Publié le 27 Oct 2021 - 00:12
CRIMES INTERNATIONAUX EN AFRIQUE

Les juridictions nationales invitées à reprendre la main

 

La capitale sénégalaise accueille, depuis hier, une conférence internationale ayant pour thème ‘’Justice pour les crimes internationaux : enjeux et stratégies en Afrique de l’Ouest et ailleurs’’. Les spécialistes internationaux préconisent un renforcement des justices nationales. Durant deux jours, l’avenir de la justice internationale en Afrique sera au centre des débats.

 

L’Afrique a connu plusieurs innovations dans le domaine de la lutte contre l’impunité. Mais malgré les avancées majeures réalisées, nombreux sont ces victimes et survivants qui attendent encore que justice soit rendue. Hier, des experts des Nations Unies, de l’Union africaine, de la Cour pénale internationale, des Chambres africaines extraordinaires au Sénégal, du Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux, du Mécanisme international, impartial et indépendant sur la Syrie (IIIM), de la société civile et de gouvernements se sont donné rendez-vous pour débattre des enjeux et du futur de la justice internationale en Afrique. Une conférence organisée par la fondation Wayamo et la fondation Konrad Adenauer.

De l’avis de l’ancienne procureure à la Cour pénale internationale, invitée d’honneur de la conférence, il demeure un manque d’éducation des populations africaines quant au fonctionnement de la CPI. ‘’Les populations, explique Fatou Bensouda, jettent souvent l’opprobre sur la CPI et confondent les crimes qui entrent dans le cadre de sa mission. La CPI s’intéresse aux crimes graves qui ont choqué la conscience internationale. Il s’agit du génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité. Aussi, la Cour pénale n’est pas une cour de première instance. Il faut que les juridictions nationales aient les compétences nécessaires pour prendre en charge certains dossiers sans attendre la CPI. L’enjeu, c’est d’établir une bonne collaboration entre la Cour pénale et les juridictions nationales, afin de lutter efficacement contre l’impunité’’.

Au niveau national, les spécialistes de la question plaident pour un renforcement des institutions judiciaires, afin qu’elles maîtrisent les contours des crimes internationaux. Les enquêtes et poursuites engagées par les autorités nationales, selon la secrétaire générale du ministère de la Justice, doivent être ’’indépendantes, impartiales et conformes aux normes du droit international, des Droits de l’homme et du droit international pénal". Surtout qu’en signant le Statut de Rome, la communauté internationale y compris les États africains, notamment ceux de l’Afrique de l’Ouest, ont fait le choix d’accorder la primauté aux juridictions nationales.

En effet, selon le principe de complémentarité dudit statut, les autorités nationales demeurent, au premier chef, compétentes pour mener une enquête et poursuivre les auteurs des crimes internationaux fondamentaux. En principe, la CPI est uniquement compétente si un État n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites. Ainsi, ce choix de primauté, insiste Aissa Gassama Tall, doit être rigoureusement assumé par les États africains et non être utilisé comme ‘’un instinct mal placé de conservation du principe de la souveraineté des États’’.

Des systèmes judiciaires nationaux encore vulnérables

Partant du fait que la CPI est très active dans la sous-région, notamment au Mali et en Côte d’Ivoire avec des enquêtes, sans oublier une situation en cours d’examen préliminaire pour le cas de la Guinée et la situation au Nigeria où l’examen préliminaire est bouclé, la secrétaire générale du ministère de la Justice émet un diagnostic peu reluisant. ‘’Toutes ces affaires en cours sont des exemples symptomatiques de la vulnérabilité de nos systèmes judiciaires ou des difficultés que rencontrent nos États pour prendre en charge convenablement des problématiques inhérentes aux violations graves du droit humanitaire. Nos États doivent jouer pleinement leur rôle, pour que la justice soit rendue par les Africains pour les crimes qui sont commis sur leur territoire, fussent-ils des crimes internationaux’’.

Pour arriver à un tel résultat, elle préconise un système judiciaire permanent à même de répondre aux exigences des instruments internationaux en matière de procès équitable. "C’est seulement à ce prix que nous pourrons, urbi et orbi, clamer haut et fort justice internationale pour les crimes internationaux en Afrique de l’Ouest et au-delà’’, renchérit la magistrate.

L’objectif de cette rencontre de deux jours est de trouver des synergies meilleures entre la justice nationale et celle internationale. Et les experts de la justice internationale s’accordent sur le fait qu’une justice nationale compétente est plus que nécessaire pour rendre justice à des victimes. C’est le cas du secrétaire général adjoint des Nations Unies. ‘’La justice reste un long processus. Le procès d’Hissène Habré a été l’un des grands points forts des expériences de la justice internationale, parce que c’est une initiative couronnée de succès. A titre personnel, je pense que la justice sera mieux rendue près des communautés affectées, à savoir la communauté des auteurs et la communauté des victimes. Donc, je suis absolument pour des solutions nationales. La justice internationale intervient uniquement quand la justice nationale ne fait pas son travail. Certes, la situation n’est pas parfaite aujourd’hui, mais il faut avoir la volonté politique nationale et régionale pour voir la justice fonctionner’’, soutient Serge Brammertz, également Procureur du mécanisme international chargé d'exercer les fonctions résiduelles des tribunaux pénaux. 

EMMANUELLA MARAME FAYE

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