Publié le 3 Nov 2017 - 22:59
CHRISTIAN LEROY (COMPOSITEUR)

‘’Une musique de film, c’est pour donner une autre lecture’’

 

En Europe, il est actuellement l’un des plus grands compositeurs de musique de films. Christian Leroy est surtout connu pour les ciné-concerts qu’il donne un peu partout dans ce continent. Actuellement, il est à Rabat où il prend part, en tant que membre du jury officiel, à la 22e édition du festival international du cinéma d’auteur. A l’ouverture de cette dernière, vendredi dernier, il a donné un concert époustouflant. Dans cet entretien accordé à EnQuête, il donne sa conception de la musique de film, parle de ses concerts et projets actuels.

 

C’est quoi une musique de film ?

Je vais dire quelque chose qui est un peu contre mon travail : ‘’le cinéma a-t-il besoin de musique ?’’. Je dirais oui, si la musique sert à avoir une autre lecture du film. Je ne parle pas de ciné-concert. Parce que c’est un peu différent. Un film a besoin d’une autre lecture et je pense que quand un réalisateur fait confiance à un compositeur, c’est parce qu’il connaît déjà sa musique et, quelque part, il lui demande de donner une autre lecture du film. Si on prend le cinéma américain, généralement il n’y a pas beaucoup d’autres lectures. Je parle du grand cinéma américain.

Il y a la musique qui est là et l’action qui suit. C’est-à-dire, on sait qu’il y a des scènes de violences, le compositeur à tout un paquet de musique pour ça. Pareil pour les scènes d’amour. Mon travail est différent de cela. La musique a une pertinence par rapport à la lecture du film. Pour les films muets, je travaille sur des Buster Keaton, je pourrais faire du jazz, des musiques très rapides, mais je fais l’inverse pour donner une puissance à l’image. Il y a beaucoup de définitions pour la musique de film. Mais pour moi, c’est le fait de proposer aux spectateurs une autre lecture.

Donc, faire une musique de film, c’est réécrire le scénario autrement en musique ?

Disons que c’est difficile de ne pas toujours l’adapter à l’histoire racontée. C’est évident. Moi, ce que j’essaie de faire, c’est de donner quelque chose de différent comme lecture. Je ne sais pas si c’est la meilleure solution, mais ça le paraît. Je donne beaucoup de ciné-concerts, on me parle de cette autre lecture et les gens ont l’air très heureux. Les musiques de film que je fais sont souvent des commandes de cinémathèques ou de projets que je fais en Europe, parce qu’il y a un grand mouvement autour du cinéma muet. Pour faire musique, il me faut avoir un coup de foudre, en regardant le film. Cela n’a tout de même pas toujours été le cas. Maintenant, quand c’est au piano, j’essaie d’écrire pour les autres instruments et on le présente en salle et en live.

Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur les films muets ?

Cela s’est fait par hasard. Très jeune pianiste, j’ai été fort intéressé par le cinéma muet. J’ai eu l’occasion d’accompagner des films muets dans diverses cinémathèques. En 2005, je me rendais compte que j’avais presque joué sur tout le répertoire, mais c’était généralement au piano. Je me suis alors dit que certains d’entre eux méritaient des musiques composées et avec orchestre, comme en ont un peu les films actuels. Je me suis mis à travailler sur ce projet. La première expérience d’écriture, c’était sur ‘’Nanouk l’Esquimau’’, puis le ‘’Dracula’’ de Tod Browning (ndlr sorti en 1931) et des films Murneau.

Surtout ce dernier, je travaille beaucoup sur ses œuvres, des films un peu plus intenses. J’ai également travaillé sur des films de la cinémathèque de Bologne. Donc, j’ai eu énormément de rencontres avec ce cinéma, mais c’était plus des rencontres de compositeur, pas d’improvisateur. Pourtant, comme vous le savez, il y a toujours de l’improvisation et de la composition quelque part. Il y a un mixe. Je reste quelque part fidèle au cinéma muet, en usant d’improvisation musicale. Evidemment avec les grands ensembles, l’écriture est plus formelle. Mais il n’empêche que j’utilise la composition du cinéma contemporain, par moments.

Vous vous basez sur quoi pour écrire l’histoire d’un cinéma muet en musique ?

Ici, le réalisateur n’est pas présent et c’est là où réside toute la difficulté. Quand le réalisateur est là, il vous dit ce qu’il veut exactement. Et là, c’est tout à fait au feeling. Pour exemple, quand j’ai composé la musique de ‘’Nanouk l’esquimau’’, c’est une musique très répétitive, une musique ethnique. Généralement, j’écoute une fois la musique, si elle a été déjà faite et c’est tout.  Mais pour celle-là, après avoir l’écoutée, je n’arrivais pas à entrer dans le film, tellement les scènes me semblaient répétitives. Pour faire la musique, j’ai dû commencer vers la fin du film pour remonter. C’est très différent. Dans ce travail, il faut beaucoup d’humilité. Les films ont une grande présence et sont de grands classiques. Je ne fais pas de la musique pour la mettre dans un film. Il faut une relation particulière avec le film, mais sans l’avis du réalisateur, puisqu’il n’est plus là.

Il y a des réalisateurs qui préfèrent prendre des musiques composées dans le cadre d’un album qui n’a rien à voir à la base avec leur projet. Peut-on considérer ces compositions-là comme des musiques de film ?

Oui, je le pense. On a beaucoup utilisé Prokofiev (ndlr Serge Prokofiev, musicien ukrainien décédé en avril 1891). Fellini a utilisé Nino rota (ndlr compositeur italien célèbre pour ses musiques au cinéma). Bernard Herrmann (ndlr musicien américain) faisait les quatuors à Hitchcock et ce dernier coupait dans les bandes et adaptait toutes les séquences musicales. Moi, je pense malgré tout que l’intérêt de travailler avec des réalisateurs, c’est de pouvoir amener une autre lecture. Je travaille beaucoup sur les films d’animation, c’est encore autre chose.

Les réalisateurs viennent et je joue les thèmes au piano. Si ça marche, il faut qu’eux aussi aient un coup de foudre pour la musique. Je vous donne un exemple. Plusieurs fois, j’ai dit à des gens : ‘’j’adore la musique de Bach’’ et ceux à qui tu le dis te demandent de faire presque du Bach. Je n’aime pas trop. Je l’ai fait une ou deux fois et ce ne sont pas les meilleures expériences pour un compositeur. Jouer à la manière de…, ce n’est pas bon pour un compositeur. J’évite cela. Je préfère même qu’il pioche dans mon répertoire que de me voir jouer Bach, Beethoven, etc.

Avez-vous déjà travaillé sur des films africains ?

Pas du tout et c’est dommage. J’ai vu pas mal de films africains et j’aime beaucoup les musiques. Je trouve que c’est intéressant. Pour un compositeur, le plus important est de lier les deux cultures. Si j’avais l’occasion de travailler avec un réalisateur africain, ce serait pour l’occasion de lier toute la culture musicale africaine et notre culture européenne. En Afrique du Nord, ils adorent travailler de manière ouverte et moi, j’aime travailler de manière ethnique avec les musiciens.

Vous avez présenté un concert à l’ouverture du 22e festival international du cinéma d’auteur de Rabat, parlez-nous de ce mini ciné-concert

C’est une partie d’une série de 13 films qui sont les images du cinéma muet. Pour l’ouverture, le directeur de ce festival, Hamadi Gueroum, m’a demandé de présenter une partie de ce projet intitulé ‘’Les pionniers du cinéma’’ et qui était une musique qu’on m’avait demandée, non pas pour être jouée en ciné-concert mais comme musique de film. C’est l’archéologie du cinéma qu’on retrouve dans ce projet mais il a toute son importance. Je ne fais pas cela comme une musique de film mais disons que ce sont des ‘’shorts films’’.

Vous prévoyez quoi pour la clôture ce samedi ?

Normalement il ne devait pas y avoir de plateau pour la clôture en musique. Les organisateurs étaient tellement heureux, après avoir assisté à la première prestation et découvert toute cette musique qui est quelque part comme les musiques dans le temps au cinéma, qu’ils ont maintenant envie que je complète les films.

Vous faites partie du jury officiel du festival, comment se passe le travail ?

Je vais être très franc avec vous, j’adore ce festival. J’adore Rabat. Hamady Gueroum m’avait demandé l’année dernière de venir. Malheureusement je travaillais sur une musique de film et mon agent ne voulait pas que je vienne. J’adore ce festival, ses équipes, les films proposés. Je fais beaucoup de festivals mais j’ai un amour pour Rabat et pour l’organisation. Pour moi, c’est un plaisir et un honneur de faire partie de ce jury, surtout qu’il est dirigé par Faouzi Bensaidi (ndlr éminent réalisateur marocain) dont j’ai vu le dernier film ‘’Volubilis’, que j’ai adoré. J’ai du mal à être jury pour la musique parce qu’inconsciemment, je ne suis pas objectif. Je fais de la musique et je pourrais aimer des choses qui ressemblent à mon travail alors qu’il ne faut pas. Ici, je suis jury pour le film mais pas uniquement pour la musique. Maintenant je donne mon avis sur la musique mais c’est très difficile pour moi. La difficulté de donner un prix pour la musique réside dans le fait qu’on est très formaté à certaines musiques. On entend plus de musique qu’on ne voit de films.    

BIGUE BOB (envoyée spéciale à Rabat)

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