Publié le 15 May 2013 - 20:05
CRISE AUX AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Les politiques face à la carrière des diplomates

La fronde des conseillers et chanceliers du ministère des Affaires étrangères, lancée par le «communiqué conjoint» publié par les deux «syndicats» à l'interne, puis amplifiée par la réplique du ministre de tutelle, repose au fond la légitimité d'une réalité politique qui donne les pleins pouvoirs de nomination au président de la République, avec tous les risques de politisation et de copinage attachés à cette largesse.

 

Domaine de souveraineté pour l'Etat et pour le président de la République, la diplomatie sénégalaise est secouée par une «crise» interne. Plus précisément par une fronde menée par deux entités que sont l’Union des conseillers des Affaires étrangères du Sénégal (Ucaes) et l’Amicale des chanceliers des Affaires étrangères du Sénégal (Acaes) qui dénoncent des «nominations et affectations politiciennes» cumulées à une mauvaise gestion des carrières des diplomates.

 

Des critiques que le ministre des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, a rejetées en bloc à travers une sortie massive dans la presse quotidienne d'hier. «Que l’on me cite un seul cas arbitraire... Le ministère, c’est un tout. Il y a au ministère des Affaires étrangères des administrateurs civils qui y ont fait toute leur carrière. S’il s’agit de promouvoir des gens, il faut qu’ils soient également promus. Il n’y a aucune discrimination dans les nominations» Selon le chef de la diplomatie sénégalaise, «aujourd’hui, tous les diplomates de carrière qui remplissent les conditions pour être portés à des postes de responsabilités l’ont été». En outre, a poursuivi Mankeur Ndiaye, «il y a des étapes à suivre. On ne peut pas sortir de l'école (ENA) et vouloir être tout de suite premier conseiller (…) Il faut être patient dans la diplomatie».

 

Cette polémique soulève en fait le débat sur le plan de carrière des diplomates de manière générale. Quelle est (en principe) la voie obligée d’un diplomate pour être promu ? Un «étranger» au corps peut-il être nommé dans les représentations diplomatiques ? Un ancien diplomate, s'exprimant pour EnQuête sous le sceau de l'anonymat, explique : «Entre la première et deuxième année (à l’Ecole nationale d’administration), l’étudiant fait des stages au niveau des institutions publiques. Il va soit au ministère (des Affaires étrangères), soit au Secrétariat général du gouvernement, ou dans un autre service.» Puis il poursuit sa démonstration : «Ensuite, il fait l’Administration territoriale en commençant par les régions avec stage chez le gouverneur.»

 

A cette étape de la formation, l’étudiant «traite des problèmes de développement et des problèmes de commandement» territorial pour mieux s’imprégner de la mission qui l’attend. Puis il descend au niveau de la préfecture où «il arrive même qu'il remplace l’adjoint au préfet» avant d’atterrir à la sous-préfecture où il «rédige un mémoire». Car, «pour représenter un pays, il fait le connaître». «A l’époque, se souvient l’ancien diplomate, nous avions par exemple des cours d’économie arachidière parce que la ressource principale était l’arachide, en plus des cours sur l’histoire du Sénégal, la géographie, les statistiques».

 

«Il vaut mieux prendre les escaliers que les ascenseurs »

 

Une fois cette étape franchie, le diplomate «bleu» est envoyé à un autre niveau de stage, dans des ambassades comme celle de Paris et auprès d’organisations internationales. L'idée est de lui permettre «d'accompagner les dossiers économiques et commerciaux». C’est dans ce cadre-là que notre interlocuteur s’est rendu en Allemagne, précisément au ministère de la Coopération, puis à Bruxelles, au siège de l’Union européenne (UE). «On vous apprend, par exemple, comment introduire un produit dans un marché, une amorce d’étude de marché. Il nous est arrivé d’exercer les fonctions de conseiller économique», explique-t-il.

 

Ce n’est pas tout. «L'étudiant est envoyé également dans les Chambres de commerce et d’industrie où il doit faire des exposés. En plus, quand il y a des négociations liées à une remise de dette pour le pays, on l'implique en compagnie du directeur des Investissements». Cet itinéraire a pour objectif fondamental de permettre au diplomate en formation l'acquisition d'une «formation plurielle», d'une expérience et d'une expertise indiscutables, indique notre source.

 

Sans vouloir se prononcer sur ce «problème sensible» qui oppose les diplomates regroupés dans l'Ucaes et l'Acaes à leur tutelle, l'interlocuteur d'EnQuête estime qu'il ne sert à rien de se précipiter pour occuper des postes d’ambassadeurs. Il recommande plutôt l’humilité. «Il vaut mieux prendre les escaliers que les ascenseurs», conseille-t-il. «A chaque palier, tu apprends quelque chose. Il ne suffit pas d’avoir le diplôme et de dire : je suis diplomate. Il faut se demander : que puis-je faire ? Et cela, il faut l’apprendre.»

 

«Pour la promotion, les diplomates de carrière d'abord»

 

Prenant exemple sur lui-même, il dit : «Lorsque nous étions dans les ambassades, on nous apprenait à instruire une demande de visa, et nous allions au bureau du courrier». Mais «cela ne veut pas dire qu'on doive obligatoirement vous confier certaines fonctions», précise-t-il, même si cela reste une revendication légitime.

 

Pour cet ex-haut fonctionnaire ayant bourlingué un peu partout à travers le monde, un principe immuable s'impose relativement à cette affaire-ci. «Quand quelqu’un fait tout ce parcours, il mérite d’être promu». Mais c'est ensuite pour reconnaître que les réalités ont également radicalement changé. «Ce que la génération de hauts fonctionnaires d’il y a 20 ans acceptait, la nouvelle vague ne le tolère plus.» Cela veut dire à ses yeux ceci : «Avant de promouvoir qui que ce soit, on doit d‘abord penser aux diplomates de carrière». Non sans lancer cette suggestion à ses «cadets» : «Ce que l’on peut régler à l’interne, il faut essayer de le faire à l’interne.»

 

DAOUDA GBAYA

 

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