Publié le 26 Mar 2019 - 02:57
EXPLOITATION ILLICITE DE BOIS DANS LA REGION DE KOLDA 

La forêt, un poumon économique sous pression

Avec ses 33 333 hectares de forêt classée répartis en 14 massifs, la région de Kolda dispose d’une biodiversité unique et des ressources inestimables. Mais ce poumon économique est sous pression. Malgré les mesures idoines prises par l’Etat du Sénégal, la recrudescence du trafic de bois de vène sape les efforts. Au mois de février 2019, 30 personnes ont été arrêtées, 169 charrettes, 211 chevaux, 223 ânes, 88 billons… ont été saisis par les agents du service des eaux et forêts.

 

Il suffit de survoler la région de Kolda pour comprendre ce qui forge son identité : l’immense étendue de forêt. Un patrimoine naturel très convoité, tant il recèle de richesses encore inexploitées. Des ressources exceptionnelles que les autorités sénégalaises veulent sanctuariser. Mais le trafic de bois ne faiblit pas, malgré la ténacité des agents des eaux et forêts et les forces de défense et de sécurité. Car, derrière l’épais manteau vert, l’exploitation illégale des ressources forestières se poursuit.

Rien qu’au mois de février 2019, 30 trafiquants de bois ont été arrêtés. A côté, 169 charrettes, 211 chevaux et 223 ânes ont été saisis par les agents des eaux et forêts de Kolda.  ‘’Entre le 16 et le 20 février passé, nous avons saisi 63 billons, 33 charrettes, 126 chevaux, 211 ânes, 6 tronçonneuses, 4 scies passe-partout, 6 haches, 8 motos et 9 vélos, et arrêté des personnes. Dans la nuit du 21 au 22 février, les agents des eaux et forêts ont procédé à l’arrestation de 22 personnes. Parmi elles, il y a des coupeurs, des trafiquants, c’est-à-dire ceux qui s’adonnent au transport de bois et des éclaireurs qui sont souvent en motos. En plus de l’arrestation de ces ‘ennemis’ de la nature, 136 charrettes, 85 chevaux, 12 ânes, 2 motos et 21 billons qui ont été saisis’’, renseigne le lieutenant-colonel Babacar Dione, Inspecteur régional des eaux et forêts de Kolda.

9 trafiquants condamnés chacun à 2 ans de prison

Ainsi, le mercredi 6 mars dernier, le tribunal de grande instance (Tgi) de Kolda a condamné 9 parmi les 30 trafiquants de bois poursuivis pour association de malfaiteurs et tentative de trafic international des espèces protégées. Chacun a écopé de 2 ans d’emprisonnement ferme. Il s’agit de Mamadou Saliou Bangoura, Mor Boye, Cheikh Diallo, Mamadou Diallo, Omar Seck, Babacar Seck, Moustapha Gaye, Saliou Wilane et Yoro Mballo. A leur sortie de prison, chacun va également payer la somme de 2 millions de francs Cfa répartis comme suit : 1 million pour amende et 1 million pour dommages et intérêts aux eaux et forêts. Le matériel saisi a été confisqué par le tribunal au profit du Service des eaux et forêts de Kolda.

Depuis la reprise spectaculaire de la coupe illicite de bois, les agents des eaux et forêts ont engagé un bras de fer plutôt musclé avec les ‘’ennemis’’ de la forêt. Ce qui a permis ces multiples arrestations et saisies. Malgré tout, les trafiquants continuent de saccager plusieurs hectares.

Les facteurs facilitant cette activité illicite

Dans la région de Kolda, le trafic de bois est devenu la seule activité qui préoccupe les populations, en particulier la jeunesse. La pauvreté des populations, la proximité et la porosité de la frontière avec la Gambie, l’absence d’un accord de partenariat entre Dakar et Banjul contre le trafic de bois sont autant de facteurs qui facilitent cette activité illicite.

A ces explications s’ajoutent les pratiques corruptives tels que les arrangements aux allures de pots-de-vin et la complicité des populations, des élus locaux, mais aussi de certaines autorités trouvant leur compte dans ce business. Donc, si rien n’est fait, cette végétation pourrait disparaître, d’ici au siècle prochain, pour céder la place à un incroyable désert. D’après nos informations, le pillage de la forêt est perpétré par quatre groupes. Il s’agit des détenteurs de gros moyens, des coupeurs, des charretiers et de gros bonnets tapis dans l’ombre, qui profitent du massacre.

Les Chinois installés en Gambie

Ces détenteurs de gros moyens achètent les tronçonneuses qu’ils mettent à la disposition des coupeurs de bois. Une fois des troncs coupés, ils les achètent à un prix exorbitant. Ce qui incite les populations à se rabattre sur les espèces les plus prisées. ‘’Les patrons louent leurs services pour des montants allant de 300 000 à 400 000 F Cfa. Ils demandent aux trafiquants de bois de couper des troncs d’une valeur d’un million à un million et demi’’, explique Samba Mballo, habitant de Niaming.

Si l’on en croit M. Mballo, en moins d’une semaine, le coupeur peut atteindre le nombre de billes commandées en valeur marchande, qu’il remet à son employeur et empoche ainsi ses 300 000 à 400 000 F Cfa. ‘’Les charretiers prennent ensuite le relais pour acheminer le produit en Gambie. Le coût du transport dépend de la distance entre le lieu de départ et le point d’arrivée’’, a-t-il indiqué.

Le danger de la surexploitation forestière

Pour parer à tout cela, des mesures sont prises par l’Etat pour préserver la forêt, mais aussi pour mieux l’exploiter. Car la Casamance en général et en particulier la région de Kolda, est assise sur de l’or vert. Une richesse dont l’Etat espère désormais tirer parti, afin de diversifier son économie. D’ailleurs, avec l’affaire de Bofa-Bayottes, dans la région de Ziguinchor, le Sénégal a décidé d’interdire l’exportation de bois. Il a mis fin à une activité très critiquée, en raison de l’énorme gaspillage de bois qu’elle entraîne. La mesure avait alors été saluée. Car Kolda avait cessé d’être une région d’abattage de bois. Et certaines scieries ont été fermées, incapables de trouver du bois de vène.

Depuis, la région de Kolda poursuit sa diversification économique, tiraillée entre la défense de sa biodiversité et l’impérieuse nécessité d’atteindre l’émergence. Selon certaines populations averties, tous les Koldois doivent être vigilants, surtout avec la mort progressive de la culture de l’arachide. Une situation qui s’explique par le fait que l’arachide ne nourrit plus son homme, à cause de la mauvaise campagne de commercialisation. Conséquence : il y a une pression sur la forêt.

La forêt perd de sa valeur

En attendant des mesures idoines permettant de mettre fin à la coupe illicite de bois, la forêt de la région de Kolda perd de sa valeur et  le bois précieux s’envole vers les marchés asiatiques. Les exploitants illégaux y vont au bulldozer, abattent tout pour trouver le bois qui leur rapportera le plus, comme le bois de vène.

Car la forêt continue d’aiguiser les appétits, malgré le nouveau code forestier qui vient d’être signé en janvier 2019. Les trafiquants poursuivis pour trafic international de bois encourent des peines allant de 5 à 10 ans d’emprisonnement ferme et des amendes allant de 10 à 15 millions de francs Cfa.

EMMANUEL BOUBA YANGA

 

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