Publié le 19 Jul 2018 - 23:10
CEPTIK ET KALIF - LYRICISTES

‘’Ce qu’on n’aime pas dans le hip hop…’’

 

Ils jouent le jeu jusque dans les interviews. Birom Ceptik Seck répond toujours en français et Kalif en wolof. Pourtant, l’un comme l’autre maîtrise les deux langues. Seulement, dans ce projet d’album qui les réunit et intitulé ‘’Lyricistes’’, Ceptik y fait ce qu’il sait le mieux faire : rapper ou slamer en français et Kalif se lâche en wolof. Il parle des mêmes thématiques, se pose sur les mêmes beats sans ‘’degammer’’. Il faut être bien techniquement pour le réussir. Un pari fou qu’ils ont su relever. Cet album est comme une source de fraîcheur pour ceux qui aiment la musique des old school. Lyricistes les replonge dans l’ère de la 2e génération du hip hop galsen avec des airs de 2018. L’album de 17 titres  sort ce 20 juillet. En attendant, le duo partage avec les lecteurs d’EnQuête quelques détails du projet.

 

Comment est née l’idée de faire ‘’Lyricistes’’?

Ce  projet est né suite à  beaucoup d’échanges avec le public et entre amis aussi, car cela fait 18 ans qu’on est ensemble. On a aussi fait plusieurs freestyles et passé des soirées en studio ensemble. Nos discussions tournaient toujours autour de l’écriture, de la manière dont les styles et les écritures ont changé. A force de se plaindre de ne pas se retrouver dans la nouvelle musique, on s’est dit que ce serait sympa de faire quelque chose ensemble. Déjà, on partage beaucoup de choses. On anime depuis une décennie des  ateliers d’écriture et on s’est dit qu’on pourrait faire quelque chose de sympa en français et en wolof. Je m’exprime plus facilement en français et Kalif en wolof, parce que c’est un artiste reconnu pour son écriture dans cette langue.

Considérez-vous cet album comme une leçon que vous offrez à la jeune génération ?

Kalif : Oui en quelque sorte. Quand on a eu l’idée de faire ce projet, le hip hop n’était pas encore à ce niveau. Mais je me dis qu’il est plus opportun de le sortir maintenant. Le hip hop a pris d’autres créneaux par rapport à pas mal de choses dont l’engagement social. Quelque part donc, on peut dire que cet album est un cours pour que les gens revalorisent l’écriture.

Ceptik : Il faut comprendre que recadrer, c’est aussi demander aux gens de se fédérer. C’est bien d’être talentueux mais ce qui est le plus important, c’est de créer des liens et d’évoluer ensemble, de dire aux artistes que le clash n’arrange rien, le buzz qu’on y gagne dure  juste un moment. Mais après, il y a des limites. Au-delà, il faut essayer de voir ce qu’il faut laisser à l’environnement sénégalais. C’est ce qu’on a voulu montrer. Car on vient d’un environnement différent. Mais on a une bonne philosophie nous permettant de développer des thèmes car cela se perd beaucoup. Actuellement, on voit beaucoup d’artistes qui font dans l’egotrip et se disent qu’ils sont les kings du rap. On a voulu faire quelque chose qui tourne autour de thèmes bien précis.

Mais ici, il ne s’agit pas d’un simple rappel de l’importance de l’écriture. La composition musicale parle aux nostalgiques. Qu’est-ce qui motive ce choix ?

Ceptik : On a 20 ans de musique ; à deux, cela fait 40 ans. On a un public qui nous suit depuis des années. Kalif a remporté un prix avec son dernier projet ; j’en suis à mon quatrième album. On a toujours une philosophie et un public qui nous suit parce qu’il sait qu’on ne va pas leur servir des musiques qu’on retrouve dans les boîtes de nuit. On est dans la conscientisation humble, mais on a beaucoup de mal à parler de certaines choses qui ne correspondent pas à nos valeurs et ce que l’on voit dans la vie. Ce public nous a dit que nous avons plus ou moins la même philosophie donc, ce serait bien qu’on fasse quelque chose ensemble. Il n’y a pas que des gens qui écoutent la new school, il y a aussi encore beaucoup de old school. Beaucoup de gens qui ont 30 ans d’écoute musicale hip hop et les gens sont plus ou moins contents de voir qu’on rapporte un peu de fraîcheur. Quand tout le monde fait la même chose, quelqu’un qui sort du lot peut se démarquer facilement.

Kalif : Effectivement, les changements ne concernent pas que la manière d’écrire. A la base, on voulait faire un album 100% featuring avec des beatmakers. On recherchait une certaine ouverture musicale dans les sonorités. On a travaillé sur ce projet pendant deux ans. Donc rien n’a été fait dans ce dernier au hasard. Cet album est composé de 17 titres mais on s’est beaucoup donné et on a insisté sur la composition musicale. On est des Old school et on garde une certaine identité. Il n’empêche qu’on montre que la musique qu’on faisait peut évoluer avec le temps. On a travaillé avec pas mal de compositeurs dont des Sénégalais et des Américains.

Vous avez travaillé avec qui exactement ?

Kalif : Comme beatmaker, au niveau national, on a bossé avec Pipa, Buzz, Diksa d’Alienzik. Sur l’international nous avons travaillé avec Epistral Beat. Comme artiste, on a travaillé avec Xuman, Niit Doff, Ada Knibal, PPS, etc. On les a choisis parce qu’on se retrouve dans ce qu’ils font.

N’avez-vous pas peur d’être taxés de prétentieux en venant avec l’idée de montrer aux gens comment il faut faire ?

Ceptik : Il y a encore des gens à qui une certaine musique manque et on le dit suivant les feedback que nous avons. Ce projet existe parce que les gens nous en parlent beaucoup. On les a impliqués d’ailleurs du début à la fin du projet, notamment dans le choix des thèmes qui ont été développés par le public. Dans la production des clips, on a également échangé avec ceux qui nous suivent. Il y a des groupes qui ont été créés uniquement pour cela. On leur a demandé ce qu’ils voulaient avoir dans l’album et à notre niveau, on a garanti qu’on n’allait pas accepter de faire des trap parce qu’on ne se retrouve pas dans cette musique. On aime bien le hip hop classique, c'est-à-dire le beat. On a grandi avec ce style donc, on ne va pas se prostituer ni pervertir notre musique juste pour faire plaisir à une couche de la population. Il y a eu des jeunes qui nous ont contactés pour nous dire que ce hip hop qu’on fait, ils viennent de le découvrir et cela nous fait plaisir. Il y a un conflit de générations et c’est normal.  On ne vient pas pour dire que tout ce qui se fait aujourd’hui n’est pas bon. On se dit juste qu’avant, on n’avait de vraies valeurs et il n’y avait pas autant de bagarres sur scène. Il y avait un minimum de respect. On n’était pas tous dématérialisés ni digitaux. Il y avait des choses qui se créaient  et on fait partie de cette génération. Pourquoi devrions-nous mourir ? On est encore bien solide sur la scène. On a des choses à dire aussi et nous sommes là.

Kalif : Je ne dirais pas qu’on est prétentieux. On fait partie de la deuxième génération du mouvement hip hop galsen. On peut dire que ce dernier a connu 3 générations. La première d’entre elles s’est chargée d’imposer ce mouvement et de se faire accepter par la société. Notre génération a fait de sorte que le hip hop soit accepté dans les maisons, c’est-à-dire que des personnes d’âges différents puissent nous écouter et s’intéresser à ce qu’on faisait. Ces deux ont accompli des choses. Si l’on se rend compte que la 3e est aujourd’hui en train de dérailler, il est de notre devoir de les recadrer un tant soit peu. Ce n’est pas à nous de leur apprendre les choses ou de leur dire ce qu’ils doivent faire mais quand même, on a le droit de leur rappeler qu’il y a des bases et des principes à respecter dans ce mouvement. On veut également les sensibiliser sur le contenu des textes. C’est important. On ne se présente ni ne se considère comme des donneurs de leçons.

A vous écouter, il y a un brin de nostalgie qui se sent. C’est à se demander cet album, c’est pour qui ?

Ceptik : On est dans une année assez particulière au cours de laquelle on fête les 30 ans de hip hop. C’est une année où les différents publics se rencontrent. C’est une année où on peut justement prétendre être old school. Nous faisons partie de la deuxième génération mais, c’est cette première génération qui nous a guidés pendant longtemps. Ce sont des artistes à qui on rend hommage. A ceux de notre génération, on leur fait comprendre qu’il y a un autre style et qu’on n’est pas obligé de faire ce que tout le monde fait. On peut faire quelque chose et ne pas suivre la tendance mais faire une musique où ton public va se retrouver. On a aussi voulu fédérer le public du slam qui nous suit et qui est beaucoup plus âgé (10-70 ans) et le public hip hop aussi qui va de 10 à 40 ans, et enfin, ceux qui écoutent le hip hop et le slam en français et en wolof. On vient tous de Guédiawaye mais on a vraiment des univers totalement différents. On a voulu montrer qu’il y avait possibilité de fédérer ces différents publics et de parler tous d’une seule et même voix.

Kalif : Comme l’a dit Ceptik, le challenge était d’essayer de fédérer le public. On veut regrouper le public intéressé par le slam, celui qui suit le rap wolof et celui qui suit le rap français. Un tel projet est une première au Sénégal. Le fait de regrouper deux artistes aux parcours artistiques assez différents autour d’un même album et que tous les textes sont soit en français soit en wolof et qu’on y sente un peu la couleur slam, c’est inédit. C’est pour cela d’ailleurs que le travail nous a pris du temps. Je pense qu’artistiquement, on a réussi à fédérer les différents publics visés.

Quels sont les thèmes que vous développez dans cet album ?

Ceptik : On parle respect de son prochain, d’humilité, de droit. On respecte énormément ceux qui sont venus avant nous. A notre époque, on allait les rencontrer, ils nous guidaient et on s’inspirait beaucoup de ce qu’ils faisaient. On parle beaucoup de spiritualité, de famille  et d’amour de la musique. Est-ce qu’on pense gagner de l’argent ou est-ce qu’on le fait par passion ? Ce sont des questions qu’on se pose. On estime qu’il faut donner de la valeur à nos sœurs, nos femmes et nos filles. Ce n’est pas dans notre album ou dans notre musique  qu’on va faire un son qui va faire bouger les bodys même si c’est ce qui marche actuellement. On sait comment ça fonctionne et on peut faire un buzz quand on veut.  On n’a pas voulu développer ce genre de thème. On ne va pas parler de Berline Mercedes alors qu’on n’en conduit pas. Par contre, on peut parler de charrette parce que cela ne nous dérange pas de traîner avec. On a voulu montrer au public qu’on est accessible et que la proximité existe toujours et sans eux, on n’est rien du tout.

Kalif : On parle de l’essence de la société. On s’inspire de ce qui se passe dans nos sociétés, de notre vécu, de l’évolution du hip hop.

Est-ce qu’on pourrait en vouloir à ces jeunes pour le choix de leurs thématiques. On ne peut omettre l’influence nigériane ?

Ceptik : Le hip hop dépend du pays où on évolue. Est-ce qu’on fait du hip hop en calquant ? On essaie de s’adapter à notre propre culture.  Je peux parler de Berline si j’en ai mais si c’est pour emprunter celle d’un ami ou si c’est pour parler d’hôtels alors que je vis encore chez ma maman, il y a problème. C’est bien de faire du blow mais c’est bien de faire la différence. Je parle de ces gens qui ne font que ça et qui ne parlent d’aucun autre thème, qui ne s’impliquent pas et qui ont l’insulte facile et c’est grave. On est à un niveau de la société ou faire du mal à quelqu’un pour se faire du bien à soi est facile. C’est ce qu’on critique et ce qu’on dénonce. Est-ce que ça vaut la peine de faire un clip d’un million et mettre une fille à moitié nue et la montrer bouger parce que c’est ce qui marche. Le message n’est plus important. Chez nous, le plus  important, c’est le message ; la musique vient après.

Kalif : Comme il l’a dit, le hip hop est une musique universelle. Mais quand il arrive dans un pays, il épouse la culture de ce pays. On ne peut pas rapper comme les Américains ou les Français parce que les réalités ne sont pas les mêmes. Si aujourd’hui on décide de prendre certaines choses chez l’autre, on essaie de l’adapter à notre vécu. On est d’accord que les gens fassent certaines choses de temps à autre, c’est comme des récréations. Mais s’y mettre tout le temps, c’est carrément autre chose, une manière de faire qu’on ne partage pas. Ce qui me fait d’ailleurs dire que ce n’est pas toute la nouvelle génération qui agit comme tel. Il y en a qui font de merveilleuses choses. Mais il faut reconnaître que pour la majorité aujourd’hui de cette nouvelle génération, les textes sont vides. Quand on est suivi et écouté, on a un devoir moral en tant qu’artiste de donner à ces derniers des choses qui peuvent leur servir.

Lyricistes serait-il une réconciliation entre les partisans du rap wolof et ceux du rap en français parce que vous faites partie d’une génération qui contestait le 2e groupe  cité ?

Ceptik : Je pense que oui. Cela fait beaucoup de bien de pouvoir répondre à cette question aujourd’hui en souriant. On est de la génération ‘’rap wolof mo raaw’’. Kalif et moi sommes puular. Quitte à s’accrocher à une culture, on s’accrocherait à notre culture pulaar. On en parle même dans cet album quand on évoque le retour à la source et à certaines valeurs, le déracinement, etc. C’est vrai que cette rivalité était un problème pendant longtemps. La culture slam nous a permis à notre niveau de vulgariser ça. Avant, on pensait que c’était juste une certaine couche de la population qui parlait français. Mais en grandissant, on réalise qu’à la différence des Américains qui ont développé le hip hop dans la rue, nous, nous  l’avons développé dans les Sicap. Des quartiers huppés avant de le décentraliser en banlieue. On a donc eu tout faux dès le départ. On a besoin d’expliquer et de défendre nos idéologies avec des  arguments solides et pouvoir exporter notre musique.

Kalif : Effectivement, cette conception des choses a été une barrière posée et qui n’avait pas sa raison d’être. Nombreux étaient ceux qui rapaient en français et qui avaient quelques difficultés à s’imposer auprès d’un certain public. Cet album permet de réconcilier les deux groupes mais aussi techniquement, cela nous permet de relever un défi qui est celui de faire 17 sons avec des couplets entremêlés sur des flows différents. On a montré que cela étaient techniquement possible. On parle d’une même chose également mais dans deux langues différentes. Cela peut paraître facile a priori mais ça ne l’est pas au fond. Pour écrire en français, il faut réfléchir en français, idem pour le wolof. On a su harmoniser ces deux univers et briser un certain mythe qui était là. On se pose sur les mêmes beat et développons les mêmes thèmes. L’usage des deux langues nous permet par ailleurs d’avoir une certaine ouverture auprès du public. On a fait un travail sérieux sur cet album. On s’est beaucoup donnés pour sortir un produit de qualité. Ceux qui découvriront l’album le sentiront.

BIGUE BOB

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