Publié le 27 Jan 2022 - 21:14
COLLOQUE INTERNATIONAL DE DAKAR 2022

Amath Dansokho inspire la nécessité d’une refondation de l’ultralibéralisme 

 

Ce que l’on savait du néolibéralisme et du dictat de la finance, a été mis au grand jour par la crise multiforme que traverse le monde avec la pandémie de coronavirus. La recherche de solutions efficaces passe par la mise place d’espaces de rencontre et de confrontation d’idées destinées à sauver ce qui peut encore l’être. Le Colloque international Amath Dansokho de Dakar offre cette occasion durant trois jours, à l’université Cheikh Anta Diop.  

 

Plus de deux ans qu’Amath Dansokho a quitté ce monde. Mais ses combats, ses idées et surtout son héritage continuent à inspirer et inciter à la rencontre des peuples pour affronter des défis communs. A l’ancien ministre, secrétaire général, puis président du Parti de l’indépendance et du travail du Sénégal (PIT), le colloque international de Dakar a rendu hommage. Trois jours de réflexion (26, 27, 28 janvier 2022 à l’université Cheikh Anta Diop) entre acteurs et actrices politiques et sociaux, chercheurs d’Europe et d’Afrique, ont été dédiés à la mémoire de ce grand homme, figure majeure de la lutte pour l’indépendance, du communisme en Afrique et de la vie politique sénégalaise. Amath Dansokho fut à l’initiative des colloques internationaux de Dakar, organisés avec la fondation Gabriel Péri.

Qui de mieux placé que le secrétaire général du PIT, Samba Sy, pour rendre hommage à Amath Dansokho et à Michel Mazo, ancien Directeur de la fondation Gabriel Péri, décédé le 9 novembre 2021 ? Le ministre du Travail, du Dialogue social et des Relations avec les institutions a présidé la cérémonie d’ouverture, revenant sur la dimension de son défunt camarade de partie : ‘’Il était internationaliste, son combat étant celui de chaque opprimé de la planète ; ses victoires, celles de tous les hommes de progrès. C’est ce dessein partagé avec d’autres militants de mêmes causes qui a accouché du colloque international de Dakar.’’

Ce 6e colloque, après six années de pause, ambitionne d’identifier les enjeux socio-économiques, environnementaux, démocratiques, de sécurité et de coopération qui déterminent l’avenir commun entre l’Afrique et l’Europe. Mais aussi de débattre des alternatives permettant d’affronter les défis communs, tout en déterminant les luttes sociales et politiques en cours et les synergies à construire pour une solidarité internationale et une coopération effective entre les deux continents.

Pandémie de Covid-19

Il est arrivé tout de même quelques années en retard, reporté à chaque fois en raison de la pandémie de coronavirus qui secoue le monde depuis décembre 2019. La Covid-19 et ses multiples variants n’ont toujours pas été vaincus. C’est naturellement qu’elle s’impose comme un sujet majeur de cette édition. Comme l’a décrit Daniel Cirera, Secrétaire du Conseil scientifique de la fondation Gabriel Péri, l’intérêt que porte à chaque fois la préparation d’un colloque est de chercher à répondre à une question d’actualité : ‘’Aujourd’hui, la situation que nous vivons, dans sa violence, son caractère inattendu, nous amène à proposer des réponses à des questions exceptionnelles. La pandémie pose des questions existentielles sur la levée des brevets pour l’accès universel aux vaccins. Le dernier rapport du GIEC nous fait passer du développement durable à l’alerte sur le moment où des zones de la planète seront inhabitables.’’

D’ailleurs, ces questions sont au menu de l’une des quatre sessions thématiques, comprenant chacune plusieurs panels, lors desquelles interviennent les experts durant les trois jours de ce colloque. Cette séance est intitulée ‘’Le capitalisme néolibéral en échec face à la pandémie de Covid-19 et à la crise climatique : analyses et alternatives’’. La pré-analyse de Daniel Cirera, lors de cette séance d’ouverture, indique que ‘’rarement nous, tous les peuples du monde, avons été confrontés à ce sentiment que nos destins étaient liés. Rarement nous avons été confrontés de manière aussi urgente et aussi directe à la nécessité de sortir d’un système incapable d’apporter des réponses globales, humaines et efficaces aux crises que nous vivons’’.

Malgré les plans de relance économique, les mesures restrictives, les productions de vaccins, etc., la réponse apportée par le système libéral dans le monde n’a pas profité au plus grand nombre. Pour le directeur du Bureau Afrique de l’Ouest de la fondation Rosa Luxemburg, co-organisatrice de ce colloque, ‘’la Covid-19 n’a été que l’élément déclencheur.’’ Claus-Dieter König estime que ‘’bien avant décembre 2019, le monde vivait déjà plusieurs crises. La recherche de solutions aux problèmes de santé publique (lutte contre le diabète, le paludisme, l’obésité, etc.), de même que les crises climatiques n’ont pas été assez financées par les gouvernements’’.

Il en découle qu’avec la crise sanitaire, ‘’on voit que le possible est devenu nécessaire’’. Et cette nécessité signifie des réponses adéquates remettant en cause nos modes de vie. Mais aussi appelant ‘’une transformation d’une société qui ne sera plus basée sur l’exploitation des humains et des ressources naturelles. Nous devrons aller vers l’exploitation d’énergies renouvelables’’.

Prenant l’exemple de son pays, Claus-Dieter König déplore que malgré les beaux discours sur les efforts fournis par l’Allemagne dans la lutte contre le réchauffement climatique, tout ce qui risque d’impacter  l’industrie automobile n’est pas accepté par ce gouvernement.  

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CONSÉQUENCES DE LA PANDÉMIE DE COVID-19

Le néolibéralisme, l’ennemi commun des peuples africains et européens

Les mesures prises contre la crise multiforme générée par la pandémie, ont été analysées lors d’un panel, au 6e  Colloque international de Dakar Amath Dansokho qui se tient à l’université Cheikh Anta Diop.

S’il existe un enseignement que les 19 derniers mois ont appris au monde, c’est l’urgence de sortir des impasses du capitalisme néolibéral. Du moins, pour la plupart des populations. Car la pandémie de Covid-19 a été bien plus qu’une maladie difficile à se débarrasser. Elle est surtout l’élément catalyseur d’une crise multidimensionnelle qui secoue la planète, questionne ses habitudes de fonctionnement et met en exergue ses manquements autodestructeurs. L’approfondissement de ces réflexions ont été les sujets d’une ‘’analyse critique de la situation économique et des mesures prises face à la pandémie en Europe et en Afrique’’, à l’occasion d’un panel de la première session du Colloque international Amath Dansokho de Dakar : ‘’Le capitalisme néolibéral en échec face au Covid et à la crise climatique : Analyses et alternatives’’.

D’Afrique en Europe, les conséquences de la pandémie n’ont pas eu la même ampleur. Mais les enseignements sont les mêmes. Lorsque ses habitants se protégeaient derrière des masques, le monde a ôté le sien, se montrant dans sa vérité la plus crue : ‘’L’individualisme, la perte du sens de la solidarité et le repli sur soi, une compétition et un égoïsme sur les vaccins et sur les financements, les interdictions de voyage, etc.’’ L’énumération est du docteur en géographie de l’université Louis Pasteur de Strasbourg, Cheikh Guèye.

Pour le secrétaire permanent du Rapport alternatif sur l’Afrique (Rasa), panéliste, ce sont les obstacles à une prise en charge solidaire de la pandémie au bénéfice de toute l’humanité.

Ce but était-il même recherché ? Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Celui engendré par la pandémie a enrichi les plus riches et appauvrit les plus pauvres. La démonstration a été faite par le dernier rapport de l’ONG Oxfam, évoqué par le président de la fondation Gabriel Péri, Alain Obadia. Ce document révèle que la fortune des 10 milliardaires les plus riches du monde a doublé durant la pandémie, alors que dans le même temps, 160 millions de personnes sont tombées dans la pauvreté.   

La fortune des plus riches démultipliée durant la pandémie

L’enseignement à en tirer et qui a fédéré tous les intervenants de ce panel du colloque Amath Dansokho, est que la pandémie a démontré la faillite d’une politique néolibérale. En France, retient Obadia, elle a mis en lumière plusieurs phénomènes significatifs de la profondeur de la crise du système. ‘‘Elle a révélé la dégradation et la paupérisation du système hospitalier qui ont été sciemment organisées pour faire baisser les dépenses publiques. Le premier confinement a démontré que les professions essentielles à la vie de la population étaient les moins payées et les plus décriées. Que les services publics attaqués pour satisfaire l’appétit financier de grands groupes privés étaient vitaux (énergie, transport, pompier, etc.),’’ analyse-t-il.

La vie a ainsi démontré exactement l’inverse de ce que développait l’idéologie libérale depuis des décennies. De sorte que, relève le sociologue et économiste Heinz Bierbaum, la Commission européenne et les gouvernements se sont sentis obligés de suspendre des éléments de la politique d’austérité qu’ils ont mis en place comme le Pacte de croissance et de stabilité.

Pour le président du Parti de la gauche européenne, les conséquences socio-économiques et sanitaires de la Covid-19 sont la hausse du chômage, de la précarité et des prix, l’augmentation vertigineuse de la pauvreté, la dégradation des conditions de vie.

Le combat contre la pandémie nécessite ainsi un changement radical de la politique économique et sociale.  Il est évident qu’il faut repenser l’économie mondiale sur un modèle plus respectueux de l’humain et de l’environnement. Et cette crise ‘’doit être prise comme prétexte pour rompre avec le modèle économique néolibéral, comme une opportunité pour une nouvelle initiative pour la paix et le désarmement. Les dépenses militaires doivent être considérablement réduites au profit de la santé et de la satisfaction des besoins sociaux’’, retient Heinz Bierbaum.

Une crise financière est à craindre

Si le Parti de la gauche européenne supporte la campagne pour garantir un accès universel aux vaccins, les tenants du pouvoir font tout pour sauver un néolibéralisme que la pandémie a rendu plus vorace. Partout, des plans de relance économique sont appliqués afin de maintenir la marche actuelle du monde. Et ces derniers, souligne Alain Obadia, sont dangereux pour l’économie : ‘’Ils ne sont pas mobilisés sur des programmes de création d’emplois. Les montants gigantesques sont mis à la disposition des banques qui les mobilisent sur les opérations les plus rentables. L’argent coule à flots pour des placements qui rapporteront à des actionnaires, mais ne sera d’aucune utilité pour les populations ou leur seront néfastes.’’

Une des conséquences est qu’en 2021, le record annuel d’achat de sociétés dans le monde a été battu en un trimestre. ‘’Ce n’est pas par hasard si les principaux acteurs de ces transactions sont les principaux responsables de la crise financière de 2007-2008 (les banques Goldman Sachs, JP Morgan, Morgan Stanley, etc.). Nous risquons une crise financière au niveau mondial’’, ajoute l’ancien membre dirigeant du Parti communiste français.   

Et l’Afrique dans tout cela ? Pour Cheikh Guèye, les impératifs de la gestion de la pandémie ont une fois de plus mis en exergue les difficultés des pays africains dans leurs capacités à transformer la situation et à garantir le bien-être du plus grand nombre de leurs populations. Ces derniers sont ancrés dans des règles et principes du droit international qu’ils ont du mal à maîtriser, alors que les firmes transnationales les transgressent avec la complicité des élites politiques. Ce qui rend les stratégies africaines pas toujours lisibles, si tentées qu’elles soient définies.   

Lamine Diouf

 

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