Publié le 19 Nov 2019 - 23:49
EDITION 6 FORUM PAIX ET SECURITE

Macky et Ghazouani survoltés contre l’Onu

 

Encore la faiblesse du mandat onusien ! Face à une situation qui se dégrade dans l’espace sahélien, les présidents sénégalais et mauritanien ont exigé que l’organisme international réactualise ses procédures au contexte régional. La France, qui n’est pas contre l’idée, a décidé de porter l’aide au développement à 0,55 %, d’ici 2022.

 

Macky Sall n’arrive plus à faire évoluer son discours, quand il en vient à dénoncer un monolithisme onusien dont les lenteurs expliquent, en partie, le manque de réactivité militaire dans l’espace sahélien, au Mali notamment où le terrorisme est en montée de puissance. L’an dernier, avec ses pairs africains au sud du Sahara, ils ont prôné une approche plus musclée des forces onusiennes ou, à défaut, le soutien aux initiatives de coalitions africaines.

Le président sénégalais avait formulé cette vision, soutenue par la ministre française des Armées, Florence Parly, le 6 novembre 2018, à l’ouverture du 5e forum Paix et sécurité de Dakar. La problématique avait alors surgi avec beaucoup plus de force, d’insistance et de détermination. L’option de l’interposition, au détriment de l’imposition des forces onusiennes, avait alors agacé de plus en plus les leaders africains au point qu’ils en demandent la réforme. La même problématique a été agitée, il y a trois ans, à la 3e édition de ce forum international en décembre 2016. ‘‘Le sens classique de maintien de la paix est devenu inopérant’’, avertissait toujours le chef de l’Etat Macky Sall.

Hier, pour la 6e édition, avec ‘‘Les défis actuels du multilatéralisme’’ comme thème, le chef de l’Etat sénégalais est revenu à la charge, concernant le cas malien. Peut-être parce que la situation s'y dégrade de jour en jour. C’était devant un président mauritanien fraichement installé, et tout aussi critique envers l'Onu, que Macky Sall s’est étonné de la persistance de l'insécurité dans le Sahel. ‘‘Les attaques sont devenues fréquentes, plus meurtrières et plus audacieuses, puisque de plus en plus les terroristes s’en prennent aux forces de défense et de sécurité elles-mêmes, jusque dans leur caserne’’, a-t-il déploré. Ce pays subit l'une des vagues d'attaques meurtrières les plus violentes depuis le déclenchement de la rébellion touarègue en 2012.

Plus d'une cinquantaine de soldats de l’armée malienne ont été tués récemment dans une caserne militaire, au début de ce mois de novembre, à Indelimane. Pire, le conflit se ramifie en une confrontation ethnique entre Peuls et Dogon. Le président Macky Sall s’est étonné que la Minusma, qui avait pour mission l'appui aux efforts de stabilisation du pays, la protection des civils et le rétablissement de l'autorité sur l’ensemble du territoire malien, soit aussi affaiblie, alors que ses moyens ont augmenté. ‘‘D'un effectif de 6 491 éléments à ses débuts, la Minusma en compte aujourd'hui 14 400, soit plus que le double. Paradoxalement, l'agression terroriste contre le Mali s'est intensifiée et le terrorisme étend son spectre ravageur à d'autres pays comme le Burkina Faso ou le Niger’’, a-t-il remarqué.

Les opérations d’imposition de la paix menées par les Nations Unies le sont en vertu du chapitre VII de la Charte de l’organisation que le Conseil de sécurité a mise sur pied. Une option dont elle se distance en raison des échecs qu’elle a essuyés, suite à ses interventions en Somalie (Onusom I & II), en Yougoslavie (Forpronu) et au Rwanda (Minuar). Mais pour les pouvoirs fragilisés par les attaques terroristes, les coalitions multinationales, avec des opérations musclées sont la panacée à cette retenue onusienne. Sept des treize opérations de maintien de la paix de l’Onu sont localisées en Afrique.

Pour le Mali, il y a plus de 14 mille hommes de la Minusma, sans compter le G5 Sahel, les éléments de la force Barkhane et l’armée régulière malienne. ‘‘Ce sont pas moins de 30 mille hommes qui sont pris en otage par une bande d’individus. Il y a problème. Pourquoi on n’arrive pas à les vaincre ? Il faut savoir où se situe le problème. Articuler les actions, mettre en cohérence les plans. S’il le faut, on met tout ça dans un commandement unique. C’est là que l’Onu doit avoir une évolution dans les concepts. Il ne s’agit pas de faire le procès de l’Onu, mais il faut qu'elle accepte de se réformer, de réformer ses procédures. Ce n’est pas le fait du Secrétariat général, mais celui des membres permanents du Conseil de sécurité. Sur la question du mandat, ils peuvent le bloquer et rien ne marche. C'est là le problème. Il faut un mandat robuste au Mali’’, s’est plaint Macky Sall.

Parmi les 5 membres du Conseil de sécurité, Macky Sall a fustigé les positions réticentes de Pékin et de Moscou notamment, soulignant que les Usa et la Grande-Bretagne avaient de plus de en plus des vues progressistes sur la question. Macky Sall est dans la conviction que sans ‘‘un mandat robuste de l’Onu’’, les gros efforts matériels logistiques et financiers ne serviront qu’à perpétuer une situation de rente.

Ghazouani rentre l’Onu dedans

Mais si le président sénégalais a été aussi critique envers l’organisation internationale, c’est que le discours de son prédécesseur au pupitre, le chef de l’Etat mauritanien Muhammad Ould Ghazouani, qui a parlé ‘‘sans langue de bois (...) des vulnérabilités qui secouent l’espace sahélo-saharien’’, a été très ferme envers l’Onu. Le président mauritanien récemment installé n’a pas attendu longtemps pour se jeter dans le bain multilatéral. Une allocution au style rentre-dedans envers une Onu perçue comme amorphe qui a explosé l’applaudimètre dans l’amphithéâtre du Cicad.

‘‘L’Onu, de par ses capacités et sa position de neutralité vis-à-vis des tendances politiques locales et régionales, est le partenaire par excellence qui doit jouer un rôle catalyseur dans la coopération multilatérale. Mais pour cela, elle doit se réformer. Non seulement au niveau de la composition des membres permanents du Conseil de sécurité, mais également dans sa politique de maintien de la paix qui n’est pas en adéquation avec les enjeux du terrorisme régional. Des forces régionales mobiles plus légères et connaissant mieux le terrain doivent être un avantage privilégié comme réponse plutôt qu’une force lourde et statique avec un mandat souvent limité et coûteux’’, a-t-il déclaré, invitant l’Onu à laisser les coudées franches aux forces sous-régionales, à l’instar du G5 Sahel en complément à son action de maintien. Endossant également la cape de représentant du G5 Sahel, M. Ghazouani a étalé les limites de ce regroupement de cinq Etats sahéliens en lutte contre la terreur.

‘‘Le G5, principal initiative émanant des Etats eux-mêmes, mais qui n’a, hélas, pas jusqu’ici reçu l’appui financier et logistique promis’’, a déploré le président mauritanien. Les deux chefs d’Etat semblent avoir accordé leurs violons, tellement la convergence de vues était parfaite.

Selon eux, l’autre défi pour l’Afrique au multilatéralisme, tient à l’articulation avec les mécanismes régionaux. Le chapitre VIII de l’Onu reconnait l’existence d’organismes régionaux destinés à régler les affaires qui touchent au maintien de la paix et de la sécurité internationale, pourvu qu’ils cadrent avec les buts et principes des Nations Unies. ‘‘L’Union africaine a déjà déployé neuf opérations de maintien de la paix dont deux en cours au Darfour et en Somalie, et une en préparation pour la République centrafricaine. L’Uemoa et la Cedeao sont prêtes à contribuer au financement de la lutte contre l’extrémisme violent dans les espaces communautaires’’, a avancé Macky Sall.

La France va augmenter son aide au développement

Quoique que le chef d’Etat sénégalais ne prône pas la solution du tout-militaire, il estime que l’urgence recommande la belligérance face à des forces terroristes armées et dangereuses qui menacent la stabilité des Etats sahéliens. La chute de Raqqa et la mort récente du chef de Daesh, Abu Bakr al Baghdadi, obligent les cellules djihadistes à des solutions de repli dans les zones vulnérables d’Afrique. ‘‘Il n’y a d’autres choix que d’opposer des forces militaires supérieures mieux armées et plus déterminées. Autrement, les groupes terroristes vaincus ailleurs en Irak et en Syrie vont trouver, dans les zones en Afrique, des sanctuaires qu’ils vont utiliser pour prospérer, se réorganiser et poursuivre leur expansion’’, a-t-il regretté.

Dans ce combat, il peut compter sur la France qui a été la première à intervenir militairement au Mali, devant l’avancée djihadiste, avec l’opération Serval rebaptisée Barkhane. Paris, qui n’est pas contre une révision du mandat onusien, estime qu’il faut une combinaison de solutions en dehors du volet militaire. Le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé qu’Emmanuel Macron s’est engagé à hausser l’apport financier pour les autres pistes de solution qui seront les pendants de l’engagement militaire. ‘‘Le président de la République s’est engagé à porter l’aide au développement de la France à 0,55 % du revenu national brut, d’ici 2022.

C’est un effort considérable que le budget français va supporter dans la durée pour accompagner ses partenaires dans le développement des économies, des tissus productifs, du développement de l’agriculture afin de faire en sorte que nous ne soyons pas dans une lutte ou dans un combat armé, mais bien dans cette mobilisation générale. Cet effort, à terme, représente 7 milliards d’euros par an. L’Afrique en sera bien évidemment le premier bénéficiaire. Nous soumettrons, au cours de l’année 2020, au Parlement français, une loi de programmation pour inscrire cet engagement dans le marbre. C’est le pendant naturel de notre effort militaire. Les deux sont liés’’, a annoncé le chef du gouvernement français.

OUSMANE LAYE DIOP

Section: