Publié le 2 Mar 2021 - 23:54
CAMPAGNE DE VACCINATION CONTRE LA COVID-19

L’Etat vaccine des VIP et ‘’oublie’’ des priorités

 

Alors que certains cas prioritaires dont des personnes âgées et des hémodialysés peinent à accéder au vaccin, c’est le ballet des VIP, des militants politiques et de leurs familles au niveau des centres dédiés à la vaccination contre la Covid-19.

 
En lieu et place des personnes vulnérables, des personnels de santé en première ligne qui étaient les cibles prioritaires, la campagne de vaccination a vite tourné en une véritable cérémonie folklorique où des VIP (politiciens pour la plupart), leurs familles et leurs militants sont servis en priorité. La cinquantaine révolue, Moussa Diop, qui habite la Médina, s’indigne : ‘’Dans notre quartier, j’ai vu une dame, responsable politique, mobiliser des associations de soutien pour faire vacciner leurs membres. Ils ne se soucient même pas de leur statut…’’
 
Pendant ce temps, les personnes concernées par ces premiers lots de vaccin éprouvent toutes les peines du monde pour se faire vacciner. Parmi elles, il y a celles souffrant de maladies chroniques, celles âgées de 60 ans et plus, ainsi que les personnels de santé. Les hémodialysés sont de ceux-là. Certains font des pieds et des mains pour accéder au sésame.
 
Pourtant, ces couches figurent parmi les plus touchées par la pandémie, souligne le président du Mouvement des insuffisants rénaux du Sénégal, Cheikhna Sadibou Ndong. ‘’Nous sommes effectivement demandeurs, parce que le vaccin est notre unique espoir. On a perdu beaucoup de personnes à cause du coronavirus. Nous devrions être des priorités parmi même les priorités, car, comme j’ai l’habitude de le dire, les hémodialysés sont des carcans à comorbidité. Mais aujourd’hui, nous constatons qu’il y a beaucoup de malades qui veulent être vaccinés, mais qui n’y parviennent pas’’.
 
Mais ont-ils effectivement fait la demande auprès des autorités et instances habilitées ? Le président du mouvement s’empresse de confirmer.  Pour s’en rendre compte, dit-il, il faut aller dans les centres de dialyse. Et il donne l’exemple de l’hôpital militaire de Ouakam où des pensionnaires se sont signalés pour faire part de leur demande. Mais en vain. ‘’Parfois, c’est parce que les gens ne savent même pas quoi faire. Au niveau de l’HMO, des gens ont manifesté leur souhait, mais on leur a demandé d’aller s’inscrire sur la plateforme et d’attendre leur tour. Quand ils m’ont informé, j’ai personnellement appelé le directeur de la lutte contre la maladie, Babacar Guèye et je lui ai fait part de nos préoccupations. Nous ne pouvons attendre le rythme d’évolution de la plateforme. Il nous a recommandé de nous inscrire et qu’après, ils vont nous faire passer en priorité’’.
 
Pour ceux qui se sont inscrits sur la plateforme, ils jugent le rythme trop lent, alors que leurs vies sont peut-être menacées. ‘’Nous avons été les plus touchés. Nous devrions être parmi les premiers à être vaccinés. Les autorités ne devaient même pas attendre qu’on en fasse la demande. Aujourd’hui, dans tous les centres de dialyse, les malades réclament les vaccins et ont du mal à être satisfaits pour la plupart des cas. Pourtant, les 20 000 doses qu’on a offertes à d’autres pays auraient suffi’’.
 
Chez les personnes du 3e âge, beaucoup attendent encore d’être édifiés sur leur sort. M. K. s’est inscrit sur la plateforme depuis plus d’une semaine. Il n’a toujours pas été convoqué par les autorités compétentes. ‘’Il y a beaucoup de gens de ma génération qui veulent prendre le vaccin, mais qui sont sans solution. On nous demande de nous inscrire. C’est fait depuis, mais aucune réaction…’’, regrette-t-il.
 
Au moment où les politiciens et les VIP font leur bamboula, il s’avère que les doses réceptionnées à l’heure actuelle sont très en deçà des besoins pour les cibles prioritaires. Si l’on se fie au dernier rapport de l’Agence nationale des statistiques et de la démographie, les populations de plus de 60 ans sont au nombre de 926 871. Pour ce qui est des personnels de santé, Ismaila Mbaye informe qu’ils doivent se situer autour de 28 000 personnes. Pendant ce temps, pour les comorbidités, rien que les hémodialysés seraient au nombre de 20 000 environ.
 
Au niveau de la région de Dakar, le gouverneur annonçait, à l’occasion de la cérémonie de lancement, que la vaccination concernerait en priorité 118 151 personnes. Au total, sur une population de 3 938 355 habitants, 784 520 sont visés dans le cadre de cette campagne dans la capitale. Une forte demande à l’origine déjà de quelques tensions. B. B. raconte la mésaventure de sa maman domiciliée à Keur Massar : ‘’Elle s’est présentée au district aux fins de s’inscrire sur les listes, mais on lui a signifié que le stock est épuisé.’’
 
Une des régions les plus touchées, Diourbel note aussi une politisation outrancière de la vaccination. C’est la conviction de notre correspondant Boucar Aliou Diallo qui explique : ‘’Ici, c’est surtout le personnel médical, les autorités administratives, politiques et religieuses qui ont commencé. La campagne proprement dite pour toucher les populations n’a pas encore démarré. On voit des gens qui n’ont même pas 40 ans et qui parviennent à passer entre les mailles. Sur les 180 000 doses disponibles pour l’ensemble du pays, la région a reçu 10 881 doses pour ses plus de 50 000 cas prioritaires. Parmi ces derniers, il y a 6 429 doses destinées aux personnels de santé, 49 246 aux personnes âgées de 60 ans et plus, notamment’’.
 
Outre la ripaille des politiciens, des témoignages épinglent aussi certains personnels de santé qui ne sont pas non plus exempts de tout reproche. Selon les accusations, ils se permettraient la largesse de faire passer amis et proches, en dehors de toute procédure. Interpellé sur cette question, le président de l’Association nationale des infirmiers et infirmières d’Etat du Sénégal (Aniides), Ismaila Mbaye, précise : ‘’Je pense que c’était une bonne chose pour convaincre les Sénégalais les plus sceptiques quant à la fiabilité et l’efficacité du vaccin. C’est dans ce cadre que s’inscrivait cette stratégie de vaccination des plus hautes autorités. Maintenant, il faut poursuivre la sensibilisation pour que tout le monde soit conscient que ces premiers lots sont destinés à certains cas prioritaires. C’est mieux que de faire valoir nos statuts pour nous vacciner ou faire vacciner des proches.’’
 
Dans la stratégie de vaccination du Sénégal, il a été retenu, parmi les priorités, les personnes vivant avec des comorbidités, les personnels de santé ainsi que les personnes du 3e âge (60 ans et plus). ‘’La finalité, rappelle M. Mbaye, c’est de faire vacciner plus de 70 % de la population. Mais il y a certaines couches qui ont été visées comme étant prioritaires. Nous appelons donc les responsables à être plus regardant et à faire de sorte que les véritables priorités soient servis dans ce premier lot’’.
 
Au moment où, au Sénégal, cette politisation de la vaccination semble même normale aux yeux de nombre de citoyens, en Argentine, le ministre de la Santé a été poussé à la démission, simplement pour avoir aidé des proches à se faire vacciner, alors qu’ils n’y avaient pas droit. ‘’Le scandale avait éclaté lorsqu’un journaliste a déclaré à la radio avoir été vacciné grâce à son amitié avec le ministre de la Santé, Ginés Gonzalez Garcia’’, informait la chaine française France 24. Depuis lors, des vagues de manifestations ont été notées dans le pays autour des slogans ‘’Rendez-moi mon vaccin’’, ‘’Cessez de gaspiller notre argent’’.
 
MOR AMAR

 

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