Publié le 10 Sep 2015 - 17:30
HISTOIRE D’UN CANDIDAT AU SUICIDE :

Babacar Ndao, le vide de l’amour

 

Il a tenté de rejoindre l’au-delà, mais le coup est manqué. Babacar Ndao est un suicidant dans une situation de détresse. Les liens sont coupés avec sa famille depuis son acte. Le suicide reste une obsession de ce soigneur vétérinaire. Pourtant, l’amour d’une femme suffit à ce célibataire de 69 ans pour retrouver son état normal. Mais la prière constitue pour l’instant l’obstacle infranchissable.

 

Babacar Ndao est un revenant. Il est aussi sur le départ. Départ, vers l’inconnu, l’au-delà. Cet homme a avalé d’un seul coup 30 comprimés de phénobarbital le 5 mai 1984 pour abréger sa vie. La raison ? La mort de son cousin Valdiodio Ndiaye qu’il aimait tant lui était insupportable. Il a fallu 11 mois d’hospitalisation à Thiaroye et Fann pour mettre sa vie hors de danger. A la sortie de l’hôpital, le médecin a mentionné sur son certificat d’indigence : ‘’état dépressif, tentative de suicide’’. Mais le concerné a senti la nécessité de faire sa propre contre-expertise médicale. Au bas du certificat, il fait une mise au point, une ‘’note de l’intéressé’’. Il dit ce qui suit : ‘’Le terme tentative de suicide prête à confusion avec ‘’retenez-moi, sinon je fais un malheur !’’ Il aurait fallu le remplacer par ‘’suicide manqué’’, d’autant plus que c’est de ça qu’il s’agit’’.

Ce vétérinaire a-t-il tenté de se suicider juste parce que Valdiodio est décédé ? Non ! L’histoire a débuté bien longtemps. Ce natif de Kaolack un certain 24 septembre 1946 a été envoyé à l’école à l’âge de huit ans. Il obtient le concours d’entrée en sixième en 1960-61. Un changement brusque est toutefois intervenu après l’école primaire. ‘’J’ai eu un dégoût terrible des études, de telle sorte que j’ai été renvoyé à la fin de l’année’’, se souvient-il.

Ce départ prématuré a été vécu par son père comme un affront de la part d’un jeune garçon. Alors qu’il a 15 ans, il est renié par son père et chassé de la maison. Son oncle paternel l’accepte chez lui, mais le père entend s’y opposer tout en confisquant ses pièces d’état-civil. Pour lui, il n’est pas question que ce fils banni soit hébergé par son propre frère. Convaincu que l’enfant n’était plus digne de son père, le papa a estimé que c’est plutôt un oncle de sa lignée maternelle qui devait le garder. Le jeune Babacar trouve refuge quand même chez cet oncle paternel qui l’a gardé contre vents et marées.

Mais avant cela, son père, dit-il, a été une véritable source de traumatisme pour lui ainsi que pour tous les membres de la famille. Un homme qu’il peint sous les habits d’un vieux tellement autoritaire qu’il refuse que le regard de ses enfants croise le sien. ‘’Autour du bol, il écoute comment nous mastiquons les aliments. Il y a une façon qui lui paraissait bruissante ? Et c’est la gifle qui nous rappelait toujours à l’ordre.’’ Même quand un enfant n’a pas entendu le service commandé par son père, il n’ose pas demander des précisions. Il est obligé d’aller demander silencieusement à sa mère ce que son père a dit.

‘’J’ai  rompu avec Dieu à l’âge de 15 ans’’

Une fois sorti de la maison paternelle, il fait la navette entre Kaolack et Guinguinéo où vit la majeure partie de ses parents. C’est là qu’il se découvre pour la première un penchant suicidaire. ‘’À chaque fois que le train était plein et que je me retrouvais sur le marchepied, je n’avais qu’une envie : sauter. C’est comme s’il y avait quelque chose qui me disait : ‘’Saute ! Qu’est-ce que tu attends ? Il faut sauter !’’  Afin d’éviter cette issue fatale, il s’était résolu de ne plus jamais être aux abords de la portière. Le train avait beau être bondé, il s’arrangeait pour trouver une place à l’intérieur.

Par ailleurs, la rupture avec son père a été le point de départ de la  cassure avec son Créateur. ‘’J’ai  rompu avec Dieu à l’âge de 15 ans’’, affirme-t-il.  De 1961 aux années 1999-2000, soit près de 40 ans, ce désaffectionné n’a ni prié, ni jeûné. Le suicide tenté en 1984 avait marqué définitivement la rupture avec la famille. Sa mère et sa sœur, écœurées par son acte, l’avaient qualifié de fou. Aujourd’hui encore, il continue à servir la même réponse. ‘’On dit que je suis fou. Justement, un fou, on ne le blâme pas, on l’aide à guérir. Je suis un malade et je veux être pris comme tel’’. Quant à ceux qui le qualifient de mécréant, il rétorque : ‘’Laissons Dieu juger.’’ Sa plaidoirie n’a apparemment pas encore trouvé oreille attentive.  Pas plus qu’il y a 34 ans. En 1981, en effet, cet homme de teint noir,  avec un français presque parfait, a enregistré une cassette adressée à Dior Sow Fall, alors procureur de la République. La bande en question que le concerné garde toujours porte le résumé de son contenu. ‘’Les confessions d’un désespéré ou les raisons du suicide hautement probable.’’

En 1967, Babacar Ndao est admis à l’école de l’élevage de Saint-Louis. Il obtient son diplôme deux ans plus tard comme infirmier et agent technique de l’élevage. A sa sortie, il est affecté dans le Ferlo. La chasse devient une nouvelle passion pour lui. Une flamme de courte durée. En effet, il a trouvé que tuer un animal est trop facile. A la place, il a préféré  comprendre le mode de vie et le comportement des bêtes. Cette nouvelle perspective va l’éloigner de ses supérieurs qui eux, ont fait de la chasse un sport favori. A partir de 1974, il commence à dénoncer les agissements de ses patrons.

Dans le Soleil des 21 et 22 février 1977 (c’est lui-même qui a présenté la coupure de presse), il écrivait ceci : ‘’Médecins, enseignants, vétérinaires formés dans les grandes écoles européennes et même directeurs de service mettent à profit leur tournées pour commettre les plus graves délits, ce qui leur est d’autant plus aisé que les rares forestiers qui veulent sévir contre eux sont vite découragés par la crainte des chocs en retour ; il semble que des expériences les aient marqués’’. Une sortie qui va lui valoir tour à tour une suspension de salaire, un licenciement et un procès pour diffamation. Un procès dont il raconte encore avec énergie et force détails ses échanges avec le président de la Cour à l’époque qu’il accuse d’avoir servi les intérêts de son ami. Depuis 29 ans, il est soigneur vétérinaire privé à Toubacouta. Là aussi, il se dit persécuté par des officiels de son secteur du fait qu’il ne prie pas.

Bien que malade, Babacar Ndao a préféré s’éloigner des hôpitaux pour éviter, dit-il, d’être bourré de comprimés. Il préfère les remèdes naturels. Et il en a un qui surprend plus d’un. Car, en plus d’être toujours tenté par le suicide, il souffre aussi de constipation. Il lui arrive de rester plusieurs jours voire une semaine sans aller à la selle. Le record de longévité date de 1973, année pendant laquelle il est resté 24 jours sans aller aux toilettes, alors qu’il mange et bois régulièrement. De l’autre côté, dans les moments les plus critiques mentalement, il lui arrive de se lever jusqu’à 6 fois pendant la nuit pour aller pisser, alors qu’il s’est gardé de boire depuis 18h. Il peut rester 2 mois sans se laver parce qu’indifférent à la vie.

Deux mois de préparation pour déclarer son amour

C’est en 1999-2000 qu’il a découvert qu’il y avait pourtant un remède très efficace contre son mal. Alors qu’il était en discussion avec une de ses nièces qui tenait un télé-centre, une fille est passée et a salué sa nièce. Il a fait remarquer à celle-ci que la fille qui venait de la saluer était très belle. Sa nièce lui dit qu’elle est gentille en plus. Le ‘’timide’’ se propose alors de draguer la fille. ‘’Je n’osais pas aller lui parler directement. J’ai mis deux mois à me préparer pour lui écrire une lettre.’’ Il affirme y avoir exposé toute sa situation, y compris ses propensions au suicide. La réponse fut plus heureuse qu’inattendue. La fille a accepté la main tendue.

C’était le plus beau jour de sa vie depuis 40 ans. ‘’Je n’oublierai jamais ce jour. Elle a dit : ‘’Je veux être une mère, une complice, une âme sœur, mais également ton unique amour.’’ (il répète la même phrase trois fois). Il m’a suffit de lire cette phrase pour entendre mon ventre grouiller’’. Trois tours aux toilettes en un jour ; et la constipation s’en est trouvée guérie d’un seul coup. Les portes du Seigneur aussi s’ouvrent à nouveau à lui. ‘’J’ai été tellement épris  de son amour que j’ai été attiré par Dieu’’, confesse-t-il. Pendant deux ans, il se met à prier régulièrement et même à jeûner les mois de ramadan. La fille se propose alors de l’épouser. Une vie normale s’offre enfin à lui.

C’est à ce moment pile qu’intervient l’élément perturbateur. Sa cousine a fait des investigations sur la fille pour revenir lui dire qu’elle est ‘’castée’’. La réponse de l’amoureux est sans appel. Même si elle est accusée d’anthropophagie, de mangeuse d’âme, je ne l’aimerai que davantage, lui rétorque-t-il. Qu’importe, toute la famille se ligue contre cette union, l’aîné de la famille, ‘’un intellectuel’’, en première ligne. Une nouvelle cassure intervient dans sa vie. Il redevient une âme errante. Ses relations avec la Divinité rompues à nouveau. Ce fils de musulman en arrive à fréquenter parfois les églises. Quand il a eu des problèmes avec les responsables du Centre culturel français (CCF) où il a servi, il est allé un jour supplier l’Abbé Jacques Seck de le laisser passer la nuit à ses côtés. C’était en 1981. Mais bien que fréquentant parfois les églises, il essaie d’éviter ses membres. ‘’À la fin de la messe, je quitte précipitamment. Je fais semblant de ne pas voir ceux qui me saluent de peur d’être enraciné dans une religion qui n’est pas la mienne.’’

Bien qu’ayant quitté l’école très tôt, il ne devrait pas envier les professeurs de français dans la maîtrise de la langue. Lauréat du concours national d’orthographe en 1999, il dit avoir été empêché de participer l’année suivante après avoir critiqué certains accords qui lui paraissent illogiques. Aujourd’hui, il se dit en conflit avec le CCF et ne veut pas que ses écrits soient touchés au risque d’y mettre l’orthographe du camp adverse.

Habillé de sandales usés et la mine pas très bien soignée, ce célibataire de 69 ans, au visage ridé, ne rêve que de l’âme sœur. A chaque fois qu’il se croit aimé, il est guéri de sa constipation et retrouve le chemin divin. Seulement, les familles lui opposent toujours la prière avant le mariage. Il se dit prêt, mais estime que la charrue ne peut pas précéder les bœufs. Il lui faut d’abord ce ‘’remède naturel’’. C’est cet homme malade, dépressif, isolé et incompris qui s’adresse à la société. Et il ne demande que ce que tout homme normal est en droit d’attendre : l’amour d’une femme. 

B. Willane

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