Publié le 9 Nov 2016 - 01:13
DOCTEUR CHEIKH ATAB BADJI, GYNECOLOGUE OBSTETRICIEN

‘’La majeure partie est sans cause précise connue’’

 

Elles sont très difficiles à gérer et à comprendre. Dans cet entretien, le gynécologue obstétricien, Dr Cheikh Atab Badji, explique les différents types de dysménorrhées, leurs manifestations et les médicaments à prendre pour ces règles douloureuses dont les causes ne sont pas connues pour la majeure partie.

 

Quelles sont les causes des règles douloureuses?

Les règles douloureuses constituent un motif assez fréquent de consultation, allant de l'automédication médicamenteuse ou "petites recettes" sur recommandations, conseil, à l'officine, consultation générale ou spécialisée. Il s'agit d'une situation socialement invalidante, gênant souvent l'activité professionnelle ou sociale de l'individu. Elles constituent un motif d'absence (responsable d'absentéisme chez en moyenne 10% des jeunes filles et des jeunes femmes), mais aussi de baisse de rendement professionnel, par le caractère invalidant de la douleur.

Ce qui pose, au-delà du problème biologique, un problème économique. Cependant, en dépit du caractère invalidant, la majeure partie est sans cause précise connue. Communément appelées "règles douloureuses", les dysménorrhées traduisent essentiellement les douleurs pelviennes, c'est-à-dire du bas-ventre, qui se manifestent au cours de la survenue des règles ou plutôt qui en sont liées. Elles obéissent à deux grandes catégories : les dysménorrhées dites Primaires auxquelles on n'identifie pas une cause organique précise, et les dysménorrhées Secondaires, qui sont justement secondaires à une affection organique précise.

En termes triviaux, par "organique", il faut entendre que c'est tel organe qui est malade dans son anatomie et qui explique la douleur constatée, ce qui est différent des problèmes de simple  fonctionnement (on parle  de "fonctionnel" dans ces cas). Ainsi, dans la première catégorie, on ne peut pas dire de façon formelle que c'est ceci qui explique la douleur constatée, même si au niveau scientifique, plusieurs théories tentent d'en expliquer le mécanisme. Quant aux dysménorrhées secondaires, elles obéissent à des causes comme l'endométriose, des lésions du col de l'utérus, des malformations organiques empêchant la sortie du sang des règles, des séquelles d'infection génitale.

Il existe combien de dysménorrhées ?

On distingue deux grands groupes, les dysménorrhées primaires (sans cause organique connue, survenant en général chez la jeune fille et qui disparaissent après l'accouchement). La dysménorrhée secondaire qui est la conséquence d'une affection organique. En général, ce dernier cas survient chez une femme qui n'a jamais eu auparavant de règles douloureuses.  Cependant, selon la période de survenue des douleurs, on peut distinguer des cas où la douleur survient 12 à 24 heures avant les règles et disparaissent dès que le sang s'écoule de façon franche. Il y a des cas où la douleur devient intense, dès le premier jour, et s'atténue progressivement et enfin, des cas où la douleur s'installe tardivement, au deuxième ou troisième jour des règles. 

Peut-on s’en inquiéter?

Non, si une consultation menée à cette fin n'objective aucune affection organique sous-jacente. Il est aussi important de rassurer l'entourage sur le caractère bénin de la douleur. Toutefois, chez la fille, ce motif de consultation constitue en général le premier contact avec le gynécologue. C'est dire une bonne occasion déjà d'instruire la jeune patiente à une meilleure gestion de sa santé génitale, notamment la maîtrise de son cycle, de son ovulation, des situations à risque génital comme la gravité de la négligence des pertes vaginales, l'autopalpation des seins, entre autres.

Pourquoi cela se manifeste chez certaines femmes et pas chez d’autres ?

Même si elle est assez fréquente, elle n'affecte pas effectivement  toutes les femmes. Ainsi va la vie. Les personnes ou plutôt les organismes n'ont pas toujours les mêmes réponses aux mêmes situations ; les dispositions personnelles expliquant cela, en plus de la répartition aléatoire des phénomènes dans l’espèce humaine.

Sont-elles héréditaires?

Il est important de préciser la notion d'hérédité. En effet, on dit qu'une affection est héréditaire si elle se transmet de parent à enfant. Autrement dit, on retrouve chez l'enfant une affection présente, avec ou sans manifestation clinique, chez l'un ou les deux parents et que cette présence chez l'enfant lui a été bel et bien transmis par le géniteur par l'intermédiaire des gènes. Mais ce n'est pas parce qu'une affection présentée par le parent est retrouvée chez l'enfant qu'on parle automatiquement d'hérédité. Pour le cas de la dysménorrhée, nous n'avons pas connaissance d'une étude scientifique sérieuse démontrant de façon formelle la note héréditaire. Toutefois, par rapport aux notions ci-dessus mentionnées, la survenue de ce phénomène a bien des chances d'être notées plusieurs fois au sein d'une même famille, sans que cela ne signifie forcément héréditaire. Ce, d'autant plus que la cause est souvent méconnue.

Quand faut-il consulter?

La décision d'aller consulter peut s'imposer d'emblée, pour écarter toute cause organique sous-jacente. Elle peut s'imposer secondairement en cas de douleur insupportable, désobligeante pour la patiente et son entourage. Elle peut également s'imposer chez une femme qui continue de souffrir pendant ses règles, après un premier accouchement. Elle peut également être motivée chez une femme qui souffre de dysménorrhée, alors qu'elle n'a jamais connu de tels phénomènes douloureux pendant sa vie génitale. Ainsi, il est important pour la femme qui présente des règles douloureuses d'aller consulter le gynécologue pour s'assurer que ces douleurs ne relèvent pas d'une autre cause organique. Ce bilan d'exploration initiale fait, et en l'absence de signe de gravité, permet de rassurer la femme. On pourrait lui conseiller d'essayer de gérer la douleur avec les antalgiques et certains petits remèdes personnels. Toutefois, en cas de douleur inhabituelle, la consultation peut toujours s'imposer pour voir s’il n'y a pas entre-temps une autre affection sous-jacente qui explique ce caractère anormal.

Comment prévenir les dysménorrhées?

Dès lors que le mécanisme causal n'est pas entièrement cerné, il est difficile de parler de prévention. La prévention chez une femme connue d'épisodes réguliers de dysménorrhées va surtout consister à prendre les médicaments genre antispasmodique, dès les premiers signes de survenue des règles en vue d'éviter ou d'atténuer la grande douleur invalidante. Il s'agira surtout d'éviter, de prévenir  les situations d'extrême douleur pouvant avoir un retentissement sur l'activité quotidienne, professionnelle, scolaire ou domestique. Dans le cas des dysménorrhées secondaires, c'est-à-dire qui sont liées à une cause précise, la meilleure prévention ou  plutôt la meilleure façon d'éviter la douleur, c'est le traitement de la cause, s'il est techniquement accessible.  

Quels sont les traitements en cas de douleur?

Dans les dysménorrhées primaires sans cause organique identifiée, il est important de rassurer la jeune femme en prenant le soin de lui expliquer le caractère plus ou moins "normal" de ces douleurs qui ne traduisent aucunement une situation grave nonobstant la gêne et le handicap qu'elles occasionnent. Le traitement consiste en général en l'administration par voie orale, mais parfois par voie rectale, de médicaments antispasmodiques, c'est-à-dire qui luttent contre les contractures douloureuses, et des antalgiques. Dans certains cas, la douleur est tellement intense qu'on a recours à la voie injectable en intraveineuse directe ou en perfusion.

Ceci constitue grosso modo ce qu'on appelle le traitement symptomatique, c'est-à-dire dirigé contre les signes cliniques ici dominés par la douleur. Par ailleurs, le traitement médicamenteux peut faire appel à des médicaments qui bloquent l'ovulation, gênant ainsi le caractère sécrétoire de l'endomètre (partie interne de l'utérus), notamment la production de cette substance appelée prostaglandine qui entraîne des contractions du myomètre, le muscle de l'utérus. Dans les autres cas, à savoir les dysménorrhées secondaires, le traitement  varie  en fonction de la cause (endométriose, adénomyose, malformation...) qu’il s'agira de traiter (traitement  dit étiologique).

Y-a-t-il un traitement pour les guérir définitivement?

Encore une fois en cas de dysménorrhée primaire, il n'y a pas de cause organique précise connue. Le traitement consiste juste en un traitement symptomatique, c'est-à-dire contre les signes ici dominés par la douleur. Dans certains schémas thérapeutiques, on peut observer une disparition ou une nette régression de la douleur, après l'arrêt du traitement. Il faut cependant préciser que des récidives sont toujours possibles. Ce qui est intéressant, et qui est quasi constant dans ces dysménorrhées primaires essentielles (c'est-à-dire sans cause organique connue), c'est curieusement l’apparition d'une rémission, pour ne pas parler de guérison, survenant  après l'accouchement.  Par contre, en cas de dysménorrhée secondaire, le traitement, c'est celui de la lésion causale avec parfois de bons résultats.

Nous avons constaté que les filles se rabattent sur les calmants. Est-ce que la dépendance aux médicaments n’entraîne pas des conséquences?

En général, avec les antispasmodiques, les effets pervers d'une prise itérative sont faibles. Par contre, le risque, c'est surtout avec la prise répétée et à de fortes doses des anti-inflammatoires qui peuvent à la longue exposer la femme à des problèmes gastriques, entre autres. Des médicaments comme l'aspirine et ses dérivés, même s'ils sont efficaces, présentent aussi un risque hémorragique.  

Par ailleurs, au-delà du problème de "dépendance" (nous allons nuancer ce concept qui correspond dans notre jargon à une situation nosologique précise), se pose celui du risque de surdosage avec le danger inhérent. En effet, la jeune femme a tendance à augmenter les quantités de comprimés ou les prises devant la persistance des douleurs parfois rebelles aux médicaments.  C'est pourquoi il est important de consulter pour donner à votre médecin l'occasion de réévaluer le traitement et de vous conseiller ou prescrire une nouvelle molécule au besoin.

Combien de femmes se font consulter par année pour des règles douloureuses?

On estime qu'une femme sur trois souffre des règles. Toutefois, il est difficile de donner un nombre exact de consultations pour ce motif. En effet, certaines femmes demandent conseil chez le pharmacien, d'autres en consultations paramédicales ou médicales spécialisées ou non.

On a l'habitude de dire que quand on est mariée, on n'a plus de règles douloureuses. Est-ce une réalité?

En fait, il est plus exact de parler du premier accouchement, pas forcément du mariage, même si souvent le lien est étroit. En fait, les dysménorrhées primaires qui surviennent en général chez la jeune fille disparaissent classiquement après l'accouchement. Mais là encore, on peut aussi noter le cas inverse, c'est-à-dire des femmes qui n'ont jamais connu de règles douloureuses et commencent à en souffrir après un accouchement. En général, ces derniers cas sont secondaires à certaines affections comme l'endométriose qui traduit la présence de certains éléments de la couche interne de l'utérus dans une situation anormale et qui, malgré cela, réagissent aux stimulations hormonales, comme s'ils étaient en localisation originelle. Conséquence, il s'installe un désordre.  Ceci est observé au détour de l'accouchement ou de certains avortements.

Qu'est ce qui explique les nausées, les maux de tête ou la diarrhée, en cas de règles douloureuses?

Ces signes sont en en général dus aux effets pervers de substances appelées prostaglandines. Elles sont synthétisées dans l'utérus, notamment au niveau de sa couche interne appelée endomètre et vont entraîner des contractions de l'utérus. Au-delà de leur action au niveau local (sur l'utérus), elles ont une action au niveau général occasionnant des troubles digestifs (nausées, diarrhées...) entre autres.

VIVIANE DIATTA

 

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