Un regard sur l'histoire
![](https://www.enqueteplus.com/sites/default/files/styles/article-default/public/main/articles/448952504_873379074825255_6331650869133388735_n.jpg?itok=zIOKuFfm)
L’ancien palais de Justice a accueilli, samedi dernier, la dernière expression artistique de la Biennale de Dakar. En effet, Algorithm Ocean true Blood Moves a été une expérience sensorielle inoubliable. À travers une danse puissante et émotive, cette prestation a créé une atmosphère où le rythme, la musique et la liberté se sont rencontrés pour une performance qui semble aller au-delà de l’ordinaire. Un véritable chef-d'œuvre pour rendre hommage à l'histoire.
Les premiers battements du tam-tam captent l'attention. Les sonorités, vibrantes et profondes, se sont intégrées parfaitement aux mouvements des danseurs qui semblent guidés par l’énergie de chaque vibration. Vêtue de blanc, le batteur porte une couronne symbolique, formée de cornes, accentuant l’aspect naturel et spirituel de cette prestation. Cette touche visuelle, délicatement liée à la nature, crée un contraste frappant avec la majesté du lieu. La danse, exécutée avec une étonnante fluidité, suit le rythme de la musique. Chaque geste, chaque mouvement semble être une réponse à la pulsation des tambours, un dialogue entre l’humain et le son. Il y a quelque chose de profondément africain dans l’exécution des gestes, qui résonnent dans les cœurs du public. Le son des tambours, avec sa force rythmique, fait écho au battement des cœurs, l'un ne pouvant exister sans l'autre. Cette symbiose captive et élève l’esprit, créant une énergie collective palpable.
Il semblerait qu'il n'y ait pas eu de hasard. La chorégraphe et artiste de l’image Ana Pi explique : ‘’On essaie de trouver des repères liés à notre histoire, à notre généalogie et à notre héritage.On se rend compte de plus en plus qu’avec les réseaux sociaux et toutes les images qui circulent, qu'on est plus proche les uns des autres qu'on ne le pense et que les faits et gestes ont voyagé.’’
Pour Ana Pi, le corps est ce grand vaisseau capable d'emmagasiner de la mémoire. Elle indique que cette danse se cache derrière le groove. "Le groove est un endroit profondément africain qui s'est télétransporté partout sur cette planète. Le message est que le groove nous aide à ne pas nous casser. Si on est rigide, on peut se casser. Or, si on groove, on ne se casse pas et c'est de la résistance".
La performance n’était pas seulement une question d’esthétique, mais une invitation à s’immerger dans une expérience collective, où chaque spectateur ressentait la liberté de s'abandonner à l'instant. "Au-delà de la résistance, c'est une danse de liberté, de prière, une danse de guérison", a souligné Ana. Un spectacle qui a touché des endroits et tous les maux.
Le bleu et le blanc, pour se souvenir des personnes dans les eaux
Au fil du spectacle, les danseurs, vêtus de blanc, se sont déplacés avec une grâce qui contraste parfaitement avec la puissance de la musique. Leur fluidité et leur souplesse rend chaque mouvement captivant, presque hypnotisant. L'ajout d'une touche de bleu sur le blanc est subtil, mais significatif. L'artiste visuel et poète franco-caribéen, Julien Creuzet, nous a expliqué l'essence de ces couleurs : "Il y a du blanc et du bleu comme le ciel et l'océan. Comme l'océan qui est nécessaire et qui permet aux personnes afrodiasporiques d'exister (...). On a été à Gorée symboliquement". Il a soutenu qu’il est important pour une personne afrodiasporique de recomprendre et de remonter le temps, mais aussi de comprendre le futur. C'est donc bel et bien une question d'identité.
Mais c'est aussi une symbolique. Le bleu, souvent associé à la profondeur, à l'infini et à la tranquillité, s’est allié au blanc, couleur de la pureté et de l’unité. Ce contraste suggère une forme de dualité, entre le monde visible et invisible, entre ce qui est perçu et ce qui se cache derrière la réalité.
Pour Julien, il y a un héritage transgénérationnel. "Souviens-toi de ceux qui sont restés au fond de l'eau". Cette recommandation a été renforcée par une vidéo, ‘’Sonjéo’’, dans laquelle on voit une statue exécuter des pas de danse en se métamorphosant. Un passage qui a également marqué les esprits présents à ce spectacle. "’Sonjéo’, veut dire rappelle-toi d'eux. Souviens-toi de tous ceux qui sont dans la mer". Il nous confie que d'après une légende, il est dit qu'au moment où les statues ont quitté leur lieu d'origine et qu'elles sont devenues des œuvres d'art dans les musées, elles ont perdu leurs fonctions sociales et donc elles sont mortes. En conséquence, il y a des objets dont on ne connait plus les usages. On peut y voir une revendication, un hommage aux personnes mortes dans l'eau, peut-être en essayant de braver le froid de la mer à la recherche d'un avenir incertain, mais aussi une solution pour ne pas finir brisé et meurtri en exécutant le groove.
Thécia P.NYOMBA EKOMIE