Publié le 17 Mar 2016 - 22:44
DECADENCE DU TOURISME A DIEMBERENG

Quand la carte postale se fane 

 

A Diembéreng, village de Casamance plantée au milieu d’une nature généreuse, une jeunesse, frappée par la crise du tourisme, tente de se réinventer un avenir dans une économie complètement extravertie. Reportage.

 

En taxi brousse, on rallie facilement Diembéreng. Située à 60 km de Ziguinchor, la nouvelle  commune englobe la station balnéaire de Cap Skirring, située à un vol d’oiseau. Le nom sonne comme un appel à l’évasion. Immortalisé par le chanteur Metzo Djatah, encensé par les guides touristiques, Diembéring respire le parfum exotique de ces villages de la basse Casamance perdus dans les feuillages des fromagers et bercés par les bolongs. Une carte postale n’a jamais été aussi proche de la réalité.

C’est une zone qui vit essentiellement de tourisme. C’est le premier employeur devant l’agriculture et la pêche. “Il procure plus de 50% des emplois”, assure Alioune Diagne, adjoint au maire de cette jeune commune. Le revers du décor est beaucoup moins enchanteur. Les difficultés que connaît le secteur du tourisme touchent plus durement les jeunes de Diembéring. Loin des clichés habituels qui les décrivent comme des partisans de la facilité,  cultivant des abdos sur les plages de sable blanc, tout en lorgnant sur les vieilles toubabs, les jeunes de cette localité cherchent des voies pour sortir de l’impasse.

Voix fluette, regard vif, Bassirou Sonko, 26 ans, est électricien à l’origine. Attiré par les sirènes du tourisme, il a quitté son Bignona natal pour Diembéring. Dans la foulée, il embrasse le métier d’artiste percussionniste et joue en orchestre le soir dans les hôtels de Cap Skirring. “Je gagnais au maximum 300 mille Fcfa par soirée, mais ça dépend des programmes”, dit Bassirou.

Aujourd’hui, cet artiste doit faire face à la dure réalité du quotidien. “Je dois envoyer de l’argent à mes parents restés à Bignona”. Après deux tentatives ratées de se faire enrôler dans l’armée, il est retourné à son métier d’origine et veut passer son diplôme professionnel en électricité.

Les aléas du tourisme

Avec son frère, Alphonse Diatta a ouvert une petite cabane sur la baie de Boucott, petit quartier de Diembéring. A la belle saison, ils vendent des langoustes et du poisson grillé à des touristes friands de nourritures exotiques. Pour démarrer leur business, les deux frères Diatta avaient bénéficié d’un prêt de leur maman. “Cela nous avait permis d’aménager la cabane, d’acheter des couverts, des assiettes et des nappes, etc.” Les affaires marchaient bien et ils ont très vite remboursé le prêt maternel.

Alphonse évoque, avec une once de nostalgie dans la voix, les années où il pouvait recevoir une cinquantaine de touristes dans sa cabane. “On était obligé de sortir les tables sur la plage ; une tête de langouste peut coûter jusqu’à 10 mille  F CFA, mais là, ça fait deux jours que je n’ai pas vu de clients”, évoque-t-il. En attendant des jours meilleurs, Alphonse Diatta vit encore chez sa tante à Boucott. Son rêve immédiat est de “monter sur Dakar” pour suivre une formation en hôtellerie.

Allure sportive, Marcel, 25 ans, essaie lui aussi, à sa manière, d’esquiver les aléas du tourisme. Il est le président de l’organisation de la jeunesse de Soumbédioune, quartier de Diembéring. Actif dans les mouvements sportifs, Marcel cumule deux jobs. Il est cuisinier et en même temps chauffeur d’un minibus. “Je conduis pour des toubabs et c’est sur réservation. Et mes revenus dépendent des clients. Quand les affaires marchent bien, je gagne  au minimum  2 500 F CFA par jour. Maintenant, on peut rester des semaines sans voir de client.”

Face à la crise, Marcel a sa stratégie de survie : “Je vais voir dans les chantiers pour trouver du boulot, ou je travaille comme jardinier, ou je nettoie les résidences. Si  tu veux vraiment, il y  a des choses à faire à Soumbédioune’’, dit ce jeune homme animé par un sens aigu de la débrouillardise.

Paradoxe : malgré l’énorme potentialité de la région, l’agriculture n’est qu’une activité subsidiaire chez les jeunes, un tremplin en attendant de trouver mieux. Agent chargé de développement à la commune de Diembéring, Léopold Badiane, quadra longiligne, pointe du doigt les effets pervers du système. “Le club Med n’achète que 10% des produits agricoles sur place, car le marché local n’est pas bien pourvu. Les jeunes abandonnent l’agriculture pour des jobs précaires et aléatoires dans les hôtels et gagnent 50 mille francs CFA par mois.”

Pour sortir d’une économie vampirisée par le tourisme, la solution est souvent d’explorer d’autres horizons. Diplômée en cuisine, Marthe Sambou, 35 ans, jolie dame, les fossettes imprimées en virgule sur les joues, a très vite compris qu’elle ne ferait pas fortune près des  fourneaux des  hôtels. Divorcée, mère d’une fille de 12 ans, elle dit : “Je ne dépends pas de la cuisine pour vivre. Je veux faire autre chose et travailler à mon compte. Même si pour le moment je ne gagne pas beaucoup.” Lassée par les conditions de travail désastreuses dans les hôtels, (‘’il y a beaucoup de femmes dans les hôtels et qui ne savent pas écrire leur nom, et elles se contentent de faire le linge toute leur vie”), Marthe a pris ses distances avec le monde du tourisme. Elle a investi ses maigres économies dans le commerce. “Je reviens du Maroc, dit-elle, avec  des marchandises et j’y ai fait deux mois …Si j’ai quelqu’un qui m’aide, je sais que je vais travailler beaucoup mieux.”

Une aide qu’elle n’arrive pas encore à trouver, comme le reste de la population d’ailleurs. Ainsi, à l’ombre des palmeraies, c’est tout Diembéring qui se languit des beaux jours…

Abdou Rahmane MBENGUE

 

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