Publié le 23 Oct 2012 - 08:05
CONTRIBUTION

A Maître Augustin Senghor

Photo, Google

 

 

Je ne connais pas assez Maître Augustin Senghor. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est un avocat. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est maire de la commune de Gorée. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il est président de la Fédération Sénégalaise de Football (FSF) depuis quelques années. Mais c’est quelqu’un que je respecte beaucoup, c’est un homme que j’estime beaucoup.

Mais justement cher Maître, c’est parce que vous êtes président de la FSF que je vous interpelle, à travers cette lettre, pour vous dire ce que je pense du football sénégalais que vous gérez mais qui ne vous appartient pas. Je vous écris parce que je suis sénégalais, parmi tant d’autres d’ailleurs, et que j’ai un droit de regard sur la gestion de ce pays, y compris de son football. Et je vous interpelle pour situer les responsabilités, je vous interpelle pour tirer les leçons d’une défaite.

Depuis que vous êtes là, suite à une crise aigue du football sénégalais, nous avons connu deux débâcles (l’élimination de Bata et celle de la CAN 2013), preuves que la crise persiste encore et toujours. Les sénégalais adorent le football. Les sénégalais s’intéressent au football. Et j’ose même dire qu’au Sénégal, le football est une religion. Et les club populaires de « Navétanes » ne me démentirons pas.

Cher Maître, je m’adresse à vous parce que nous sortons d’une défaite sanglante qui nous a éliminé de la CAN 2013, et du coup a fait écrouler un espoir immense mais peut-être de trop. Cher Maître, je vous interpelle non pas pour pleurer sur le sort du football sénégalais mais pour situer les responsabilités d’une défaite, je dirai même d’un échec. Cher Maître, permettez-moi, avant d’en venir aux responsabilités à situer et aux leçons à tirer, de constater brièvement quelques attitudes qui rendent malade le sport sénégalais en général et notre football en particulier.

 

«Nous voulons construire un football compétitif avec du sable mouvant»

Nous ne pouvons pas construire quelque chose de solide dans la précipitation, dans l’improvisation et le tâtonnement. Nous voulons construire quelque chose de solide non pas avec du ciment, du béton et du fer, mais avec de belles paroles, avec de l’auto-glorification. Nous voulons construire un football compétitif avec du « sable mouvant », c’est-à-dire des instances éphémères et des équipes constamment renouvelées. Nous voulons avoir un football de haut niveau avec une guéguerre interne fratricide sans précédent (tantôt entre ministère et fédération, tantôt entre fédération et entraîneurs, tantôt entre fédéraux eu-mêmes). Nous voulons construire un bon football avec un amateurisme... professionnel. Non, arrêtons ! Ce ne sera pas possible...

Nous changeons de fédération comme nous changeons d’habits. Nous changeons d’entraîneurs comme on change de temps. Et nous changeons de joueurs comme on change de roue d’un véhicule. Aucune grande œuvre humaine ne s’est réalisée sans sacrifice mais surtout sans constance et durée.

Au Sénégal, où le discours est la chose la mieux servie, chacun se positionne en connaisseur du football, chacun s’érige en entraîneur, en expert du sport-roi. Tout le monde donne son avis. Certes nous sommes tous des supporters de l’équipe nationale de football, mais nous ne saurons tous gérer ensemble le football sénégalais. C’est pourquoi d’ailleurs nous avons des dirigeants.

Cher Maître, c’est justement parce que nous avons des dirigeants que je vous interpelle en tant que président de la Fédération Sénégalaise de Football. C’est justement parce que nous sortons d’une défaite que je m’adresse à vous. C’est justement parce que vous avez fait une sortie décevante (conférence de presse) au lendemain de l’élimination des lions de la CAN 2013 que je voudrais vous inviter à vous ressaisir.

 

«Accuser El Hadj Diouf ? Trop facile !»

Cher Maître, certes on ne peut pas sauter par dessus son temps, sa société, mais ce n’est pas une telle réaction que j’attendais de vous. Je ne suis pas là pour défendre El Hadji Diouf, je sais le faire, mais ce n’est pas l’objet de cette adresse, mais c’est aberration (et le mot n’est pas fort) que d’accuser le double «ballon d’or» africain comme étant l’instigateur (provocateur) du comportement du 12éme Gaïndé le 13 octobre dernier au Stade Léopold Sédar Senghor. C’est trop facile comme argument à brandir et, à la limite même malhonnête. Comment El Hadji Diouf peut-il manigancer tout cela comme si nous avions prévu cette défaite ? Si tel est le cas, reconnaissez à l’enfant de Balacos qu’il est un grand porteur de voix, un véritable directeur de consciences. Qu’est-ce qui a incité le peuple sénégalais à faire une mobilisation exceptionnelle pour pousser les lions à renverser la tendance, à bouleverser la hiérarchie ? Ne savions-nous pas que nous avons affaire au plus gros morceau du football africain  en ce moment? Qu’est-ce qui a précipité la nomination de Joseph Koto au poste d’entraîneur de l’équipe nationale A?

L’utopie est merveilleuse et a des valeurs curatives. Elle permet d’avoir une santé mentale, morale et spirituelle en nourrissant l’espoir des humains mais celle-là est éphémère. Et l’utopie se fait rattraper toujours par la réalité. Et celle-ci est autrement qu’on ne la supposait.

Depuis la fameuse épopée de 2002 (avec un statut de finaliste de la CAN et de quart de finaliste de la coupe du monde), nous n’avons plus connu une stabilité dans notre banc de touche, dans notre sélection nationale et dans notre fédération de football. Certes nous sommes tous des nostalgiques de 2002, mais c’est une histoire qui ne se répétera que par le travail bien fait, la planification, la gestion efficace et professionnelle de notre football mais surtout par l’union des cœurs et des esprits.

Situer les responsabilités de cet échec, cher Maître, reviendra à remettre de l’ordre dans nos rangs et à remettre tout le monde au travail.

 

«Plus bas que le résultat !»

Tirer les leçons de cette défaite reviendra à préserver l’équipe nationale de l’inconstance dont elle est victime depuis près d’une dizaine d’années dans sa gestion.

Tirer les leçons de cette défaite reviendra à accepter, avec beaucoup d’humilité, la défaite administrée par le plus fort que soi

Tirer les leçons d’une défaite signifiera situer, avec beaucoup de sérieux et d’objectivité, toute la chaîne de responsabilité depuis les administratifs jusqu’aux supporters en passant par le coach et les joueurs.

C’est mieux que de chercher à accuser son chien de rage dans le but simplement de le noyer. C’est mieux que de produire un discours honteux, irresponsable et non constructif à l’égard d’un problème qui demandes des solutions plus que sérieuses.

Cher Maître, avec tout le respect que je vous dois, avec tout l’estime que je vous porte, vous avez été plus bas que le résultat que nous avons obtenu à l’issue de cette confrontation sans esprit de fair-play du public sénégalais, las de supporter en vain une équipe qui ne gagne pas. Vivement que nous nous ressaisissons au grand bonheur du football sénégalais ! Vivement que nous nous remettons au travail pour rattraper les autres parce qu’ils nous ont laissé tout à fait derrière ! Car véritablement seul le travail paie.

 

NGOR DIENG, PHILOSOPHE

Psychologue conseiller

 

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