Publié le 16 Nov 2012 - 10:45
DÉCORATION DU PREMIER MINISTRE PAR LA FRANCE

Abdoul Mbaye, une carte française ; Normand, le diplomate d'ingérence

Image, APS

 

En pleins débats publics sur l'éthique fragile du Premier ministre sénégalais, le diplomate d'ingérence Nicolas Normand décore Abdoul Mbaye au nom de la République française. Un acte politique qui vaut soutien public en même temps qu'ingérence flagrante dans les affaires intérieures sénégalaises. Le pouvoir ne dira rien, mais il serait important qu'une certaine opposition lave l'affront ainsi infligé à la souveraineté des citoyens sénégalais.

 

 

Il est de réalité que la France ne décore jamais ses ennemis, réels ou potentiels. Quand son Haut représentant au Sénégal se donne la peine d'organiser une cérémonie en l'honneur du Premier ministre de notre pays, on suppose qu'il y a de fortes chances alors qu'Abdoul Mbaye soit un «ami» de la France, pour ne pas dire un sujet français. Et qui sait d'ailleurs, d'autant plus que celui qui a été élevé à la dignité de Grand Croix de l'ordre national du mérite français serait un homme à la «double culture européenne et africaine». Le concept de double nationalité française et sénégalaise ne serait-il pas plus simple à retenir ? Bref, c'était la cuisine des amis et des réseaux d'entretien...

 

 

Plus sûrement, et sans doute plus grave, nous retiendrons de l'ambassadeur de France à Dakar ces paroles d'encouragement adressées au Premier ministre : «Ne vous laissez pas distraire de la tâche qui est la vôtre». Offensantes et irrespectueuses, elles le sont à l'endroit de centaines de milliers de Sénégalais qui, sur la base de leur citoyenneté et de leur appartenance à la communauté nationale sénégalaise, estiment que celui qui est à la tête du gouvernement sénégalais n'est plus en mesure de le rester pour une simple question : le manque d'éthique. En cela, Nicolas Normand exerce ainsi de fait (et de droit ?) une ingérence inacceptable dans la vie politique sénégalaise que tous les démocrates de ce pays devraient relever et dénoncer. Comment accepter qu'un diplomate français puisse à ce point, et avec autant d'irresponsabilité que de légèreté, émettre un tel jugement dans son pays d'accréditation, et en public en plus ?

 

 

Cet acte politique posé par le chef de la mission diplomatique française aurait pu être excusé et banalisé au vu de ce que l'on est en mesure de penser de M. Normand dont on n'oubliera jamais les conditions sulfureuses dans lesquelles l'ex-président Abdoulaye Wade est allé le «suggérer» à Nicolas Sarkozy après avoir obtenu la tête de l'incontrôlable Jean-Christophe Rufin. Mais Normand est, pour reprendre un volubile affairiste local soutien d'Abdoul Mbaye, «des faits coutumiers» (pour dire coutumier des faits). C'est ce manque de retenue et cette tendance à l'ingérence chez ce diplomate de circonstance qui ont sans doute incité Nicolas Sarkozy à le virer de son poste de Brazzaville sur insistance des autorités congolaises. Aujourd'hui, alors que le siège d'Abdoul Mbaye vacille parce qu'à un moment donné l'argent n'a pas eu d'odeur pour ce banquier devenu Premier ministre on ne sait trop comment, Nicolas Normand semble vouloir donner un signal à la plus haute autorité sénégalaise.

 

 

Son geste n'est pas banal : lorsqu'un diplomate s'exprime avec autant d'assurance pour encourager un homme politique (du pouvoir ou de l'opposition) dans son pays d'accréditation, il porte forcément la voix de son pays. En cela, Normand semble avoir livré la position de la France sur le cas Abdoul Mbaye : un soutient total au chef du gouvernement sénégalais dans ses contradictions actuelles avec la transparence, l'éthique et la bonne gouvernance. Le message de la France pourrait être libellé diplomatiquement en ces termes : «Impératif : maintien A.M. à son poste. Intéressant pour les intérêts de la France. Bon allié.» Un jour peut-être, un câble wikileaks dévoilera la réalité diplomatique sur cette affaire.

 

 

En alertant sur les «commentaires» que susciterait cette distinction française à son égard, le Premier ministre aurait voulu prendre les devants dans une stratégie de dérision : c'est lui qui a fini par lâcher les vocables sataniques : «néo-colonialisme français» ! Ce sera finalement sans...commentaire. Il n'empêche qu'il dispose déjà d'alliés (plutôt affairistes) qui font le serment de lui laver un honneur bien terni. Un commerçant qui a fait doublement la prison pour fraudes douanières manifestes, un imprimeur pris en flagrant délit d'impression clandestine de bulletins électoraux au profit du Pds lors de la dernière élection présidentielle de février-mars, et un businessman qui fait partie de son cercle d'obligés. Voilà quelques-uns des vertueux qui affichent leur soutien à Abdoul Mbaye. De la bonne référence, c'est certain, surtout lorsqu'on part du principe : «Ceux qui se ressemblent s'assemblent.»

 

 

Face à cette agression contre la souveraineté des citoyens sénégalais, que peut-on attendre d'une certaine classe politique ? Difficile d'espérer une quelconque réaction du pouvoir central alors que la France s'est rapidement positionnée comme une alliée incontournable qui a pourvu aux besoins financiers d'urgence du régime ayant succédé au clan des Wade. De Benno Bokk Yaakaar ? Cette coalition qui tend à s'incruster dans le pouvoir par auto-neutralisation ne donne pas l'impression de pouvoir ramer à contre-courant du président de la République que si elle recourt à de jeunes supplétifs transformés en guérilleros politiques. Pourtant, c'est ce même groupe politique qui, hier encore, s'enflammait contre le même Nicolas Normand parce qu'il défendait la fameuse candidature d'Abdoulaye Wade à la dernière élection présidentielle. La roue de l'histoire a tourné, les résolutions avec...

 

Aujourd'hui, force est de reconnaître que le cas d'un Premier ministre qui a joué au blanchisseur de sommes d'argent manifestement volées des coffres-forts d'un pays en guerre, au profit d'un présumé criminel, ne pourra pas être passé par pertes et profits. L'argent peut bien ne pas avoir d'odeur, mais la transparence et l'éthique, elles, se sentent de loin. Pas besoin d'être bardé de diplômes pour le savoir. Et encore... Ce Premier ministre-là, bombe ambulante, il sera dur de le laisser travailler. Sa place est ailleurs.

 

 

MOMAR DIENG

 

 

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