Publié le 18 Mar 2017 - 16:22
AVIS D’INEXPERT PAR JEAN MEÏSSA DIOP

 Les journalistes, ces riches auxquels on prête trop

 

Le maire de Dakar, Khalifa Sall, s’est-il retrouvé en prison au lendemain de sa conférence de presse pour dénoncer ce qu’il considère comme une « cabale politique » contre lui, voilà que le guide religieux tidiane, Abdou Aziz Sy al Amine, nouveau Khalife général des Tidianes, soutient que l’édile a été poussé aux erreurs par les journalistes (sic). Ah bon ? Si si ! Ce n’est pas nouveau, puisqu’on reproche à la presse sénégalaise d’avoir provoqué en Adama Barrow, alors fraîchement élu président de la République, une fringale de communication qui lui fit dire les mots qui firent peur au président Yaya Jammeh au point qu’il se rétracta à reconnaître sa perte de pouvoir.

Ces jours-ci, le 12 mars, au journal parlé de la chaîne dakaroise Vibe Radio, le Y'en a marriste, Thiat, accusa la presse sénégalaise de n’avoir aucune crédibilité. N’oublions pas non plus les propos désinvoltes et peu sympathiques de la styliste Adama Paris sur cette même presse…  Faut-il continuer à en jeter ? Il y en a encore de ces exemples où la presse subit sur sa tête de grosses tuiles et des désaveux, voire des doutes quant à sa rigueur professionnelle. « Wax u surnaalist là » (ce n’est qu’un propos de journaliste, osa dire une personnalité, dans les années 80. Propos de journalistes, donc peu crédibles, pas du tout dignes d’intérêt.

Devrait-on rappeler les griefs du même Al Amine, alors porte-parole du Khalife général des Tidianes, reprochant à la presse de n’avoir pas su taire l’information sur la disparition du Khalife général Serigne Mansour Sy. Là encore, c’est la presse qui en prit pour son grade, payant ainsi pour une option de communication qui révéla des failles béantes. La hiérarchie tidiane voulait que la nouvelle fût tue jusqu’à l’inhumation du défunt Khalife. 

Peut-on reprocher à un journaliste de diffuser une information qu’il a obtenue, vérifiée et même recoupée ? Peut-on lui faire grief d’avoir eu le talent et la chance d’avoir fait parler un citoyen nouvellement élu président de la République, mais qui n’a pas su se faire conseiller sur l’opportunité ou non de parler à la presse ?  Il ne reste qu’à solliciter le sens des responsabilités du journaliste sur la diffusion ou non de cette information obtenue de bonne source.

Le journaliste n’est pas comptable d’erreurs de communication qui peuvent bien lui profiter, lui valoir une exclusivité. 

L’opposition pourrait « occuper les médias et la rue » - c’est nous qui soulignons et c’est le député Barthélémy Dias qui le dit. C’était lors du bref meeting, le 10 mars, à l’hôtel de ville de Dakar, des soutiens contre l’incarcération du maire de Dakar, Khalifa Sall. Le jeune et fougueux parlementaire socialiste, souvent sans précautions oratoires, veut forcer la presse à parler de toute action qu’initierait l’opposition dans son combat contre le pouvoir du président Macky Sall. "Occuper les médias" est dangereux et pas du tout glorieux, même si c'est une occupation pacifique ; même si les journalistes jouent le jeu en cédant à cette pression politique. Les implications et les répercussions sont nombreuses pour ses éventuels initiateurs. Occuper les médias, cela veut dire obliger presque la presse à vous trouver une place dans son menu, son agenda (la fonction d’agenda que joue la presse) et atteindre ainsi un ou des objectifs de communication politique.

 Il reste à voir comment la communauté des journalistes et des défenseurs de la liberté de presse réagirait à cette éventualité. En effet, il n'est pas du tout acceptable qu'une stratégie politique consiste à "occuper les médias" pour inciter, obliger les reporters à relater une pantalonnade. Certes, il arrive que des groupes aillent s'égosiller devant une rédaction pour se faire entendre, mais une occupation telle que préconisée par Barthélémy Dias serait une manière d'avoir les médias à l'usure, et de dicter aux journalistes ce qu'ils doivent dire et écrire.

Post-scriptum : Etait-ce une blague ? Elle est mauvaise, si elle en est une ; dangereuse si elle est réalité : l'animateur Mamadou Ndoye Bane a dit, lors de son passage à une émission matinale de Rfm, que quelqu'un lui a promis une maison, mais tarde à honorer cette promesse. Et lui, Ndoye Bane, semblait prendre à témoin les auditeurs pour entrer en possession de sa villa, c'est-à-dire dénoncer le donateur pour l'amener à tenir parole. Un journaliste pouvait-il dire cela ?

 

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