Publié le 7 May 2020 - 00:38
IMPACT DE LA COVID SUR LES ACTIVITES DES VOYAGISTES PRIVES

Les grands oubliés du plan de résilience 

 

Une Umrah annulée à la dernière minute, malgré les dépenses engagées, le hajj incertain, malgré les réservations. La situation est devenue intenable, pour les voyagistes privés dont certains sont talonnés par les pèlerins pour être remboursés. Ils demandent l’aide des autorités et une part dans l’enveloppe de 77 milliards allouée aux secteurs du tourisme et des transports aériens, dans le cadre du Plan de résilience économique destiné à faire face aux conséquences de la pandémie à coronavirus.

 

La pandémie de la Covid-19 a perturbé presque toutes les activités économiques, surtout celles liées au tourisme. Le secteur du pèlerinage à La Mecque n’est pas en reste. Il est touché de plein fouet par les mesures prises par les Etats pour freiner la propagation de la maladie. Officiellement, l’édition 2020 du hajj, qui doit se tenir à la fin du mois de juillet, n’a pas encore été annulée par l’Etat saoudien. Mais, au Sénégal, le ministère des Affaires étrangères a ordonné, sur instruction du chef de l’Etat, aux voyagistes privés, principaux convoyeurs des pèlerins, de suspendre les procédures d’organisation de l’édition 2020 du pèlerinage, jusqu’à ce que la situation de la Covid-19 soit plus claire. Une décision qui n’est pas sans conséquence sur ce secteur qui fait un chiffre d’affaires annuel de 38 milliards de F CFA.

La situation est d’autant plus difficile que la décision est tombée, alors que la plupart des agences spécialisées dans le domaine, avaient déjà commencé l’enrôlement des pèlerins et les réservations d’hôtels et de billets de voyage. Ce qui a induit à d’énormes pertes économiques.

‘’Le chiffre d’affaires du pèlerinage tourne autour de 38 milliards pour les voyagistes privés qui ont à convoyer à peu près 11 mille pèlerins. Les activités du pèlerinage n’ont lieu qu’une fois par an, à une période bien déterminée, avec une durée bien déterminée. Si l’activité est annulée, on est obligé d’attendre l’année suivante, alors qu’il y a certaines agences et structures qui ont déjà fait des dépenses de réservations d’hôtels, ainsi que des avances pour les compagnies d’aviation, etc. En plus, beaucoup parmi les organisateurs n’ont que le hajj comme activité. Et si cette source de revenus est annulée, cela représente beaucoup comme impact. On n’a plus de revenus, alors qu’on a toujours des charges à supporter pour les loyers des locaux et le personnel. Les charges sont toujours là et il n’y a plus de revenus. Ce sont des pères et mères de famille qui en souffrent aujourd’hui’’, se désole le secrétaire général du Regroupement national des organisateurs privés du hajj et de la Umrah au Sénégal (Renophus) El hadj Baba Guèye, joint par ‘’EnQuête’’.

Contrairement aux autres secteurs du tourisme comme les hôtels et les restaurants qui ont été pris en compte dans le plan de résilience économique contre les effets de la crise sanitaire, les voyagistes privés eux semblent être oubliés du décompte.

En effet, pour le moment, leur secteur n’a pas été pris en compte dans le document du ministère du Tourisme, concernant les secteurs à appuyer. Et pourtant, les activités liées au pèlerinage et à la Umrah figurent parmi les premières impactées par la pandémie, avec l’annulation des procédures depuis le 13 mars.

Ainsi, se sentant oublier par les autorités dans le plan de résilience économique, les voyagistes privés sortent de leur silence et alertent. ‘’On semble être oublié par les autorités. C’est pour cette raison que nous avons voulu tirer la sonnette d’alarme pour dire que le pèlerinage est la première activité à être impactée. En effet, avant que l’on ne prenne des mesures concernant les autres secteurs, le président Macky Sall a demandé que les organisateurs du pèlerinage suspendent toutes les opérations. Nous avons été donc les premières victimes, car nous n’avons qu’une seule source de revenus, c’est le pèlerinage. Nous avons vu le document qui émane du ministère du Tourisme. Mais, malheureusement, le pèlerinage et la Umrah ne sont pas pris en compte dans ce document’’, déplore encore le SG de Renophus.

 ‘’Nous sommes désemparés. Nous voulons savoir qu’est-ce qui est prévu pour nous dans le programme de résilience. Les activités de notre secteur sont aujourd’hui réduites à néant. Nous avons engagé énormément de dépenses et, aujourd’hui, on n’a pas d’interlocuteur. On n’a que nos yeux pour pleurer. Nous faisons du tourisme religieux et diplomatique. Mais aujourd’hui, malheureusement, nous ne sommes ni pris en charge par le ministère du Tourisme ni par celui des Affaires étrangères dans la stratégie d'accompagnement des secteurs touchés, alors que nos principales activités sont réduites à zéro et, à ce jour, des dépenses engagées continuent. Au moment où les autres secteurs sont en train de se réunir pour voir ce qui est prévu pour eux, nous ne trouvons aucun interlocuteur, alors que nous sommes très affectés par la crise. Nous ne savons plus aujourd'hui à quel saint nous vouer, parce que ne sommes inclus nulle part dans la stratégie d'accompagnement et d’assistance de l'Etat’’, renchérit au téléphone sa camarade adja Hourèye Thiam Preira, chargée de communication du regroupement.

‘’Des pèlerins font pression pour être remboursés’’

A en croire toujours le SG du Renuphus, la situation des voyagistes privés est d’autant plus difficile que beaucoup de pèlerins qui avaient déjà été enrôlés, demandent aujourd’hui à être remboursés. Ainsi, en plus de se retrouver au chômage, ces pères et mères de famille qui tirent l’essentiel de leurs revenus des recettes du pèlerinage, font face à la pression des clients, alors que les sommes engagées ont été utilisées pour les réservations de billets d’avion et d’hôtels. ‘’Beaucoup de pèlerins s’étaient déjà inscrits et c’est avec cet argent que nous avions fait les réservations d’hôtels et de billets d’avion. Le principal problème des agences, aujourd’hui, est que les pèlerins réclament le remboursement de leur argent, alors qu’il est déjà soit avec les Saoudiens au niveau des hôtels, soit avec les compagnies d’aviation, et partout l’on nous dit : ‘On n’est pas en mesure de vous rembourser. Il faut laisser l’argent pour qu’il constitue un avoir pour la prochaine activité.’ Ce qui fait que, s’il n’y a pas de compréhension de la part du pèlerin, on est dans une situation assez délicate’’, renseigne El hadj Baba Guèye.

L’autre problème, souligne-t-il, est la suspension de la Umrah en pleine saison. Ce qui a eu comme conséquence immédiate des vols bloqués et des voyages annulés à la dernière minute. ‘’Pour la Umrah, il y a beaucoup de structures qui ont déjà subi les effets de la Covid-19. En effet, il y a une agence qui était en partance pour l’Arabie saoudite avec ses pèlerins. Arrivés à Istanbul, les pèlerins ont été obligés de faire demi-tour pour revenir à Dakar, parce la mesure interdisant l’accès des voyageurs ayant le visa Umrah sur le territoire saoudien était devenue effective, au moment où les pèlerins étaient en cours de route. Ils étaient bloqués et obligés de revenir sur Dakar. Il y a une autre qui avait déjà acheté des billets et les visas, mais arrivé à l’AIBD (aéroport international Blaise Diagne), avant de décoller, on leur a dit que c’était impossible d’aller en Arabie saoudite. C’est dire que nous avons déjà fait des dépenses. Malheureusement, la pandémie a tout écourté en chemin’’, se désole-t-il.

Une lettre aux ministères des Affaires étrangères et de l’Economie

Pour se faire entendre auprès des autorités, le regroupement a adressé, hier, une lettre aux ministères des Affaires étrangères et de l'Economie pour demander de l’aider face à la situation critique à laquelle leur secteur est confronté.

En effet, ces voyagistes privés spécialisés dans le hajj et la Umrah ont comme ministère de tutelle le département des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. Or, le grand paradoxe est que leurs activités relèvent du tourisme religieux et diplomatique.  Ainsi, dans cette période de crise où les activités liées au pèlerinage sont largement touchées par les effets économiques de la Covid-19, ils peinent à trouver un interlocuteur et se sentent oubliés dans les appuis financiers de résilience.

‘’Nous subissons des pertes depuis le début mars, avec l'annulation de la Umrah et aujourd’hui, nous sommes totalement désemparés. Ni hajj ni Umrah, alors que nos charges demeurent et nous ne voyons même pas d'interlocuteurs. Nous venons d’adresser une lettre au ministre des Affaires étrangères et à son collègue de l'Economie pour aider ces pères et mères de famille qui, pour la plupart, n'ont que le hajj et la Umrah comme activités’’, insiste-t-il.  

ABBA BA

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