''Pourquoi Boul comprendre...''

Styliste et modéliste, Dominique Mbengue a remporté divers prix sur le plan national et international. Absent des podiums depuis son sacre à Siravision 2008, il revient avec des projets. Dans cet entretien avec EnQuête, le créateur de la marque ''Boul comprendre'' parle de sa vie de couturier, ses ambitions pour son métier et son village de Mont-Rolland, mais aussi pour les enfants.
Voudriez-vous vous présenter brièvement ?
Je suis styliste-modéliste. J'ai eu à faire un petit chemin dans ce milieu. En 2006, j'ai gagné Les ciseaux de Dakar. En 2007, j'ai été primé en Côte d'Ivoire comme meilleur jeune styliste d'Afrique. Et je suis le lauréat de Siravision 2008. J'ai participé à pas mal de défilés au Sénégal et dans la sous-région.
Comment êtes-vous arrivé dans la mode ?
Je dirais par la grâce de Dieu. Un jour, ma maman m'a mené chez un couturier du coin. J'avais 14 ans à l'époque. Je me suis adapté à la machine dès que je suis arrivé. J'ai fait un an là-bas avant qu'une dame burkinabé ne me découvre et me propose de venir dans son atelier. Elle m'a donné une machine et a mis à ma disposition tous les coupons de tissus disponibles dans l'atelier. Et c'est à partir de ces petits coupons que j'ai commencé à faire mes modèles. J'avais une poupée assez grande que j'aimais beaucoup habiller avec des tenues stylées. Il y avait en ces temps-là des revues comme ''Rendez-vous'' ou encore ''Elle'', et je tirais mes modèles de là. C'est à cette époque que j'ai commencé à nourrir le rêve de devenir styliste et de travailler dans la haute couture. J'ai par la suite rencontré Amadou Diop (Ndlr : le créateur de la marque Da'Fashion). On a discuté et échangé sur le métier. Il a commencé à me filer des contacts et c'est ainsi que j'ai commencé à participer à des défilés.
Vous n'avez alors jamais fréquenté une école de haute couture ?
Non, je suis autodidacte. Je n'ai jamais fréquenté une école de mode. Je me rappelle qu'à mes débuts, pour mes créations, je pouvais prendre des jours pour couper un tissu. Je forgeais ainsi mon esprit dans la création. Cela a demandé beaucoup de sacrifices. Je n'étais pas rémunéré. Je pouvais être avec un tissu pendant 3 ou 4 jours, rien que pour le couper. Il restait après le montage qui n'était pas moins compliqué. J'aime les choses bien faites. Je tiens à ce que les tenues soient bien cousues, bien repassées. Ce que j'appelle un travail propre. Le pari est aujourd'hui gagné. Je ne prends pas autant de temps pour une création. Je n'ai d'ailleurs pas de catalogue. Je crée suivant mes idées et celles de mes clients.
Vous avez créé la marque ''Boul comprendre''. Cela signifie quoi pour vous ?
Comme je vous l'ai dit, je n'ai pas fréquenté une école de stylisme ou de haute couture. Je ne peux pas vous dire ce que je crée, de mes débuts à ce jour ; je ne peux me l'expliquer. Une fois que j'ai envie de créer, il y a des images qui viennent toutes seules. Des fois, cela me vient en songe la nuit. C'est comme si devant moi il y avait un rideau et derrière, des modèles. Il m'arrive également d'acheter des outils sans raison apparente dans la rue et que j'utilise par la suite dans mes créations. C'est pour cela que je dis ''Boul comprendre''. Car moi-même je ne comprends pas d'où me viennent toutes mes inspirations. Je suis mon intention du début à la fin de mes créations. C'est toujours payant.
Depuis Siravision 2008, on ne vous voit plus sur les podiums. Que faites-vous pendant ce temps ?
Comme dit l'adage : ''Il faut reculer pour mieux sauter''. J'étais dans ça (rire). Siravision était une belle expérience. Quand j'ai remporté le prix, j'ai vu un monde fou apprécier mon travail. Cela m'a imposé une introspection quand je suis rentré. Je me suis dit qu'il ne fallait pas que je déçoive ce beau monde-là. J'ai décidé alors de me retirer pendant un temps et de créer d'abord une base. Je ne voulais pas être de cette catégorie d'artistes qu'on voit tout le temps à la télé et pour qui on fait des quêtes au crépuscule de leur vie. Je voulais avoir un bon matériel, une clientèle fidèle et un grand atelier. Ensuite, renouer avec les podiums. Mon objectif reste de travailler dans la haute couture qui n'est pas bien promue au Sénégal. Donc, pour mon retour sur les podiums, ce sera juste de la haute couture que je vais présenter.
Vous vous donnez encore combien de temps pour ce retour-là ?
C'est pour bientôt. Mon équipe et moi sommes en train de travailler sur ce retour-là. La façon dont est organisé le secteur actuellement ne m'agrée pas. Si je devais organiser un défilé, la presse serait aux premiers rangs et les invités derrière. C'est cela un défilé. On ne peut pas faire un défilé et une soirée de gala en même temps. Un défilé, ce sont les artistes et les artisans avant tout.
Vous envisagez de revenir sur la scène avec un concours à l'intention de jeunes créateurs de mode. En quoi cela consistera-t-il ?
Je suis originaire de Mont-Rolland et je dois tout à ce village. Si je mène toute ma carrière sans rendre à mon terroir la monnaie de sa pièce, cela équivaudra à une carrière nulle. J'envisage d'organiser au mois d'août prochain un événement dénommé ''Les 24h des talents ndutt''.
Cela veut dire...
''Ndutt'' est le nom sérère de Mont-Rolland. C'est une façon de créer une solidarité entre les artisans et les artistes de la localité ainsi que les intellectuels. Cela va leur permettre de se retrouver autour d'une manifestation pour réfléchir et échanger sur les voies et moyens pour développer notre village. J'entends chaque jour parler de retour à la terre alors qu'au Sénégal, nous n'avons que 3 mois de pluie. Cela ne peut pas nourrir un village de milliers d'habitants. Alors que si on aide les artisans et les artistes à se promouvoir et à travailler, cela pourrait aider au développement du village. C'est pour cela que je veux lancer cette année cette manifestation. C'est également une occasion pour permettre aux talents de cette localité de s'exprimer et de faire découvrir leur travail.
La date de l’événement ?
La date du 16 août a été retenue. Le choix de la date n'est pas fortuit. C'est à cette époque que tous les fils de Mont-Rolland rentrent au bercail. Notre objectif est de rendre annuel cet événement et qu'il soit incontournable. J'ai constaté que toutes les grandes manifestations restent à Dakar. J'ai voulu aussi participer au changement de cette donne à ma façon et en délocalisant.
Dominique Mbengue veut également s'investir dans la cause des enfants. Pourquoi et comment ?
Permettez-moi de revenir sur l'incendie de la Médina. Cela m'a fait très mal. On n'en parle plus aujourd'hui. Pourtant, ce qui s'est passé est très grave. Ces enfants-là sont morts dans des conditions atroces. Je blâme le gouvernement. Les enfants de la rue sont des sans-voix, il faut les soutenir et les aider. Ce qu'il faut comprendre, c'est que pour certains d'entre eux, comme les talibés, on doit leur proposer une ou des alternatives. On devrait penser à les préparer professionnellement. Que l'on demande à ces jeunes quel métier les intéresse et après l'école coranique, ils vont suivre une formation soit chez le couturier du coin, soit chez le frigoriste, soit chez le menuisier, etc. Mais il faut que leur avenir soit assuré. Moi, j'y travaille et je tient à partager cette idée avec tout le monde.
PAR BIGUÉ BOB