout empreints de stigmatisation (« overdose », « une vingtaine de gosses », « le bruit et l'odeur ») dans les regroupements familiaux des Africains de France.

Nous disons NON à cette France arrogante et provocatrice à travers son président, Nicolas Sarkozy qui, le 26 juillet 2007, est venu au Sénégal, à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, pour insulter ses hôtes en des termes on ne peut plus éloquents : « les Africains ne sont pas encore entrés dans l’Histoire ». Aussitôt, le livre « L’Afrique répond à Sarkozy » a paru…

Nous disons NON à cette France dont les ressortissants, notamment dans les services consulaires, se comportent en Afrique comme en territoire conquis. Cette France qui ne veut pas des Africains sur son territoire et qui le matérialise à travers un système de délivrance de visas ou de titres de séjour qui ressemble à un parcours du combattant jalonné d’épreuves humiliantes, avilissantes, dégradantes et portant atteinte à le dignité humaine.

Nous disons NON à cette France interventionniste, impérialiste et expansionniste à souhait : Opération Manta au Tchad en 1983-1984, Opération Epervier au Tchad en 1986, Opération Turquoise au Rwanda en 1994, Opération Licorne en Côte d’Ivoire en 2011, Opération Harmattan en Libye en 2011, Opération Sangaris Centrafrique en 2013, Opération Serval au Mali en 2013, Opération Barkhane au Mali en 2014, etc.

Si aujourd’hui la France, tel un vampire, est devenu un pays riche et développé, elle le doit principalement à l’Afrique qu’elle a appauvrie en suçant le sang des Africains déjà amincis et amaigris par la faim et la soif.

Aujourd’hui que la France se sent mal à l’aise pour garder dans ses musées des trésors issus du vol, un forfait qui leur est toujours resté au travers de la gorge, « nos ancêtres, les gaulois », de peur de suffoquer, crachent le morceau à travers la restitution du butin chapardé. C’est l’histoire du voleur repenti, qui se confesse, avoue sa forfaiture et bat sa coulpe. Tonte honte bue. Ce patrimoine béninois conservé depuis plus de 130 années au musée du Quai Branly retourne enfin au bercail. Des lieux qu’il n’aurait jamais dû quitter. Et sus aux voleurs qui, à défaut d’être pendus haut et court, sans autres formes de procès, devraient être traduits à la Cour Pénale Internationale (CPI) pour crimes contre l’Humanité. Un tribunal qu’ils affectionnent beaucoup, au demeurant, car très prompts à y trainer d’anciens dirigeants ou chefs de guerre africains, eux aussi pas toujours exempts de tout reproche.

Aujourd’hui, nous disons NON à cette France qui, prenant au pied de la lettre Michel Rocard qui disait que « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », vote au niveau de son Parlement les lois anti-immigration qui légalisent la reconduction à la frontière, sans ménagement, des « sans-papiers » africains. Si elle ne les embarque pas tout simplement dans des vols charters pour aller les débarquer en Afrique, avec la complicité de certains dirigeants africains, tout aussi condamnables, la France traque sur son territoire des marchands à la sauvette d’origine africaine qui se livrent, au quotidien, à des courses-poursuites et au jeu du chat et à la souris avec les flics français.

Les conséquences de cette exploitation durable et continue de l’Afrique par la France c’est que cela a rendu l’Afrique pauvre et sous-développée et a poussé les jeunes africains à aller chercher leur pitance dans les « eldorados » européens. Cela passe par la traversée périlleuse du désert du Sahara, avant d’être capturés et réduits en esclaves en Libye. Les autres sautent sur des embarcations de fortune avant d’être engloutis par les océans dans leur odyssée de « Barça ou Barsax ». Les plus chanceux d’entre eux qui arrivent à destination sur la terre ferme européenne sont condamnés à vivre dans la clandestinité, reclus dans des trous comme des rats sous peine d’être raflés et expulsés si jamais ils mettent le nez dehors. Quant aux veinards qui arrivent à disposer d’une carte de séjour en bonne et due forme, ils ne peuvent exercer que de petits boulots (la plonge, le nettoyage des rues, le travail saisonnier dans les plantations) pour assurer leur gagne-pain.

Aujourd’hui, si les Etats africains, anciennes colonies françaises sont officiellement indépendants, l’impérialisme française continue d’être très prégnant en Afrique. Sous d’autres formes. C’est le néo-colonialisme incarné par les colons de type nouveau, appuyés par leurs supplétifs autochtones, qui s’éternisent au pouvoir et règnent en dictateurs.

Les économies des pays africains sont tenues en coupes réglées par des entreprises françaises comme Bolloré, Orange, TotalEnergie, Eiffage, Necotrans, Suez, etc. au Sénégal. C’est ce qui a fait naître des mouvements contestataires comme « FRAPP-FRANCE DÉGAGE » qui reprennent l’initiative pour faire recouvrer à nos pays leur souveraineté économique, dès lors que la bataille politique est perdue.

Maintenant, la restitution d’une partie du patrimoine africain volé ne suffit pas. Il faut continuer le travail de recensement pour récupérer la totalité des trésors et richesses soustraits par la force par le colonisateur. Il faut annuler la dette des pays africains. En totalité. En effet, la dette de sang que la France doit à l’Afrique, avec l’esclavage, la colonisation et les deux guerres mondiales, est infiniment plus grande que les espèces sonnantes et trébuchantes que la France manipule pour tenir nos pays sous perfusion. De fait, le service de la dette annihile tout  effort ou projet de développement.

Aujourd’hui, c’est l’Afrique qui doit courir derrière la France, pour exiger, en toute légitimité, une demande de pardon officielle ainsi que des réparations à leur juste valeur. Ce pays, la France, qui s’est reconstruit après avoir été dévasté par des guerres meurtrières et qui a assuré sa prospérité en exploitant pour son propre compte les ressources et richesses minières des pays africains, ne doit pas dormir du sommeil du juste.

Pape SAMB

papeaasamb@gmail.com

 

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