Publié le 28 Jan 2023 - 21:12
EXPLOITATION DU TER

L’Etat sue, la SNCF profite 

 

Fonctionnel depuis un an, le TER est une expérience globalement satisfaisante pour les usagers. Malgré tout, la facture est de plus en plus salée pour l’Etat. Et les relations se tendent avec l’exploitant français.  

 

Le 17 janvier dernier, les Dakarois étaient tout heureux de voyager gratuitement à bord du Train Express Régional (TER). Les wagons ultra modernes du train à grande vitesse de la capitale sénégalaise fêtaient leur première année d’exploitation. Des voyages offerts, selon leurs communications, par le président de la République Macky Sall pour l’occasion. Ce qui n’était crié sur tous les toits, c’est que le même jour, une nouvelle entente avait lieu entre l’Etat du Sénégal et la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) pour l’exploitation au courant des trois prochaines années de l’infrastructure. Et surtout que ce contrat va continuer à sucrer le verre de la société française qui veut imposer sa loi au gouvernement sénégalais, alors que l’exploitation du TER se révèle être un gouffre financier, pour le moment.

Alors que la presse sénégalaise ne cesse de le clamer, la presse française confirme la gestion chaotique du train ultra moderne de Dakar. C’est le journal français lefigaro.fr qui a publié, ce jeudi, une enquête intitulée ‘’TER de Dakar : Sénégal 0, SNCF 1, en attendant les prolongations...’’. Il y est fait état, d’un point de vue français, d’une ‘’cacophonie’’ autour de la gestion du TER, ‘’comme seule la France en a le secret.’’ L’article montre que face à la pression, aux menaces et aux coups de bluff de l’entreprise française, l’Etat du Sénégal est pris entre le marteau de la peur de risquer l’arrêt du TER, et l’enclume que constitue le gouffre à milliards de son exploitation au frais du contribuable sénégalais.

Du gaz dans les relations entre l’Etat et la SNCF

Parmi les projets phares du président de la République, le TER, un volet du Plan Sénégal Emergent (PSE), a été mis en service le 27 décembre 2021, après 5 ans de travaux pour un investissement officiel de 780 milliards de FCFA. Il ambitionne de transporter 115 000 personnes par jour, une fois son rythme de croisière atteint. Mais du point de vue français, le TER rentrait dans la politique de l’ancienne direction de la SNCF de ‘’réaliser à l'international 30% du chiffre d'affaires de la maison’’, selon l’article du Figaro.

Héritant du TER à travers un contrat de pré-exploitation de 3 ans (qui devrait être remplacé par un contrat d’exploitation du 17 janvier 2023), l’entreprise française a créé la SETER (Société d'exploitation du TER) appartenant à 100 % à la SNCF dirigée par Pierre Boutier. Mais voilà, les attentes autour du train n’ont pas atteint les chiffres annoncés pour rendre l’exploitation rentable. Alors que le contrat de pré-exploitation était assez généreux pour la SNCF qui laissait l'Etat du Sénégal subventionner tout manque à gagner sur leurs objectifs, la nouvelle direction de l’entreprise française a cherché à durcir les termes du nouveau contrat, tout en associant le Sénégal à aucune gestion au sein de la SETER.

Le nouveau patron de la SNCF, Jean-Pierre Farandou, a commencé par virer le président de la SETER, Franco-sénégalais, Stéphane Volant, qui s’est opposé au durcissement du contrat, sans consulter le Sénégal. Les complaintes de Mansour Faye, ministre des infrastructures et des transports terrestres, qui contestait la légalité de cette nomination, n’y ont rien changé.

Face aux difficultés du gouvernement de payer à temps les pertes de la SETER (en raison du contexte économique compliqué), la SNCF, dans un courrier du 24 juin 2022, adressé à Mansour Faye (que révèle lefigaro), insiste sur la nécessité de signer un contrat sur trois ans (le contrat de pré-exploitation prenant fin), ‘’pour percevoir les sommes dues à hauteur de 25,78 milliards de Francs CFA TTC’’ et pour éviter, poursuit le courrier, ‘’une dégradation inévitable du service’’. La menace d'interrompre les circulations en cas de non-paiement est à peine voilée.

Aussi, la SNCF souhaite remettre en cause sa garantie ‘’maison mère’’, tout en demandant une garantie de subvention pendant trois ans. Et dans le même temps, elle refuse les demandes du Sénégal de l’entrée au capital de la SETER du fonds souverain Sénégalais Fonsis, ainsi que la nomination d’un président sénégalais.

L’Etat refuse la bouée de sauvetage Meridiam

Face à tous ces caprices de riches, le Sénégal a obtenu une offre spontanée de reprise des activités du TER par la société Meridiam (elle aussi française), qui a obtenu l’exploitation du BRT (Bus Rapid Transit). Ce concurrent de la SNCF a proposé un contrat financièrement très avantageux pour le Sénégal, qui, au lieu de mettre des sous dans l’exploitation du TER, en gagnerait. D’abord, il s’engage à mettre à la disposition du Sénégal 135 milliards FCFA, en guise de droits d’entrée. Mais aussi, 30 milliards pour la recapitalisation de la SETER et 30 autres milliards de revenus concessifs, pour une proposition de concession de 25 ans, avec la possibilité pour l’Etat de réduire la durée. MERIDIAM s’engage aussi, à financer la phase 3 du TER et à acheter des rames supplémentaires. Sans compter qu’elle accepte de partager les surperformances.

Se sentant en danger, les leaders de la SNCF ont impliqué l’ambassadeur de France pour obtenir une audience avec le président de la République Macky Sall. Au finish, dans l’accord trouvé avec la SNCF, c’est l’Etat qui finance tout, pour plus de 40 milliards par an. La société française se contente d’exploiter et de se faire payer ce service, autour de 12 milliards par an. Même si, pour l’heure, cet accord doit être adopté par le conseil d'administration de la SNCF et celui de la Commission des marchés publics.  

S’il se murmure que l’Etat du Sénégalais a peur de perdre la face et voudrait s’assurer que rien n’empêche le train cher au président Macky Sall de rouler, il a préféré la ‘’sécurité’’ de rester avec un exploitant expérimenté dans le domaine. Même si pour cela, elle est prête à renoncer à beaucoup d’argent et d’en dépenser beaucoup.

Lamine Diouf

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