Publié le 20 Oct 2015 - 00:31
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

L'erreur de railler l'autorégulateur des médias

 

Le pied-de-nez et le sarcasme sont-ils les attitudes avec lesquelles un journaliste mis en cause par le Tribunal des pairs du Conseil pour l’observation des règles d’éthique et de déontologie dans les médias (Cored) doit accueillir les avis de cet organe d’autorégulation de la presse sénégalaise ? Sans doute vexé par le verdict du Tribunal des pairs saisi par le Cored, l’envoyé spécial à La Mecque de la radio Zik Fm, Mansour Diop, a répliqué en affirmant : « C’est le Cored qui nous a appris à être partisan. »

Cornaqué dans cette œuvre par Ahmet Aïdara, Diop a même tenté de justifier son refus de couvrir une conférence de presse de la mission médicale du commissariat pour l’organisation du pèlerinage à La Mecque avec pour objet de donner des informations sur le bilan provisoire des victimes (morts et blessés) sénégalaises dans la tragique bousculade du 24 septembre à Mina. Quelles que soient les préventions et réserves qu’un journaliste peut avoir pour une source, son devoir n’est pas de bouder  les informations provenant de cette dernière. Le reporter ne doit jamais oublier ce que Jean-Claude Guillebaud considère comme étant une procuration de son public ; la Charte des devoirs du journaliste version Munich 1971 souligne que le journaliste doit donner l’information en raison du « droit que le public a de connaître la vérité ». A La Mecque, Diop était certes pèlerin, mais surtout journaliste.

Le Cored a trouvé fort à propos d’émettre un avis sur  le comportement et la pratique professionnels du reporter à qui  l’autorégulation reproche d’avoir « volontairement boycotté la conférence de presse du chef de la mission médicale qui, selon le journaliste, ne donne pas le bon nombre de Sénégalais décédés ». « L’attitude de ce confrère frise l’irresponsabilité et l’inconscience professionnelle », estime le Cored.

Au Cored, tout comme  au Tribunal des pairs, siègent des professionnels qu’un journaliste vraiment professionnel se garderait de vouloir mettre en doute les appréciations sur la pratique professionnelle d’un reporter. Mais, le monde de la presse sénégalaise est ainsi fait que ceux dont les « faits de guerre » sont fort modestes et les parcours si minces se croient légitimés à contester les jugements de professionnels chevronnés. Je frémis à l’idée que des grands noms comme Ibrahima Bakhoum – qui fut notre ancien maître de stage à l’Agence de presse sénégalaise -, Cheikh Tidiane Fall – un autre grand nom du quotidien Le Soleil -, Kader Diop, un vétéran de l’Agence France presse, lauréat du prix Pierre Mille, Mame Less Camara, Diatou Cissé, Saliou Traoré, Mamadou Biaye, Mamadou Thior, puissent tous désapprouver des manquements qui n’en seraient pas.

Le devoir d’un journaliste digne de ce nom – répétons la  qualification – ne saurait être de contester la crédibilité et la pertinence des remarques des autorégulateurs, mais de les accueillir avec cette humilité qui est une de vertus recommandées au journaliste et attendue de lui.

La profession a tant souffert des dérives et de la mauvaise image qu’en donnent certains pratiquants qu’il serait dommage que soit affaiblie la posture de ceux qui sont investis pour en défendre l’orthodoxie de la pratique. Le Cored et le Tribunal étant des remparts, sachons buter à ces murs pour ne pas tomber dans ce vide et l’incertitude que serait une profession où « ça va dans tous les sens » ; car faisant le jeu des aventuriers qui ont tout essayé et tout échoué pour se targuer d’être des journalistes à qui les références ne peuvent rien enseigner ni conseiller.

C’est avec un grand plaisir que nous avons appris le lancement d’Africa Check, premier site de fact checking en Afrique dont la rédaction francophone pour l'Afrique de l'Ouest est à Dakar et « cherche à encourager la précision dans le débat public », selon Assane Diagne, ancien de l’Aps et rédacteur en chef du site.

« Le fack checking est une nouvelle pratique dans le journalisme consistant à vérifier l’exactitude de certaines déclarations faites en public », souligne M. Diagne.

Le travail du fact checker consiste aussi, entre autres, à vérifier la fiabilité de certaines informations stratégiques collectées par le journaliste. C’est un rigoureux fact checking qui permet de déceler le bidonnage dont se rendent coupables bien des journalistes qui en viennent, par ces faux, à obtenir reconnaissance, prix et autres distinctions. Si la reporter tricheuse du Washington Post, Janet Cooke, lauréate, en 1981, du prestigieux Pulitzer (le Nobel du journalisme anglophone), a été démasquée, c’est autant par les doutes émis par le maire noir du Bronx (dont un de ses administrés fut le sujet du faux-reportage) que par le travail de « ré enquête » effectué par des fact-checkers.

 « Les journalistes, souvent débordés par le traitement de l’actualité au quotidien, s’ils ne se livrent pas carrément à la course au scoop, n’ont malheureusement pas le temps de vérifier tout ce qu’ils recueillent comme affirmations », explique l’Aps dans une dépêche  annonçant le lancement du site. Tous les jours, les réseaux sociaux et les médias traditionnels sont inondés d’affirmations de leaders d’opinion dont l’exactitude laisse à désirer. C’est ce vaste terrain-là, laissé vierge, jusqu’ici, par la presse africaine, qu’Africa Check essaie d’explorer. »

Le journaliste doit se donner le temps et la rigueur de faire son travail. Un travail qui ne sera pas le routinier compte-rendu, ni le commentaire à l’emporte-pièce. Parce que le commentaire peut aider le public à comprendre davantage une information, ses enjeux etc. Et c’est ainsi qu’il faut comprendre « le plaisir de la lenteur » que vante un article lu il y a quelques mois sur le net où il a été partagé par Ahmadou Tidiane Sy, directeur de l’Ecole de journalisme et des métiers de l’internet (Ejicom) de Dakar.

 

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